Nous avons alors là un point d’articulation : pour que les postulants puissent subjectivement trouver cet objet-agrément, la première condition est qu’il soit présent, c’est à dire qu’il existe indépendamment d’eux. C’est la permanence de l’objet, dans son contexte, ses modalités, la fixité de son cadre qui est contenante et finalement rassurante pour les adoptants. Nous prendrons pour exemple l’entretien avec Monsieur et Madame MASSON 283 : «Madame : moi, j’ai senti qu’on se sent enfin pris en main et rassurés avec un encadrement qui nous donne l’impression qu’on allait enfin avancer… Monsieur : confortés de part l’encadrement ». Monsieur VERNE 284 donne dans l’emphase, avec cependant cette idée de cadre : « la procédure pour nous était… d’abord il y avait un support fantastique de l’assistant social ». Enfin, nous donnerons un troisième exemple pour dire cette nécessité de l’objet trouvé, avec un extrait de l’entretien avec Monsieur et Madame PASQUAL 285 : « Madame : on a trouvé simple… Monsieur : c’est quand même assez bien défini, il y a un canevas à suivre, c’est beaucoup moins problématique que ce que les gens s’imaginent… ».
Ainsi, au-delà de l’impératif d’un agrément, dicté par l’intérêt supérieur de l’enfant, il nous semble que ce cadre est également nécessaire comme ‘’objet objectif’’ trouvé par les postulants, condition pour qu’ils puissent se le réapproprier. Pour s’approprier quelque chose, encore faut-il que ce quelque chose existe. Cela nous amène à penser que cette phase est nécessaire et qu’elle doit être conservée, comme « aire et objet transitionnels » Nous avons vu 286 que diverses formes d’agrément existent aujourd’hui, qui toutes ont valeur de ‘’sanction’’, c’est-à-dire d’une décision qui coupe, sépare un avant et un après et qui en même temps offre cet espace d’élaboration 287 . Mais nous souhaiterions mettre en évidence ce qui semble bien caractériser la double dimension, « objective et subjective » de cet objet qu’est l’agrément : le sens du questionnement.
Chaque entretien peut être mené à partir de questions posées par l’évaluateur, questions qui creusent les motivations, les représentations, le cheminement, ces questions ont valeur évaluative. Mais, en même temps, nous pourrions presque dire, ces questions ont valeur performative ; elles invitent les postulants à se creuser eux-mêmes , à faire un creux en eux pour accueillir la question posée : « je pense que ça nous a fait du bien de creuser ça » dit Monsieur PERRET 288 . Les adoptants se laissent, en quelque sorte, questionnés par eux-mêmes, sans d’ailleurs rechercher de réponse. Nous serions, avec la capacité des postulants à recevoir ce questionnement, dans cette « passivité » chère à P. RICOEUR, dans ce creux du moi où se niderait l’altérité, la relation à cet autre qui serait déjà l’enfant adopté. Nous pouvons largement reprendre cela dans les différents entretiens. « On attend le permis. Moi, je ne l’ai pas vécu comme ça. D’un côté très bien, parce que ça nous permet de nous poser des questions qu’on ne se pose pas forcément… il a fallu réfléchir… » 289 . L’entretien avec le couple PROST 290 reprend cette idée selon laquelle « les entretiens ont fait poser des questions qu’on ne s’était pas posées ». Il s’établit alors une forme de relation entre le questionnement qui creuse et le questionnement qui permet de se creuser ; c’est ce que nous dit joliment Madame MOREL 291 : « toutes les questions que vous posez étayaient un peu les questions qu’on se posait ».
La dimension performative du questionnement est rappelée par les postulants comme promesse d’une adoption future et promesse, de ce que Madame LECLERC appelle 292 une « concrétisation » : « pour moi les entretiens, ça aide vraiment à fignoler le projet, parce que ça peut poser des questions auxquelles on n’a pas pensé, c’est bien parce que ça concrétise plus, parce qu’on peut se dire entre nous…. C’est vraiment ça, ça aide à concrétiser – Question : et quand vous dîtes concrétiser ? – Madame : on se sent presque déjà un peu plus parents. On se sent déjà… parce qu’on en parle de cet enfant… c’est vraiment du concret, il manque juste l’enfant, mais on aborde des problèmes réels auxquels on n’a pas pensé ».
Nous voyons donc, dans cet exemple pris du questionnement, les deux dimensions en interaction : le « trouvé » est repris par les postulants, qui en font, pour eux-mêmes, un « créé ». Cette double interprétation est explicitée ainsi, en substance, par P. FUSTIER : l’agir du professionnel peut être interprété comme la conséquence d’une norme d’emploi relevant du contrat, cette interprétation explicative est égo-exentrée ; l’agir peut également être interprété comme relevant de la sphère du don, elle devient égo-centrée et « peut être considérée comme un avatar du narcissisme primaire » 293 .
E 1, p.190.
E 24, p.347.
E 18, p. 281.
1°partie. 23 : « La procédure d’agrément : une garantie pour l’enfant ».
Le Service Social International demande que « les futurs parents adoptifs aient accès à une préparation systématisée et approfondie sur l’adoption, de préférence avant la détermination de leur capacité adoptive ». Cela pose un problème de fond sur la nature de la formation et son dispositif.
E 1, p. 56.
E 3, p. 85.
E 26, p. 369.
E 2, p. 71.
E 8, p. 153.
P. FUSTIER. Le lien d’accompagnement : entre don et contrat social. Paris, Dunod, 2000, p. 83.