-3.2.3- Le seuil de l’agrément comme entrée dans une nouvelle marge ou la fin de l’objet trouvé.

Nous savons que les rites de passage fonctionnent comme des poupées gigognes, s’emboîtant les uns dans les autres. A. VAN GENNEP le rappelle ainsi 350  : « . dans certains cas, le schéma se dédouble : cela lorsque la marge est assez développée pour constituer une étape autonome. C’est ainsi que les fiançailles sont bien une période de marge entre l’adolescence et le mariage, mais le passage de l’adolescence aux fiançailles comporte une série spéciale de rites de séparation, de marge et d’agrégation à la marge ». Nous avons décomposé l’agrément en trois phases : une phase préliminaire avec la demande, une phase liminaire avec le temps de procédure et une post-liminaire avec l’obtention. Ces trois phases nous semblent constituer la phase préliminaire de l’ensemble du processus d’adoption. Avec l’obtention d’agrément, les postulants quittent leur ancien statut et se séparent de leur monde antérieur. L’obtention d’agrément a valeur pour eux de séparation et de réparation. Ils sont devenus potentiellement parents, le test de grossesse est positif. Ils entrent alors dans une (nouvelle) période de marge qui serait celle de la ‘’couvade à deux’’, phase liminaire où les futurs parents attendent leur enfant. Mais ce n’est qu’au terme de ce temps qu’ils seront parents de l’enfant qu’ils auront accueilli et qu’ils pourront alors « s’agréger » au monde des parents et des parents adoptants. Cette reprise de la construction de l’auteur est pour nous importante en ce qu’elle permet de repérer, après l’agrément obtenu, cette nouvelle phase de marge où les postulants semblent errer.

Les entretiens, dans leur grande majorité 351 , nous disent ce sentiment des détenteurs d’agrément : ils se sentent perdus et seuls. Le traitement quantitatif des entretiens nous donne déjà une indication précieuse : 60% des adoptants pensent que l’accompagnement est terminé avec l’obtention de l’agrément et 50% se sont sentis « perdus » ou « se sentent encore perdus » après avoir obtenu l’agrément. Ces indications confirment d’abord le fait que l’évaluation peut être interprétée comme accompagnement, mais surtout elles nous renseignent sur les attentes et demandes des postulants envers les professionnels du service adoption. Pour la majorité d’entre eux, il n’y a pas lieu de demander quelque chose, après l’agrément, aux services départementaux ; les professionnels ont fait leur travail et ce travail est terminé. Rappelons que sur les 26 situations, seuls 6 couples disent se sentir accompagnés, ces 6 couples disent savoir que les fonctions des professionnels ne s’arrêtent pas à la décision d’agrément. Pour illustrer cela, nous irons chercher quelques entretiens significatifs : « L’impression qu’on a, nous, c’est d’être complètement perdus, on ne sait pas où on va, on est complètement perdus quoi….on est complètement paumés dans ce truc-là… c’est ‘’débrouillez-vous’’ ». Monsieur et Madame LECLERC 352 disent leur sentiment « d’être livrés à (eux)-mêmes ». Monsieur FOURNIER exprime exactement la même chose, avec les mêmes termes utilisés « en plus, on est livrés à nous-mêmes. L’agrément, c’est bien, mais maintenant à la limite, c’est ‘’débrouillez-vous’’ ».

Nous avons dans ces sentiments de solitude et de perte de repères, après l’obtention d’agrément, une réponse majeure quant à la question de l’accompagnement. Pour la majorité des adoptants, tout fonctionne comme si, ayant obtenu l’agrément et y ayant été accompagnés/aidés par les professionnels et les services départementaux, ils n’avaient plus rien à en attendre ; l’accompagnement serait alors terminé. Écoutons encore Madame MARTIN: « je dirais le plus difficile, c’est qu’on a fait plein de démarches pour cet agrément… et à partir du moment où on a cet agrément, il n’y a plus rien, à part nous, si on veut téléphoner ou écrire une lettre, il n’y a plus rien ; à part ça il n’y a plus rien, plus aucun signe. Je comprends pourquoi on nous a dit ‘’préparez-vous’’… je ne sais pas, je trouve dommage, peut-être il pourrait y avoir un petit quelque chose. ». Reprenant la théorie de DW. WINNICOTT, nous pourrions dire que la phase d’agrément terminée, pendant laquelle les adoptants ont « trouvé » cet objet-agrément qu’ils ont pu « créer », les adoptants ne « trouvent plus rien » ; ils n’ont plus d’objet sur lequel ils puissent eux-mêmes construire le leur. Il n’y a plus le dispositif nécessaire. La fin de l’objet « trouvé » les laisse  perdus, l’absence d’un nouvel objet les laisse seuls.

La question est alors de savoir quel objet nouveau, nous professionnels, pouvons offrir aux futurs adoptants, objet nouveau qu’ils pourront re-créer. Cette phase de construction d’apparentement correspond donc à une nouvelle phase de marge du rite de passage. Les professionnels, interprétés comme accompagnant dans la phase d’évaluation, peuvent-ils encore avoir cette place ou cette fonction après la ‘’délivrance’’ de l’agrément ? Peuvent-ils être intermédiaires ? C’est bien le terme qu’emploie A. VAN GENNEP 353 quand ils parlent de ceux qui vont aider au passage de cette marge : «on notera le rôle des intermédiaires, qui… n’ont pas seulement pour objet de neutraliser l’impureté , ou d’attirer sur eux les maléfices, mais bien de servir réellement de pont, de chaîne, de lien, bref de faciliter les changements d’état, sans secousses sociales violentes, ni arrêts brusques de la vie individuelle et collective ». Si les intermédiaires ont pendant la phase d’agrément « neutralisé l’impureté » en prenant la responsabilité de transgresser l’interdit, et en donnant autorisation aux adoptants, ils ont alors à accompagner les futurs parents dans le long passage qui les conduira à l’enfant. Mais qui sont ces intermédiaires ? Qui peut remplir cette fonction ? C’est ce que nous allons travailler dans cette quatrième partie, en distinguant dans cette fonction la place de ceux qui ont déjà adopté et la place de ceux par lesquels l’apparentement se construira.

Notes
350.

A. VAN GENNEP. Op. cité. p. 14.

351.

Annexe n° 11-20. p. 410 : « Entretiens : lecture des résultats. Accompagnement et non-accompagnement par professionnels de la DIPAS »

352.

E 8, 5, 6.

353.

A. VAN GENNEP. Op. cité. p. 67.