La question qui se pose serait celle de savoir dans quelle mesure cette évaluation à la parentalité adoptive peut être conduite ? Et d’abord, être parent d’un enfant conçu par le couple présente-t-il des différences avec le fait d’être parent adoptif ? L’étude des 26 entretiens nous donne quelques indications 272 : il n’y a pas de déterminant au regard de la composition familiale (couple avec ou sans enfant), ni au regard du niveau de diplôme ou âge du couple. Par contre, la distinction couple stérile, couple infécond et couple fécond est signifiante : cette différence semble niée le plus fortement par les couples stériles et dans une moindre mesure par les couples inféconds. Nous pouvons comprendre cela comme nécessité pour les certains couples de se rapprocher d’une parentalité naturelle : c’est ce que Madame VINCENT nous explique 273 : « quand j’ai été opérée, l’infirmière qui me faisait des piqûres m’a dit ‘’pourquoi vous n’adopteriez pas un enfant ?’’ et je lui ai dit ‘’moi, pas question… j’en veux pas…et quelques temps après, de voir des mamans qui avaient des bébés, il n’y aura que cette seule solution et ça m’a fait réfléchir et je me suis dit ‘’si tu veux un bébé, il n’y a que cette seule solution… ». Nous pouvons le comprendre comme difficulté à s’identifier à l’enfant. Nous savons en effet que finalement cette différence n’est pas, dans la réalité, référée aux parents qui toujours ont à adopter leur enfant, mais référée à la réalité de l’enfant qui a été abandonné.
Cette capacité des futurs adoptants à s’identifier nous semble pouvoir s’articuler avec trois dimensions : identification à l’enfant abandonné ou comme soi s’abandonnant ; identification aux parents abandonnants ; identification aux parents adoptants. Cette capacité des postulants à s’identifier aux enfants abandonnés peut faire écho chez eux à leur sentiment d’avoir été eux-mêmes abandonnés 274 : Madame DUCRET 275 explicite son histoire personnelle : « j’ai gardé le lien avec ma mère, on se voyait régulièrement, ma mère restait ma mère, ma première mère ; par contre ça a été un peu plus… j’ai eu une deuxième mère. J’ai peut-être plus vécu l’abandon de mon père ». Cette capacité à s’identifier à l’enfant peut également être mise en lien avec le sentiment de se sentir abandonné. Monsieur LECLERC le dit explicitement : « j’aurais aimé qu’on soit un peu plus pris en compte… qu’on s’occupe de nous…. Alors là, on a l’impression que ça n’intéresse plus personne… ». Madame TISSERAND, nous dit aussi son sentiment d’avoir été abandonnée, dans l’absence de dialogue, par sa mère : « moi, ça remonte à mon enfance, j’avais une amie vietnamienne qui était adoptée, c’était ma meilleure amie, surtout que je n’avais pas beaucoup de relations… je ne parlais pas beaucoup avec ma maman… ». Ce rapport à l’abandon peut également être un mouvement, reconnu en soi, qui permet le lâcher prise ; nous ne sommes plus alors dans la relation où l’un est abandonnant et l’autre abandonné, mais dans une relation intérieure où soi-même peut être abandonnant et abandonné. C’est ce que nous disent Monsieur et Madame CHANEL : «Madame : apprendre l’abandon, laisser faire les choses, apprendre la patience et l’acceptation. – Monsieur : se laisser, s’abandonner, si un enfant nous est destiné ». Et effectivement, nous touchons dans cette capacité des adoptants à s’abandonner et à pouvoir également s’identifier aux parents abandonnant, à un point qui nous paraît central dans l’adoption. Nous y reviendrons dans notre dernière partie. Ce point le plus difficile pour des postulants à l’adoption, privés d’enfant, nous est donné par Madame PONCET 276 : « parce que nous on sait ce que c’est que d’avoir un enfant, on imagine une mère qui doit abandonner son enfant, c’est terrible ». DW. WINNICOTT 277 parlant de cette capacité d’identification, écrit : « Nous nous bornerons à parler de l’appauvrissement de la vie de la patiente qui relevait de son incapacité à ‘’se mettre dans la peau des autres’’ ».Cette difficulté à s’identifier aux parents d’origine et pour certains à l’enfant, semble moindre quand il s’agit d’une identification aux parents adoptants 278 .
Nous avons défini dans ce premier chapitre l’agrément comme phase d’évaluation nécessaire, dans l’intérêt de l’enfant. Nous allons en voir une autre dimension possible, celle donnée par les postulants. Au-delà de l’évaluation, l’agrément peut être un temps où il se passe autre chose.
Annexe n° 11-25, p. 417 : « Différence entre parentalité adoptive et parentalité naturelle »
E 25, p. 361.
A. RIOU. Devenir parent par l’adoption : quels ‘’choix’’ inconscients ? Villeneuve d’Ascq, Septentrion, 2001.
E 3, 8, 23, 14.
E 20, p. 305.
DW. WINNICOTT. Jeu et réalité : l’espace potentiel. Paris, Gallimard, 1971, p. 181.
Nous verrons plus précisément cela dans le chapitre 1° de la 4° partie : « Les adoptants : de pairs en pères ».