-1.3.1- Les associations d’adoptants : grandeur et limites du savoir expérienciel.

Nous commencerons par les associations regroupant les enfants et parents adoptants par pays d’origine : Associations des Parents et Enfants Colombiens, Association des Parents et Enfants Chiliens, Thaïs, Vietnamiens, Bulgares, Roumains… Ces communautés se donnent entre autres objectifs, celui d’accompagner les adoptants dans leurs démarches pratiques lors de leurs voyages dans le pays où ils vont chercher leur enfant. Sans fonction d’intermédiaire, elles interviennent en soutien aux adoptants quand leur projet d’adoption dans l’apparentement futur est construit. Nous pouvons retenir leur place spécifique dans la préparation des futurs parents dans cette dernière phase du chemin, leur donnant des conseils, des adresses…. Une autre place est celle de EFA qui peut intervenir, dès avant l’obtention d’agrément et pendant tout ce temps que nous avons appelé de marge ou de passage.

Écoutons ce que nous dit leur revue trimestrielle  Accueil  403 . « Les postulants attendent de EFA des informations pratiques et concrètes, des conseils, mais aussi des réponses aux multiples questions qu’ils se posent sur le vécu de l’adoption et sur les réelles possibilités d’adopter. EFA représente pour les postulants un lieu d’écoute bienveillante où ils rencontrent des familles qui, pour la plupart d’entre elles, ont vécu les mêmes difficultés, les mêmes souffrances…. Nous les aidons à clarifier leur projet, à bien cerner leurs limites en fonction d’éléments importants concernant l’enfant qui sera accueilli… nous favorisons un climat de confiance pour partager le vécu de l’adoption, pour permettre à chacun de poser ses questions, pour soulever avec les postulants des interrogations qui leur permettront de mûrir leur projet… nous sommes des familles témoins ». Nous pouvons différencier trois dimensions dans cette activité de EFA : le témoignage du vécu de l’adoption, l’information (sur des éléments « pratiques et concrets »), et l’ « accompagnement » permettant aux postulants de « clarifier et de mûrir leur projet ». A cela, il nous semble que nous pouvons ajouter une quatrième dimension, au moins au regard des attentes des futurs adoptants, peut-être au regard de ce qui est transmis dans les rencontres organisées : l’aide apportée à la réalisation de l’accueil effectif de l’enfant. Mettons-nous encore à l’écoute des adoptants rencontrés 404 . Madame PERRET dit le soutien qu’elle a trouvé dans son projet de se tourner vers la Colombie:  « on a rencontré une jeune femme qui faisait partie de cette association et qui nous a encouragés ». Monsieur et Madame FOURNIER disent eux leur déception proportionnelle à leurs attentes : « moi, j’aurais souhaité qu’ils nous disent comment ils ont fait pour en arriver là… pour accélérer les choses, c’est clair : comment il faut faire… en nous donnant leurs adresses à eux, en essayant de prendre le même chemin qu’eux, ça c’est intéressant ». Monsieur et Madame CHAPUIS ont, eux, le sentiment d’avoir obtenu ce qu’ils attendaient d’une responsable de EFA : «elle nous a parlé un peu d’adoption et qu’il est possible de passer par des filières, c’est-à-dire que faisant partie de EFA, ils ont un réseau d’adresses, de choses, donc elle nous a demandé ‘’vous voulez adopter où ?’’, donc on peut voir, en ce moment il y a des contacts sur tel endroit, tel pays il ne vaut mieux pas parce qu’il se passe des choses et on ne sait pas trop… ». Ayant participé à une réunion organisée par EFA, ce même couple a le sentiment de ne pas y avoir trouvé ce qu’il cherchait « on pensait que la réunion allait pousser un peu plus loin, et donner des indications sur tel pays… mais ce n’était pas l’objet de la réunion… chacun parle de son cas, après trois personnes ont parlé sur le pays où ils avaient adopté ». Monsieur et Madame MONTERRAT ont également adopté par l’intermédiaire d’un autre couple, adhérent à EFA d’un autre département, parlant des réunions EFA où ils sont allés, ils disent aussi leurs attentes : « … dans l’Ain, c’est la Chine et le Brésil, les autres pays n’existent pas… moi, je pensais, dit Madame, que EFA, ça parlait de tous les pays d’adoption, que eux pouvaient nous aider à aller dans le pays que l’on souhaitait, les démarches, mais … - Question : et ce que vous allez chercher à EFA, c’est ?- Monsieur : l’encadrement, de nous guider, de savoir où on met les pieds ». Nous retrouvons là une limite déjà rencontrée à la transmission de l’expérience.

Ainsi, l’association d’adoptants EFA, au-delà de sa dimension communautaire recherchée, ou refusée par les futurs adoptants, est porteuse d’une attente forte de la part de certains. Cette attente est celle de les aider à réaliser l’apparentement. Nous pouvons déjà en tirer un enseignement : pour ces futurs adoptants, ce ne sont pas les services départementaux qui peuvent répondre à ces attentes. EFA se retrouve, de notre point de vue, en situation de devoir répondre à des demandes qui peut-être ne sont pas de sa compétence et qui ne correspondent pas à ses finalités affichées. Dans ce sens, individuellement ou collectivement, les « anciens » sont non seulement témoins et pairs/pères de l’adoption, mais ils se voient également mis, par les postulants, dans une place d’intermédiaire ayant pour mission d’aider à la construction de l’apparentement.

La grandeur de cette expérience est aussi sa limite. Ce savoir expérienciel n’ouvre que sur lui-même et ferme les autres possibles. Monsieur et Madame MERLE 405 décrivent les contacts construits qui les ont conduits à attendre un enfant né au Vietnam : « ils nous avaient invités à l’anniversaire du petit, où il y avait essentiellement des gens qui avaient adopté et on s’est retrouvé au milieu de personnes qui avaient adopté au Vietnam… ». La présence des anciens comme ayant réussi et vivant l’adoption semble avoir une telle portée pour les futurs parents qu’elle pourrait en elle-même légitimer les pratiques d’apparentement. Cette légitimation des pratiques, avec renforcement du donateur dans la transmission qu’il en fait au donataire, est le propre du militant tel que l’analyse P. FUSTIER 406  : « Un des principes fondamentaux des groupes d’entr’aide est (le suivant) : c’est dans l’aide apportée à l’autre qu’on peut trouver solution à ses problèmes : donner et recevoir se confondent ». Transmettant sa pratique à l’autre, voyant cette pratique reprise, le donateur sort conforté lui-même dans ses choix. La légitimation de la pratique se fait par sa transmission.

Mais cette place d’intermédiaire, donnée aux anciens et prise par eux, peut être remplie officiellement par d’autres adoptants regroupés dans les Organismes Agréés pour l’Adoption : les OAA.

Notes
403.

Accueil  n° 6. Novembre 1995. p. 11 et suiv.

404.

E 1, 5,13, 16.

405.

E 17, p. 271.

406.

P. FUSTIER. Op. cité. p. 148 et suiv.