-1.1.1- L’agrément : une garantie dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ph. ARIÈS 258 parle de l’enfant comme étant jusqu’au XVII ° siècle «une petite chose drôle, un éventuel déchet ». « On ne pensait pas, écrit-il, que cet enfant contenait déjà toute une personne d’homme ». Nous avons rappelé dans notre première partie les pratiques d’exposition et d’abandon à Rome, pratiques qui se perpétuent en Gaule pendant le Moyen Age ; pour Ph. ARIÈS, la «découverte de l’Enfance » ne commence qu’au XIII ° siècle. Peu à peu pointeront les idées selon lesquelles l’enfance ne s’arrête pas à six ou sept ans, mais qu’au contraire une période de latence plus longue doit permettre une meilleure préparation à la vie d’adulte. Plutôt qu’une législation protégeant l’enfant en tant que personne, le XIX° siècle s’intéressera à l’enfance entendue comme intérêt général d’une catégorie particulière.

A la fin du XIX° siècle, il s’agit d’éduquer et non plus de punir. La puissance paternelle consacrée par le Code Civil de 1804 est «une prérogative apparemment discrétionnaire entre les mains du père... mais elle était comprise dans l’intérêt de l’enfant... et l’on s’en rapportait au père pour son bon usage » La loi du 24 juillet 1889 introduit la déchéance de la puissance paternelle. Cette mesure, même comprise comme d’abord outil de protection de l’enfance, porte atteinte pour la première fois au caractère presque absolu de l’autorité paternelle. Ainsi, peu à peu, l’État passe de gardien de l’ordre public à un rôle de protecteur, prenant par là même le relais des solidarités familiales, et s’assurant que la famille agit dans l’intérêt de l’enfant.

C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que le droit de la famille devient pédocentrique. La notion «d’intérêt de l’enfant » devient une formule magique selon la formule du doyen CARBONNIER :« L’intérêt de l’enfant, c’est la notion magique. Elle a beau être dans la loi, ce qui n’y est pas, c’est l’abus qu’on en fait aujourd’hui. A la limite, elle finirait par rendre superflues toutes les institutions de droit familial. Pourtant, rien de plus fuyant, rien de plus propre à favoriser l’arbitraire judiciaire ». La notion d’ «intérêt supérieur de l’enfant » sera introduite par la Déclaration des Droits de l’Enfant adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1959 ; cette notion sera reprise par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), convention ratifiée par la France en 1990 et par celle de La Haye ratifiée en 98 259 .

La question est de savoir alors en quoi l’intérêt de l’enfant serait supérieur à ceux des adultes et, pour cet enfant, aux premiers d’entre eux, c’est-à-dire ses parents ? Reprenons pour évaluer cela la thèse de A. FREUD 260 : tant que l’enfant appartient à sa famille qui joue son rôle, son intérêt supérieur réside dans la préservation de sa cellule familiale. Il convient donc prioritairement de confirmer et d’aider les parents à assumer leurs fonctions. L’évaluation doit donc porter sur les capacités parentales ; ces fonctions parentales doivent être jugées suffisantes au bon développement de l’enfant. Si, les parents ne remplissent pas leurs fonctions et si pour garantir le développement de l’enfant, celui-ci doit être ‘’coupé’’ de son milieu familial, l’intérêt de l’enfant devient le sien propre, déconnecté de son milieu familial et déconnecté de l’intérêt de ses parents. L’intérêt de l’enfant devient supérieur. Les auteurs plaident pour une intervention minimum de l’État, avec quelques principes guidant les interventions sociales : l’enfant a droit à des parents autonomes et responsables ; l’intimité familiale doit être respectée et enfin une intervention sociale doit garantir une amélioration de sa situation à l’enfant.

Nous retiendrons de ce point de vue l’élément suivant : l’intérêt supérieur de l’enfant est d’être dans sa famille et d’avoir des parents. Cet intérêt supérieur est disjoint de celui de ses parents quand cet enfant est en danger. L’enfant est sujet de droit mais sujet de droit dans sa famille. Et c’est bien dans ce sens que J. RUBELLIN-DEVICHI 261 lit la CIDE qui «ne consacre pas de  supra droits aux enfants ». La question du temps est ici déterminante : si l’intérêt de l’enfant n’est pas supérieur à celui de sa famille quand cet enfant y est encore, la perspective doit changer quand il y a séparation, disjonction des deux. Ce positionnement rejoint en cela la philosophie de la CIDE et de la Convention de La Haye. Nous en conclurons donc ceci : au regard de l’agrément adoption, c’est l’intérêt de l’enfant qui est supérieur ; cela implique que l’intérêt des postulants est second.

Notes
258.

Ph. ARIES. L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime. Paris, Seuil, 1973, p. 6 et 60.

259.

1° partie. Chapitre 3 : « Les chemins de l’adoption ». 32 : « Adopter un enfant étranger ».

260.

Anna FREUD, Joseph GOLDSTEIN, Albert J. SOLNIT. Avant d’invoquer l’intérêt de l’enfant. Pais, ESF, 1983.

261.

J. DUVELLIN-DEVICHI. Op. cité.