-3.1.3- L’obtention d’agrément comme passage d’un seuil : le seuil de la grossesse.

Le troisième niveau du rite de passage correspond à l’agrégation potentielle au monde de l’adoption. Il se décline lui-même en trois phases 333  : le ‘’passage’’ en commission d’agrément, puisque ce terme est couramment employé dans le langage ethnique du monde de l’adoption, indique la première phase ; la seconde phase est la décision elle-même ; la troisième est comprise dans le moment où les futurs adoptants reçoivent cette décision par courrier. Ce seuil devient « une porte », « porte » qui ouvre la voie à l’accueil d’un enfant, mais dit Madame GUERIN 334 «  il manquait la clef ». L’obtention d’agrément permet bien de franchir la porte de l’adoption, dont l’agrément est la clef.

Nous voudrions tout d’abord dire la joie éprouvée par les postulants à la réception du document écrit, signé par le président du Conseil Général. Venus consulter leur dossier avant le passage en commission, prenant connaissance des conclusions des professionnels qu’ils ont rencontrés, les couples n’en demeurent pas moins « heureux » de cette autorisation, et cela quelle que soit leur situation familiale. Prenons au hasard 335 quelques entretiens : « Madame : quand on a reçu la lettre, je n’ai pas voulu l’ouvrir, on l’a ouverte tous les deux. J’ai été… j’ai sauté au plafond. J’étais heureuse - Monsieur : moi, j’étais sûr de l’avoir, je suis optimiste… - Madame : alors j’étais contente pour deux ». C’est la même réaction de Madame et Monsieur SIMON parents d’un enfant né d’une première union de Madame : « Madame : on a sauté au plafond. – Monsieur : on était heureux, on a fêté ça et c’était un soulagement aussi parce que, jusqu’à l’avoir, on ne savait pas ». Pour un autre couple, « c’est champagne » ; pour un autre encore « c’est un dîner au restaurant ». Cette joie vécue nous semble pouvoir être mise en lien avec l’imaginaire du couple d’attendre effectivement un enfant, d’être ‘’enceinte’’.

Au-delà de cette autorisation qui ouvre les portes et permet de franchir un seuil, cette obtention d’agrément peut être comprise comme le test positif d’une grossesse. Les neuf mois de procédure, dont chacun pourrait penser un peu rapidement qu’ils pourraient correspondre symboliquement aux neuf mois de grossesse, sont dans la réalité des postulants les mois nécessaires pour enfin avoir l’annonce d’une grossesse. Un peu comme si, ouvrant la lettre du laboratoire d’analyse, un couple y découvrait les résultats positifs des analyses passées. La conception de l’enfant, la conception de sa représentation que nous avons énoncée comme autrement que par l’acte sexuel, qui s’est construite avec un tiers pendant tout la phase de marge, arrive au terme du diagnostic : vous attendez bien un enfant. Revenons encore aux entretiens 336 et à la manière dont cette annonce d’agrément est subjectivée en annonce de grossesse. Monsieur MARTIN inverse les propositions : « est-ce qu’elle est enceinte ? hop, elle est enceinte, donc j’ai l’agrément ». Écoutons plus longuement Madame GUERIN à qui nous devons cette lecture de l’agrément : « quand on a un agrément, c’est comme si on faisait un test de grossesse…. Vous ne savez pas si la grossesse, vous allez la mener à son terme… mais c’est vraiment là qu’on réalise qu’on va pouvoir devenir parents…après, si on va plus loin, on ne sait pas combien de temps la grossesse va durer… ». Madame PASQUAL nous dit aussi à la réception de l’agrément : « c’est comme si on revenait avec une analyse positive ».

Cette grossesse qui débute est une grossesse du couple. Ré-écoutons Madame GUERIN qui parle de cette grossesse portée à deux : « du coup, le projet, on le porte à deux. Je n’ai pas l’impression quand on vit une grossesse que la mari soit autant impliqué… Pierre m’en a parlé au début, je l’ai senti constamment à mes côtés et on le porte à deux ». Et encore : «l’agrément, c’est une bonne étape, c’est un peu comme le test de grossesse : voilà on peut être parents ».

Être parents, être enceinte : voilà des étapes qui permettent au couple d’entrer dans la normalité et de le mériter. C’est que, en effet, le passage du seuil avec l’agrément, crée un sentiment d’agrégation et d’affiliation au monde des parents et pour ceux qui le sont déjà à la normalité de la famille, avec plusieurs enfants pour les uns, un garçon et une fille pour d’autres. Nous avons un peu le prototype de ce sentiment de normalité et de reconnaissance avec Monsieur et Madame PROST 337 , déjà parents, ils disent pourtant l’importance qu’ils ont accordée au fait « d’être reconnus comme parents à statut d’adoptant… c’est un élément de réponse qui disait qu’on avait un couple qui était normal – Madame : quelque part on nous disait ‘’vous correspondez au moule parent que la société a, parce qu’il faut être comme ci ou comme ça’’ et c’est vrai que quelque part, on correspond au moule… ». Cet élément secondaire a cependant une autre portée : celle d’un couple, déjà parents, attendant un ‘’label’’ de normalité et étant rassuré par cette autorisation.

Avec enfin les résultats positifs des tests de grossesse, les postulants ne comprennent pas que leur soit demandé de passer un nouvel examen.

Notes
333.

1° partie. Ch. 2. « L’adoption en France ». 23 : » La procédure d’agrément »

334.

E 4, p. 103. 

335.

E 1, 7, 20, 24.

336.

E 6,4,18.

337.

E 19,p. 294.