-1.1.1- Les anciens : quels référents ?

Nous donnerons encore ici, avec quelques détails, les résultats du traitement quantitatif des entretiens. Ces éléments nous paraissent en effet très significatifs pour appréhender les fonctions de ces ‘’anciens’’.

Pour 17 359 couples rencontrés, (soit 65%) les anciens adoptants sont ou ont été une référence et pour 14 d’entre eux, (soit 55%) ces adoptants sont les premiers qu’ils ont rencontrés 360 . Ces références sont les seules dans les stratégies d’apparentement pour près de 50% des futurs parents (12/26) ; elles sont également les seules dans la construction de leur représentation de l’enfant pour près de 40%. Elles n’influent pratiquement pas sur les changements de représentation de l’enfant. Qui sont ces 17 couples ?

Ce sont majoritairement des couples sans enfant. Parmi les 8 situations donnant une absence de référents, 6 sont des couples avec enfants et parmi eux 4 ont des enfants nés de leur couple. Inversement, parmi les couples sans enfant, seuls 2 sur 13 disent ne pas avoir de référents. Cela semble confirmer ce que nous disions précédemment au regard de la socialité 361 du projet d’adoption. L’arrivée d’enfant dans la famille, en faisant parent, n’incite pas à aller chercher ailleurs d’autres références. En quelque sorte, le projet d’adoption est construit «en secret » 362 dans l’intimité familiale comme un petit trésor gardé jalousement loin des regards extérieurs et précise Madame «on est dans notre petit club, notre petit clan ». Il y aurait alors avec l’arrivée d’un enfant la construction d’une forme d’auto-référence de la famille et des parents.

Un autre point nous paraît important : le référent est celui avec lequel le postulant dit avoir des points de ressemblance réelle ou imaginée. Cette idée de ressemblance se retrouve dans 14 des 17 situations, sans que l’on puisse faire de lien ni avec la composition familiale, ni avec l’âge du couple, ni avec le niveau de diplôme 363 . Écoutons les futurs adoptants 364 évoquer leurs connaissances. Monsieur VERNE décrit les premiers adoptants rencontrés devenus leurs amis : « Question : et les premiers adoptants que vous avez rencontrés ? – Monsieur : …mais quand on a rencontré nos amis en 92, ce qui était intéressant, c’est que c’étaient des gens de notre âge, qui faisaient notre boulot, qui faisaient notre type de voyage…on recherchait une ressemblance avec nos connaissances… »et puis parlant des couples qu’ils ont reçus eux-mêmes, Monsieur ajoute «on voit qu’ils ont parcouru les mêmes problèmes, les mêmes chemins, ils sont dans la même incertitude… ». Madame GUILLOT parle des seuls adoptants que le couple connaisse : «oui, ils ont eu les mêmes problèmes que nous, les mêmes démarches ». Monsieur GIROUD a l’impression «de vivre la même chose (que les adoptants qu’ils ont rencontrés) ».Écoutons encore le couple MERLE : «Madame :  c’est le côté facile, le côté ‘’ça se passe bien’’, nos voisins avaient également des enfants biologiques, donc ils étaient dans la même situation que nous…- Monsieur : sur le même niveau ». Cette ressemblance réelle ou imaginée entre les adoptants et leurs référents eux-mêmes parents adoptants se retrouve dans 7 situations des 10 couples vivant le plus difficilement leur infécondité/stérilité.

Ainsi, la construction des représentations se ferait par élection des référents au regard de ce qui unirait, dans la ressemblance, et non au regard de ce qui séparerait dans la différence. « Se sentir plus proche de… », «les mêmes que nous » apparaissent comme des propositions disant d’une part le souhait du même («on cherchait une ressemblance avec nos connaissances ») et d’autre part une affinité construite sur cette représentation. Cela nous paraît être de nature à répondre partiellement à la question que posent J. MAISONNEUVE et L. LAMY 365  : « Percevons-nous autrui comme semblable parce que nous l’aimons, ou l’aimons-nous parce qu’il paraît semblable à nous-mêmes ? ». Au regard de ce qui nous été donné par les futurs adoptants, il semble que nous soyons plus sur la deuxième hypothèse, puisque ces sentiments du même naissent de rencontres entre personnes ou couples qui ne se connaissaient pas. Et ces ‘’connaissances’’, construites sur une similitude réelle ou imaginée, deviendront peut-être relations amicales. L’interprétation de ces mécanismes par les auteurs cités concorde avec la lecture que nous faisons des entretiens réalisés et du traitement quantitatif des données. En effet, J. MAISONNEUVE. et L. LAMY font « l’hypothèse selon laquelle l’attrait pourrait provenir moins d’une stricte ressemblance que d’une image de notre moi idéal » ; et faisant le lien avec les différentes formes de choix d’objet 366 , ils retiennent que « les affinités électives relèvent d’une dynamique et d’une harmonie complexes, où interviennent une part d’illusion et de narcissisme…. Ainsi la sympathie pourrait naître au confluent d’une ressemblance effective obscurément perçue et d’une similitude plus fantasmatique, ‘’mythisant’’ en quelque sorte autour de la première » 367 . Nous faisons nous-mêmes l’hypothèse d’une majoration de ce besoin de ressemblance chez certains couples adoptants, majoration mise en relation avec celle de la ressemblance souhaitée entre les adoptants et l’enfant.

Enfin, le troisième point que nous souhaitons mettre en valeur concerne les modes de construction de ces références. Majoritairement, ces rencontres entre pairs se construisent par connaissances personnelles, en dehors des associations ou organismes officiels. Pour 60% 368 des couples ou personnes rencontrées, ce sont donc les cercles relationnels ‘’primaires’’ 369 qui offrent ces possibilités de connaissances et d’échanges. Les associations d’adoptants et les services départementaux semblent intervenir dans 30% des opportunités offertes. Cet élément nous dit qu’aujourd’hui ces contacts sont aléatoires au gré des personnes et finalement sans lien majeur avec les organisations spécialisées. Mais en quoi ces rencontres sont-elles importantes ? Quels sont leurs effets sur les représentations des futurs adoptants ?.

Notes
359.

Nous retiendrons le nombre de 17 et non de 18 comme nous le donnent les résultats. En effet, 1 couple évoque ces référents sans que ceux-ci n’aient eu apparemment de fonction précise, ou plutôt dont les fonctions ont été minorées par l’arrivée d’un enfant dans le couple, questionnant alors le projet d’adoption.

360.

Annexe n° 11-10. p. 403. «Entretiens : lecture des données. La qualité des référents »

361.

2° partie - 231 : « Les phases d’ancrage et d’objectivation ».

362.

E 15, p. 243.

363.

Annexe n° 11-12. p. 405. « Ressemblance avec le référent ».

364.

E 24,10,15,17.

365.

J. MAISONNEUVE et L. LAMY.  Les relations électives. S/D S. MOSCOVICI. Psychologie Sociale. Paris, PUF, 1984, p. 175.

366.

2° partie. Chapitre 1 - 124 : « De la relation d’objet au choix d’objet ».

367.

J. MAISONNEUVE et L. LAMY : Ibidem. p. 178

368.

Annexe n° 11-11. p. 405. « Les modes de rencontres avec les référents ».

369.

Nous reprenons ici la distinction classique entre communauté et société. Cf : C. DUBAR.  La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris, Collin, 1996, p. 98 et suiv.