-3.2.2- Avec l’obtention d’agrément : la capacité retrouvée.

Fondamentalement, cette autorisation redonne, reconnaît aux adoptants la « capacité de » : capacité à être parent et capacité à être parent adoptant. Chacun des couples ou personne rencontrés dit le pouvoir retrouvé et la permission donnée. Madame RODET nous offre l’articulation des deux notions : « L’agrément ? eh bien, c’est la permission de pouvoir adopter ». « Pour nous, explique Monsieur PONCET, parent d’un petit garçon, c’était plutôt la sanct… une autorisation administrative, une accréditation d’être parent, ça ne veut pas dire, ‘’vous êtes aptes à être parents’’ parce qu’on était tranquilles sur ce niveau-là, mais c’était un assentiment sur notre capacité ». Être reconnus capables suppose alors le regard de l’autre et de la société : « ça y est : on peut, s’écrie Madame DUCRET, on est capable de devenir parents. Aux yeux de la société… - Monsieur : nous, on était prêts, c’est vis-à-vis de la société… ». Cette capacité dit le pouvoir ou plus précisément la possibilité ; l’agrément peut être compris comme une étape majeure dans le processus de re-narcissisation des postulants, de restauration narcissique de chacun et du couple, comme rite de restauration de la puissance. Alors que la permission et l’autorisation données semblent plus en lien avec la notion d’interdit et donc avec la dimension symbolique de la filiation, la capacité retrouvée remet les futurs parents, au regard de la dimension narcissique de la filiation, dans une meilleure estime d’eux-mêmes et de leurs compétences parentales futures.

Parmi les 26 couples ou personne que nous avons rencontrés, deux, au moment des entretiens, attendaient un bébé né de leur couple. Ces grossesses avaient débuté après la phase d’agrément. Madame PROST avance cette explication : « Question : quand vous aviez initié votre demande d’agrément, vous n’étiez pas enceinte puisque vous avez l’agrément depuis septembre ? – Madame : oui, c’est ça puisqu’on est passé en commission au mois de… parce que, en fait, c’est ça qui nous a… débloqués, on va dire ».Nous savons la complexité de cette question et ne nous aventurerons pas dans ce qui ne serait que psychanalyse sauvage. Nous voudrions simplement mettre l’accent sur cette autorisation, élément parmi d’autres, qui, de notre point de vue, peut aider à la compréhension de ces grossesses qui arrivent après ou pendant le temps de l’agrément, après parfois l’arrivée d’un enfant en adoption. Les stérilités et infécondités sont classées généralement en deux groupes : celles où médicalement une pathologie organique ou physiologique a été diagnostiquée, celle où médicalement rien n’explique l’infécondité ou infertilité d’un des deux conjoints ou du couple. Diverses hypothèses ont été avancées pour expliquer l’inexplicable, et toutes disent quelque chose de l’inconscient qui se dirait dans et par le corps, disent une souffrance psychique qui ne pourrait que se ‘’corporéiser’’. Nous voulons plutôt mettre l’accent sur cette dimension qui nous paraît fondamentale dans une posture éducative : mettre ou remettre l’autre en capacité de… En effet, il nous semble que les causes de ces stérilités ou infécondités dont on dit qu’elles sont psychologiques, resteront à jamais un grand mystère, et pouvons-nous ajouter heureusement. Ainsi, la question n’est pas pour nous de comprendre le pourquoi, mais d’offrir les conditions aux adoptants futurs pour qu’ils soient en mesure de dépasser cet obstacle. Cette perspective nous semble être première quand P. RICOEUR dit en substance : « La capacité efface la culpabilité ». Nous avons là toute la dynamique d’une posture éducative. Si cette capacité ouvre la voie à la ‘’possibilité de’’, elle nous semble ouvrir également celle du vouloir. Monsieur MOREL 347 donne ses sentiments sur l’obtention d’agrément : « avec l’agrément… on peut dire qu’on peut commencer à vouloir adopter un enfant, parce que jusque là on ne peut rien faire ». Ce rapprochement entre ‘’pouvoir’’ et ‘’vouloir’’ nous offre une autre clef d’une posture éducative : permettre à l’autre d’exercer sa volonté, c’est le mettre en situation de se dire  ‘’je peux donc je veux’’. « Entre la possibilité et le pouvoir, il y a la volonté » 348 nous dit Ph. MEIRIEU. La possibilité ouvre le champ du possible, le pouvoir se met en acte par la volonté, la capacité, attachée à l’estime de soi devient la certitude de pouvoir faire quelque chose.

Enfin, cette restauration narcissique avec l’autorisation donnée nous semble avoir des effets sur les représentations des adoptants. La levée de cette fameuse «épée de Damoclès » 349   est une forme de libération. « C’est un peu pervers, dit Madame DUCRET, parce qu’on se dit : ‘’si on ne dit pas, on risque de ne pas avoir notre permis, le visa et ça, c’est une épée de Damoclès qui ne nous permet pas forcément de poser toutes les choses ». La même idée revient dans les propos suivants : « moi, je me donne plus le droit d’imaginer l’enfant. – Question : ce que vous ne vous permettiez pas avant l’agrément ? – non ». Cet élément nous paraît être de première importance : la valeur symbolique de l’agrément, tout en redonnant pouvoir et vouloir aux futurs parents , ouvre les vannes de l’imagination, des représentations ; la retenue pour certains n’est plus nécessaire, ils sont autorisés à imaginer et cette imagination les conduit vers l’enfant qu’ils attendent. Cette autorisation nous semble également avoir des effets sur les processus cognitifs eux-mêmes. Les informations données aux postulants afin qu’ils puissent confirmer, en toute connaissance de cause leur demande, ne semblent pas intégrées dans leur ensemble. Les entretiens confirment cet élément qui semble par ailleurs évident. Trop d’informations tue l’information, pour paraphraser la célèbre maxime économiste ; d’autre part les postulants intègrent les informations qui, à un moment donné, ont un sens pour eux.

C’est que commence, pour ceux qui viennent d’obtenir l’autorisation d’adopter un autre parcours : celui qui les mènera à la rencontre. Ce temps qui sépare l’obtention d’agrément de l’accueil effectif de l’enfant est variable ; nous en avons dessiné, à grands traits, les contours dans le chapitre « Chemins et réalités de l’adoption ». Nous voudrions insister sur un autre point, en lien avec la théorie de A. VAN GENNEP, sur les rites de passage : cette période post-agrément nous semble être un nouvel espace de marge avant l’entrée vécue réellement dans la parentalité.

Notes
347.

Cf entretien n° 2.

348.

Ph. MEIRIEU. Le pédagogique entre le faire et le dire. Paris, ESF, 1996, p. 253.

349.

E 3 et 1.