-2.1.3- L’intermédiaire en adoption : un acteur non trivial ?

A un certain stade du processus d’apparentement, nous savons que les futurs adoptants ont ‘’à faire confiance’’ à l’intermédiaire ; nous pouvons alors, dans certaines situations, voir les adoptants ‘’s’en remettre totalement’’ à lui, transférant leurs pleins pouvoirs, s’abandonnant. Plus généralement, la question est alors de savoir dans quelle mesure cet intermédiaire (qu’il soit un Conseil de Famille des Pupilles de l’État, un OAA ou un intermédiaire privé dans le cas d’une adoption internationale directe) peut/doit répondre aux attentes des postulants. Cela revient à poser la question suivante : qu’est-ce qu’un intermédiaire en adoption ? Nous considérerons, d’un point de vue systémique, les relations adoptants/intermédiaires soit comme complémentaires, soit comme symétriques. Une relation est symétrique quand, « dans une relation binaire, A et B considèrent que leurs comportements sont similaires et liés de telle sorte qu’un renforcement du comportement de A stimule un renforcement du comportement de B…. Si par contre, les comportements A et B sont dissemblables, mais s’accordent mutuellement…. et que leur rapport est tel qu’un comportement de A stimule un renforcement du comportement ‘’accordé’’ de B, la relation est alors complémentaire » 444 . Nous pensons que les intermédiaires peuvent se positionner parfois dans l’une et/ou l’autre de ces relations qui, nous dit G. BATESON peuvent, quand elles sont poussées à l’extrême, » devenir monstrueuses » 445 . Le mode complémentaire  assistance - dépendance normale quand il s’agit d’une relation parents-enfant, peut devenir symétrique (‘’plus tu m’assistes, plus je suis dépendant’’) et empêcher alors le développement de l’enfant. C’est bien cela que nous pouvons observer quand la confiance donnée à l’intermédiaire devient aveugle ; la toute-puissance transférée à l’autre n’a alors d’égale que la toute-puissance, plus forte encore que la première, à prétendre répondre aux attentes (aux commandes ?) des futurs adoptants. La relation donne alors le résultat suivant : ‘’plus tu dis avoir droit à tel enfant, plus je me fais fort de pouvoir y répondre’’. C’est alors que nous pouvons mieux comprendre les situations rencontrées où les adoptants ont modifié leurs représentations de l’enfant dans un resserrement de ces représentations autour de leur noyau central «par méconnaissance du processus, méconnaissance des droits, par manque d’information… » 446 ; ces informations sont à mettre en lien avec ce que disent Monsieur et Madame MERLE de la légitimation reçue des professionnels : « il nous a expliqué qu’il faut aller jusqu’au bout… il faut continuer, il faut aller jusqu’au bout ». La symétrie est relation en miroir, relation spéculaire relative au narcissisme ; pour nécessaire qu’elle soit, elle doit pourtant être ‘’complétée’’ par une relation complémentaire apportant du ‘’différent’’. Inversement, se positionnant sans nuance dans une relation complémentaire « tu t’abandonnes à moi et je t’adopte », intermédiaire et adoptants sont également entraînés dans une spirale, régressive pour l’adoptant, qui signifie à terme la perte de son autonomie et donc de sa responsabilité. La posture d’entre-deux de l’intermédiaire serait alors à rechercher dans une relation symétrique et complémentaire ; nous avons peut être là une des conditions de la posture d’entre-deux des postulants. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? De notre point de vue, cela signifie que l’intermédiaire a lui-même à trouver la bonne mesure, la bonne distance, en un mot à repérer la disponibilité des futurs adoptants. Nous avons précédemment insisté longuement sur ce point et voudrions le reprendre au regard de la place des intermédiaires. Pour cela, nous utiliserons la distinction opérée par E. MORIN 447 entre ce qu’il appelle les « machines triviales et non triviales ». Ainsi, dans une approche encore systémique de la complexité de l’adoption et de la construction de l’apparentement, nous pouvons comprendre les intermédiaires comme « des machines triviales et/ou non triviales ». « Est triviale, nous dit E. MORIN , une machine dont, si vous connaissez tous les inputs, vous connaissez tous les outputs ; vous pouvez en prédire le comportement…. ; tout ce qui concerne le surgissement du nouveau est non trivial et ne peut être prédit à l’avance ». Nous pourrions alors dire qu’un intermédiaire est un système trivial quand, ayant reçu une demande, une commande, il y répond sûrement, sans doute, sans incertitude. La Mission de l’Adoption Internationale, en tant qu’intermédiaire, est un système trivial : elle reçoit des commandes, les transmet telles quelles aux Autorités Centrales compétentes qui elles-mêmes vont y répondre le plus exactement possible. Nous sommes dans un système de boîtes aux lettres successives faisant entrer et sortir de l’information sans que cette information n’ ait pu être modifiée, sans qu’elle n’ait pu se modifier. Recevant la demande d’un enfant de moins de 6 mois, l’intermédiaire trivial donne un enfant de moins de 6 mois correspondant à ce qui lui était demandé. Inversement, le système non trivial travaille autrement, il n’est pas une simple boîte aux lettres, il serait plutôt ‘’une boîte noire’’ où quelque chose se passe et qui ferait sortir ‘’différente’’ l’information qui y est entrée. Nous pouvons alors imaginer que ce différent puisse être travaillé sur les deux termes de la relation, c’est-à-dire chez les futurs adoptants dans leur disponibilité et au regard de l’enfant quant à son adoptabilité, afin précisément de faire au mieux correspondre les deux. Un intermédiaire est alors non seulement celui qui sépare mais également celui qui  relie  dans l’incertitude de la rencontre. L’intermédiaire devient, dans l’apparentement, celui qui, à partir de leur désir d’enfant, permet aux futurs parents d’être disponibles à l’enfant qui leur sera confié. Nous trouvons dans ce travail des intermédiaires une autre dimension de l’accompagnement qui, « attention permanente à sa propre attitude contre le fantasme de toute puissance », comme le précise G. LE BOUEDEC nécessite « la conscience qu’il va se passer quelque chose qu’on ne peut pas imaginer d’avance…. (et la conscience) peut être de vivre d’ultimes ou de nouvelles expériences fondatrices » 448 . Les intermédiaires auraient alors à permettre aux adoptants d’articuler le contenu de leur agrément à la réalité des enfants.

