Adopter un enfant pupille de l’État ou un enfant né à l’étranger équivaut à sortir de la sphère privée du couple et de la famille pour demander cet enfant à la sphère publique. Au-delà du sentiment de dépendance que nous avons déjà repéré, il s’agit pour le postulant de devoir légitimer publiquement, c’est-à-dire, devant l’autorité publique, sa demande. Ce qui est jugé comme intime devrait être dévoilé ; en comparaison avec l’acte sexuel fécondant pour lequel aucune autorisation n’est à demander, certains adoptants questionnent la légitimité de la procédure : « pour concevoir un enfant biologique, on ne va pas poser les mêmes questions que pour adopter un enfant. » 312 .
Le professionnel nous semble avoir un pied dans la sphère intime du couple et un pied dans la sphère publique qui garantit l’intérêt de l’enfant et également donne cet enfant pour ce qui concerne directement les pupilles de l’État. Nous voudrions sur ce point insister sur deux dimensions de cette articulation au cœur de laquelle est placé le professionnel.
Entrant dans l’espace privé du couple, le professionnel, en quelque sorte fait partie de la famille. C’est ce que disent Monsieur et Madame GIROUD 313 , en parlant de l’assistant social, dans une forme de dénégation : «Madame : c’est quelqu’un qu’on connaît comme ça, sans connaître sa vie, c’est quelqu’un qu’on connaît bien sans connaître, sur un certain plan. – Monsieur : c’est lui qui nous représente… il ne fait pas partie de la famille mais… ». Nous avons dans cette perception de l’assistant social toute la part de mystère et d’énigme dont parle P. FUSTIER 314 . Cette entrée dans l’espace privé se dit en terme de confiance réciproque, condition à un travail ultérieur. C’est ce que résume Madame FOURNIER 315 : « la personne la plus importante, c’est celle qui va nous aider, celle du départ, celle qui devrait toujours être là, la personne qui devrait faire, de la demande d’agrément jusqu’à l’adoption finale ». Inversement, il nous semble que, lorsque le professionnel est resté sur le seul niveau évaluatif, les conditions ne sont pas remplies, qui inviteraient le postulant à se sentir accompagné dans la phase post-agrément. Madame MONTERRAT 316 , par la négative, confirme cette approche : « Question : ce qui est un peu étonnant, y compris pour le deuxième agrément, c’ est qu’on vous a dit que nous étions toujours disponibles pour vous rencontrer, mais finalement ce n’est pas quelque chose que vous avez retenue ? – Madame : non, vu comme il était froid, ça ne donne pas envie d’appeler après, c’est peut être pour ça qu’on n’a pas appelé, je pense que c’est pour ça. C’est vrai que quand on sent que quelqu’un ne vous attend pas. et bien… ».
Nous avons dans cette seconde dimension de la posture paradoxale du professionnel une fonction symbolique que nous avons déjà développée et synthétisée dans la formule 2=3 : pour que 2 puisse être, il faut un troisième. C’est ce qui nous est dit magistralement Monsieur MASSON 317 : « Monsieur : je suis persuadé que ça (l’adoption) reste un choix privé du couple, mais qu’on ne peut pas prendre à deux parce qu’on a besoin de conseils, de savoir et on n’a pas de points de repères, on n’a rien, alors je me dis, c’est le couple qui décide, c’est nous, c’est notre bébé, mais à un certain moment, il n’y a pas que nous… ». Ainsi, le professionnel, dans une posture de l’entre-deux, devient le tiers, intermédiaire accompagnant les conjoints dans une élaboration de couple qui, nous dit Monsieur PASQUAL 318 « finit par tourner en rond… alors, il faut bien en parler à quelqu’un d’extérieur ».
Espace et temps intermédiaires pour les différents acteurs, le dispositif d’agrément devient alors un lieu de passage où les postulants entrent en faisant leur demande d’adoption et d’où ils sortent avec l’autorisation d’adopter.
E 2, p. 71.
E 15, p. 243.
P. FUSTIER. Les corridors du quotidien. Lyon, PUL, 1993, p. 97 et suiv.
E 5, p. 113.
E 16, p. 257.
E 1, p. 190.
E 18, p. 281.