-1.1.3- La transmission de l’expérience de la parentalité et de l’apparentement.

Le traitement quantitatif des données fait apparaître cette dimension des apports sous deux angles : la transmission a pour objet l’expérience de la parentalité et l’expérience de l’apparentement 373 . Cette transmission d’expérience est une pédagogie de l’exemple. Nous avons là une des premières dimensions de l’accompagnement que nous retrouvons dans l’accompagnement spirituel : « Il n’y a pas d’autre moyen d’apprendre à fond que d’être guidé par quelqu’un qui l’a déjà réalisé… le père spirituel doit être un exemple vivant » 374 . C’est également ce que nous rappelle G. LE BOUEDEC quand parlant de la parole des anciens, il écrit 375  : « Elle s’enracinait dans l’expérience et n’allait jamais sans l’exemple : pour eux (les anciens) il était hors de question de conseiller ce qu’eux-mêmes ne pratiquaient pas ». Il semble bien que pour les futurs adoptants, les anciens aient, sans autre questionnement possible, ce statut de celui qui « sait comment » 376 . Mettons-nous encore à leur écoute 377 quand ils nous disent cette primauté du savoir expérienciel quand il s’agit de la construction de l’apparentement en adoption internationale et de la relation vécue avec l’enfant adopté. A notre question « Pourquoi iriez-vous chercher des réponses à ces questions auprès des personnes qui ont adopté ? ». Madame CHAPUIS répond « parce qu’elles savent, elles l’ont vécu, c’est les mieux placées pour nous répondre correctement… ils sont passés par ce qu’on devrait passer nous, alors… ».

Cette expérience est celle d’abord de la parentalité adoptive  que n’ont pas les professionnels qui « n’ont peut-être pas d’enfant adopté ». « Moi, j’ai encore une petite appréhension, dit Madame DUCRET, comment je vais faire le premier contact quand je vais voir cet enfant, qu’est-ce que je vais lui dire, je me pose ces questions… je pense à sa chambre ; toutes ces choses qu’une femme qui a adopté un enfant, elle s’est déjà posé ces questions, je vais peut-être réagir complètement différemment, mais ça va m’aider, ça va me donner un appui…. C’est-à-dire des gens qui ont des expériences positives de l’adoption… ‘’voilà l’expérience qu’on a eue, voilà l’enfant, il est là ». La même attente peut se lire dans les propos de Monsieur SIMON  : « J’aurais des questions à leur poser… sur l’arrivée de l’enfant surtout s’il arrive à un certain âge… et puis comment ça se passe et eux comment ils ont fait ; ça fera partie de ma quête, qu’est-ce qu’ils ont fait par rapport à certaines questions ». A l’interrogation de savoir si les professionnels pourraient avoir cette connaissance que les anciens ont acquise par expérience, Madame LECLERC répond ainsi : « c’est-à-dire oui, les familles adoptantes, c’est des gens qui ont vécu cette adoption concrètement, les embûches, et on se sent toujours plus proches de ces gens-là que d’un professionnel qui a certainement de l’expérience et un savoir mais qui n’a pas vécu les choses de l’intérieur ». Ceux qui « le vivent au jour le jour » sont également ceux qui ont fait ce chemin qui les a conduits à l’enfant et cette expérience est, elle aussi, précieuse.

Imaginant « adopter un enfant qui venait d’un autre pays, Madame RODET aurait été voir des gens qui avaient adopté dans ce pays, là oui, qui ont de l’expérience, pas par rapport à la vie de l’enfant, mais par rapport à des trucs administratifs… pour les démarches ». C’est ce que nous confirment Monsieur et Madame BERNARD : « Madame : moi, je pensais d’abord plus à l’assistant social et puis après effectivement s’il y a des gens qui ont adopté récemment au même endroit, peut-être plus avec eux parce qu’ils ont mieux vu le côté pratique. - Monsieur : oui, c’est ça, plus pour nous guider et après plus pour des questions matérielles ; vers des gens qui l’ont vécu récemment ».

Ainsi, nous voyons que cette expérience ne peut avoir un sens pour les futurs adoptants qu’à la condition, pourrait-on dire, d’avoir une unité de temps et de lieu. Au début de leurs démarches, quand les postulants entrent dans l’adoption, la présence des pairs est, en soi, un réconfort et un soutien moral : c’est le fait de rencontrer des ‘’gens qui ont adopté’’ qui est important. Construisant leur projet, lui donnant une direction quant à la stratégie d’apparentement, ils recherchent alors des appuis que nous qualifierons d’opérationnels ; ces appuis se concentreront ensuite vers ceux qui ont adopté dans le pays (ou la région) vers laquelle ils pensent se diriger.

Paraphrasant J. LAPLACE 378 , nous pourrions dire : pour le futur adoptant, « celui qui a déjà adopté est le livre où tout s’apprend ». Son expérience lui donne la légitimité et la compétence d’un savoir expérienciel qui est unique pour ce qui concerne la parentalité et majeur pour ce qui concerne la construction de l’apparentement.

Mais, au-delà de ce soutien opérationnel apporté par les anciens, nous souhaitons porter notre attention sur les fonctions que ces pairs peuvent avoir dans la dynamique de la filiation adoptive et plus particulièrement dans la parentalité future des  ‘’pas encore parents adoptants’’.

Notes
373.

Annexe n° 11-18. p. 409. «Relations actuelles avec les adoptants ».

374.

J. DANIELOU. La direction spirituelle dans la tradition ancienne de l’Église. In L’accompagnement spirituel .Paris, Assas, 1992, pp. 11-22.

375.

G.LE BOUEDEC.Les usages traditionnels de la notion d’accompagnement. In L’accompagnement en éducation et formation . Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 12-35.

376.

JC. REGNIER. Alternance et accompagnement : l’alternance : des évidences (en) aux questions. In Forum n° 93. Paris, 2000.

377.

E 13, 24, 3, 7, 8, 1, 21, 26.

378.

J. LAPLACE.  La formation du directeur spirituel In L’accompagnement spirituel. Paris, Assas, 1992, p. 61.