Il nous faut alors reconstruire la réalité telle qu’elle circule dans les représentations du ‘’monde de l’adoption’’. Selon ces représentations, les OAA seraient des intermédiaires non triviaux et les intermédiaires de l’adoption directe (ceux en exercice dans les pays d’origine des enfants) se contenteraient de répondre à la commande reçue des futurs adoptants. Le réel de l’apparentement nous paraît plus complexe. Et nous proposons de reconstruire cette réalité avec la distinction de E. MORIN : la ligne de partage ne serait pas marquée selon le processus administratif de l’apparentement, c’est-à-dire avec la distinction entre adoptions par OAA et adoptions directes, mais par la capacité de ces intermédiaires (quels qu’ils soient) à faire travailler les deux termes de la relation afin que, mutuellement, ils puissent s’apparenter. Les 36 réponses au questionnaire national envoyé aux OAA 449 donnent à comprendre des différences de pratiques : 18 nous paraissent travailler dans le sens où « la meilleure adéquation possible est recherchée entre l’enfant et la famille, dans le sens de ‘’une famille pour un enfant’’ », dans le sens également où « la priorité est donnée à la préparation des futurs parents à l’accueil d’un enfant différent ». Inversement, d’autres OAA demandent aux postulants « de déterminer l’âge et le sexe de l’enfant qu’ils veulent adopter ». Nous souhaitons signifier ainsi la nécessité de la ‘’bonne’’ mesure à construire entre deux écueils : soit le trop fort collage des intermédiaires aux représentations des adoptants, leur faisant rechercher l’enfant qui parfaitement pourrait y correspondre ; soit la trop grande distance d’avec ces représentations au risque de ne plus garantir la ‘’greffe’’ de la filiation adoptive. Nous avons insisté précédemment sur l’élaboration de ces représentations au regard de leurs noyaux centraux et périphériques ; ce que nous avons dit de la nécessaire évaluation de la disponibilité des postulants à l’agrément nous semble également à l’œuvre quant à la construction de l’apparentement.

Nous avons donc repéré ceci : pour les futurs adoptants, accompagnement et efficacité sont indissociables. Selon le chemin qui sera choisi, ces futurs parents rencontreront, plus ou moins facilement, plus ou moins longtemps après l’obtention de leur agrément, un intermédiaire par lequel ils accueilleront leur enfant. Cet intermédiaire peut être soit un OAA, soit les professionnels départementaux pour un pupille de l’État, soit un intermédiaire dans le pays d’origine de l’enfant, soit éventuellement la Mission de l’Adoption Internationale. La question est alors de savoir ce qui se passe et comment se passe ce temps qui constitue, dans la marge du rite de passage, une marge plus fortement ressentie Il convient alors que nous nous tournions vers les postulants et que nous soyons attentifs à leurs attentes et demandes, celles adressées aux professionnels départementaux. Après avoir approché l’accompagnement qu’ils pensent trouver auprès de leurs aînés, anciens adoptants, après avoir compris la place centrale des intermédiaires, nous nous tournons vers les travailleurs sociaux qui, pourrait-on dire, ont déjà deux ‘’casquettes’’, celle d’évaluateur et celle d’intermédiaire.

Notes
444.

G. BATESON. Op. Cité. p. 281.

445.

G. BATESON. Ibidem. p. 282. Nous voulons simplement souligner alors que ni l’une ni l’autre n’est, en soi,‘’bonne’’ ou ‘’mauvaise’’.

446.

E 9 et 17.

447.

E. MORIN. Op. cité. p.109.

448.

G. LE BOUEDEC. Diriger, suivre, accompagner. In Cahiers Binet-Simon. Toulouse, Erès, 1998, p. 53-64.

449.

Annexe n° 15. p. 426 : « OAA : lecture du questionnaire national ».