-2.1.4- L’autonomie et la toute-puissance mises à mal.

Nous avons vu que la complétude narcissique porte en elle-même des illusions de toute puissance ; cette toute puissance est atteinte dans l’impossibilité relative ou absolue de concevoir un enfant ; nous en avons repéré certains effets quant au fantasme de reproduction du même. L’indépendance est atteinte par la nécessité de devoir demander un enfant à un tiers.

Cette autonomie est mise à mal, d’une part dans la nécessité de l’obtention d’agrément et d’autre part dans le sentiment de dépendance pour l’accueil effectif de l’enfant. Si la notion de dépendance semble la plus appropriée pour définir les sentiments des postulants, qui doivent s’en remettre à un tiers et donc être dépendants de lui, la notion d’autonomie met l’accent sur la toute-puissance 208 et toute atteinte à cette toute-puissance mise à mal devient synonyme d’atteinte à l’autonomie.

Au regard de la nécessité de demander une autorisation, presque tous les détenteurs d’agrément la justifient par le souci « de ne pas confier à n’importe qui … de ne pas mettre un enfant n’importe où, …c’est tout à fait normal». 209 Cette légitimation semble alors compréhensible : pour les couples rencontrés, le fait d’avoir « réussi » ce passage ne peut, à posteriori, qu’être justifié. Mais, cette décision d’agrément, dans ses différentes phases est mise en lien par les adoptants avec le fait que « ceux qui font un gosse ne demandent l’avis à personne… on fait un enfant, c’est plus facile… et pour concevoir un enfant, on ne va pas leur poser toutes ces questions 210  ». Si la filiation biologique reste la référence pour la filiation adoptive, la conception de l’enfant devient aussi la référence pour l’agrément : pourquoi demander une autorisation pour adopter, alors que personne n’a besoin d’autorisation pour concevoir un enfant.

N’ont pas été rencontrés ceux des postulants qui se sont vus refuser l’agrément : on peut imaginer ne pas retrouver chez eux la légitimation construite à posteriori.

A cette autorisation donnée par un tiers, s’ajoute également la nécessité pour les futurs adoptants de devoir recevoir l’enfant d’un autre. Le rapport à cette dépendance peut être vécu de manière différente, allant de postures extrêmes de la dépendance totale aux volontés de parfaite indépendance. Nous aurions là le rapport subjectif entretenu par les adoptants avec ce qui leur est imposé :

Ce qui est alors posé ici est la question du choix ou plus exactement du droit de choix. Choisir d’adopter ? Choisir un enfant ? Choisir telle stratégie pour adopter tel enfant ? Cette question du choix nous semble être en lien, dans la perspective des effets recherchés quant à la blessure narcissique, avec ce qui est de l’ordre du don et du dû.

Notes
208.

Nous nous plaçons ici sur le champ analytique en superposant autonomie et toute-puissance : nous savons que la signification du terme autonomie est différente en philosophie et en éducation où précisément l’autonomie est l’inverse exact de la toute-puissance.

209.

E 18, p. 281.

210.

E 2, p.71.

211.

E 24, p. 347.

212.

E 10, p.176.