-2.1.2- La possibilité du créé et le sentiment d’accompagnement.

Trouvant cette procédure, les postulants peuvent la faire leur. Et cette interprétation de ce qu’ils trouvent, interprétation que WINNICOTT appelle « création », peut se faire comme certitude de rencontrer dans cette procédure d’agrément, non pas (seulement) des personnes qui évaluent mais des personnes qui accompagnent. Nous souhaitons mettre l’accent sur cette dimension de la phase d’agrément, dimension qui vient bouleverser notre hypothèse et que nous avons trouvée de manière massive dans les entretiens, tant dans le traitement quantitatif que dans l’analyse de contenu. Le sentiment d’accompagnement commence pour certains postulants dès la période d’évaluation. Compte tenu de l’importance de cet élément, nous reprendrons largement dans les entretiens les extraits qui étayent l’idée selon laquelle cette aire d’évaluation est transformée par les adoptants en aire d’accompagnement. Tout d’abord, écoutons Monsieur et Madame DUCRET 294 parler de l’agrément : « Madame : l’agrément… d’un côté, très bien… ça a maturé notre volonté et notre désir… mais il y a beaucoup d’inquisition dans notre vie privée… c’est un peu pervers parce qu’on se dit ‘’si on ne dit pas, on risque de ne pas avoir notre permis, le visa… mais je crois qu’il faut cet espace pour… ».

L’entretien avec Monsieur et Madame MERLE 295 nous donne à comprendre l’interprétation par les postulants de l’assistant social :

C’est également ce que nous donne Monsieur CHAPUIS 296 : « le premier entretien avec l’assistant social, on a vu que ces gens-là, ils sont là pour nous aider, pas pour nous casser… ils ne sont là que pour vous aider ».

Le même sentiment d’avoir été « aidée » nous est donné par Madame LECLERC 297  : « pour moi, les entretiens, ça aide vraiment… c’est bien parce que ça aide à concrétiser… c’est vraiment ça, ça aide à concrétiser ».

Monsieur SIMON 298 nous dit qu’il n’a pas eu le sentiment d’être jugé : « moi, non, aucun jugement ; je n’ai pas senti, on était bien appuyés, avec le psychiatre aussi ».

Enfin, nous donnerons un dernier extrait qui pousse à son terme cette interprétation potentielle qui fait de l’agrément un espace où le travailleur est celui qui « aide à obtenir l’agrément ». « Madame : nos besoins étaient satisfaits. Monsieur : notre besoin, c’était de nous accompagner, de nous aider à obtenir un agrément ».

Monsieur VERNE 299 est lui encore plus clair: « Question : vous avez eu l’impression d’être jugés ? Monsieur : non pas du tout. J’ai eu l’impression qu’il me disait ‘’vous voulez un enfant, nous sommes là pour vous accompagner’’. C’était un message et ça nous a rassurés ».

Mais cette interprétation par les adoptants de l’évaluation en accompagnement est bien sûr à nuancer. Ces nuances nous sont apportées par la lecture croisée des données quantitatives retirées des 26 entretiens 300 . Nous pouvons en donner la synthèse suivante :

Nous pouvons comprendre, toujours à partir des travaux de DW. WINNICOTT, ces différences d’interprétation, comme « capacité (différente selon les adoptants) à utiliser les objets ». En effet, « l’espace potentiel entre le bébé et la mère, entre l’enfant et la famille, entre l’individu et la société ou le monde, dépend de l’expérience qui conduit à la confiance » 301 . Nous pouvons ainsi comprendre, au regard des dimensions narcissique et instituée de la filiation, de leur dialectique et des effets que nous avons repérés sur l'estime de soi, que le rapport entretenu avec l’agrément par les adoptants puisse être différent. Plus l’atteinte narcissique, quant à la capacité imaginée à devenir ou être parent, est grande, plus la confiance en soi entretenue dans le rapport au monde est moindre. Inversement, confiant dans leur sentiment d’être ou de pouvoir être déjà parents, certains adoptants sont à même d’évincer de leur pensée ce que l’agrément pourrait avoir de persécutoire pour n’en retenir que la dimension d’accompagnement. Le professionnel, sans quitter alors ses habits d’évaluateur prendrait également ceux de celui qui aide.

Notes
294.

E 3, p. 85.

295.

E 17, p. 271.

296.

E 13, p. 218. 

297.

E 8, p. 153.

298.

E 7, p.141.

299.

E 24, p. 347. 

300.

Annexe n° 11-20, p. 410 : «Entretiens : lecture des données. Accompagnement et non-ccompagnement par les professionnels de la Dipas».

301.

DW. WINNICOTT. Op. cité. p. 143.