Quatrième partie. L’accompagnement comme articulation d’une relation et d’une transmission des savoirs expérienciels et formalisés.

-Chapitre 1- Les adoptants : des pairs en pères ?

Nous posant la question de savoir qui pouvait avoir cette fonction d’intermédiaire dans les périodes de marge que traversent les postulants, nous désignerons comme possibles accompagnants «ceux qui ont déjà adopté ». Ils nous semblent en effet avoir une place particulière dans le contenu de cette notion d’accompagnement que nous recherchons. Sur un autre pôle, nous trouverons ceux que nous appellerons les intermédiaires : ce sont tous ceux qui, salariés ou bénévoles (militants), par statut ou fonction, assurent une fonction de médiation entre les futurs parents et l’enfant attendu. Rappelons la signification du terme. Au sens juridique, «un intermédiaire est un intervenant dont l’entremise caractérisée à titre habituel ou accessoire, consiste soit en une mise en relation directe ou indirecte d’adoptants et d’enfant, soit en une mise en contact avec les institutions liées à l’acheminement et à la présentation de dossiers aux services ou institutions compétentes en France ou à l’étranger. L’intermédiaire est celui qui permet concrètement d’avoir accès à l’enfant. 354  ». Cette définition nous permet de mieux savoir quelles sont les personnes qui peuvent être considérées comme intermédiaires. Nous verrons que, concrètement et pratiquement, cette fonction de médiation peut être tenue, en France, par les ‘’anciens adoptants’’, par les professionnels départementaux et par les responsables des OAA, ceux-là semblent conjuguer et les compétences des anciens et les compétences des professionnels. Ainsi, le terme ‘’intermédiaire’’ sera compris dans sa signification générique et généraliste ; le terme ‘’professionnels départementaux’’ désignera les personnels ayant assuré le travail d’évaluation de l’agrément, auxquels les futurs adoptants adressent attentes et demandes. Mais à cette définition juridique permettant de savoir ‘’qui’’ peut être considéré comme intermédiaire, nous souhaitons y ajouter une autre définition qui donne le contenu de l’action : la médiation. « Médiation, nous dit F. IMBERT, vient du latin medio-are qui signifie partager… La médiation assure la double fonction symbolique corrélative de différenciation-séparation et d’alliance». Nous avons déjà repéré cette double fonction dans le ‘’symbole’’. Étymologiquement, dans ‘’symbole’’, «le sun (devenu syn en français) inscrit les bolides dans un circuit les reliant entre eux dans une rencontre viable et ainsi, opère la transformation de jets destructeurs en partenaires de possibles échanges » 355 . Nous savons que dans le monde de l’adoption, si le terme de médiation est peu employé, celui d’intermédiaire est usuel. Ainsi, le terme ‘’intermédiaire’’ a une double signification : celle de séparer (médiare) et celle de lier (inter) 356 . C’est peut-être bien entre ces deux substantifs que se ‘’joue’’ la construction de l’apparentement.

Voyons donc qui représentent ceux qui ont déjà adopté et que nous appellerons les ‘’pairs’’. Qu’est un pair ? Étymologiquement, un pair est un égal (du latin ‘’par’’) ou un pareil (du diminutif populaire : ‘’pariculus’’). Les dérivés sont nombreux avec différents préfixes : sé-parer, com-parer, imparisyllabique… Du genre masculin, un pair est quelqu’un du même rang, de la même condition, nous pourrions dire qu’il est une des formes instituées de la ressemblance, du semblable. Il s’oppose en cela de son homonyme féminin, la paire qui désigne le double, le même de la même espèce ou d’une espèce symétrique.

La question est alors de savoir quels sont ceux que les futurs adoptants considèrent comme étant leurs pairs ? Qui, dans les personnes rencontrées, sont reconnues par eux comme étant leurs semblables, leurs égaux, c’est-à-dire parents et parents adoptants ? En qui se reconnaissent-ils ? Une partie de la réponse est donnée par la négative : ce ne sont pas les professionnels. Le contexte d’évaluation de l’agrément, dans sa relation dissymétrie, ne semble pas permettre ce mouvement ; les entretiens confirment cette absence de référence possible des professionnels. Monsieur et Madame PERRET 357 répondent ensemble simplement «non » àla question posée : « Le fait de savoir ou de ne pas savoir que ceux que vous avez rencontrés (médecin, assistant social et psychologue) étaient parents ou pas parents, est-ce que c’est une question qui vous est venue à l’esprit ? ».Cette question ne semble pas être venue à Monsieur MARTIN qui nous dit «ne pas savoir s’il (le travailleur social) a des enfants ou pas ». Répondant également à la question : « pour vous, a-t-il été important de savoir que les professionnels étaient parents ou pas ? », Madame DUCRET répond «non, je ne me pose pas la question- non- on vous a considérés comme des professionnels qui aviez à faire un travail… je ne me pose pas la question de savoir si vous étiez marié, si vous aviez des enfants… ». Monsieur SIMON 358 va un peu plus loin en disant « pendant les entretiens… on ne se serait pas permis de demander ‘’et vous, vous êtes marié ? vous avez des enfants ?‘’ ».

Massivement, ce sont ceux qui ont déjà adopté qui constituent pour les futurs adoptants un pôle fort de leur représentation et un référent. Ils sont leurs pairs. Nous étudierons, dans un premier temps, dans quelle mesure et en quoi ces «anciens » sont importants pour les futurs adoptants. Cela nous permettra de comprendre mieux la dynamique qui semble en jeu dans cette relation des pairs et nous verrons que, au-delà du témoignage et du soutien opérationnel, cette relation entre pairs a également une fonction symbolique. Enfin, nous nous pencherons sur une catégorie particulière des pairs, ceux qui sont organisés en associations.

Notes
354.

B. TRILLAT. L’adoption : essai sur les institutions. Lyon, PUL, 1995, p. 83.

355.

F. IMBERT. Médiation, Institution et lois dans la classe. Paris, ESF, 1994, p. 21.

356.

Il faut d’ailleurs noter que le préfixe ‘’inter’’ contient en lui-même ces deux dimensions : se mettre « entre deux » personnes équivaut à les relier et à les séparer en même temps.

357.

E.1, 6 et 3.

358.

E. 7, p.125.