-2.2.1- Accompagner : c’est offrir un contenant  garantissant la permanence du lien.

Nous entendons par contenant ce qui tient ensemble et ce qui fait que ‘’ ça ‘’ tient ensemble. Cet ‘’ensemble’’ que dit le préfixe ‘’cum’’ nous semble d’abord référé à l’institution 454 , c’est-à-dire au construit dans ce qu’il offre comme réceptacle. Qu’il s’agisse de dispositifs institutionnels, qu’il s’agisse de modalités de relations construites ensemble par les adoptants et les travailleurs sociaux ou bien qu’il s’agisse de dispositions particulières propres à rassurer les adoptants futurs sur le fait qu’ils seront entendus et compris, le « contenant » de l’accompagnement des adoptants nous semble pouvoir être essentiellement compris, dans le temps, comme cadre garantissant la permanence du lien entre les adoptants et les travailleurs sociaux, entre les adoptants et les autres acteurs de l’adoption. Ce contenant nous semble correspondre aux souhaits exprimés d’ « être soutenus, encadrés » 455 . Si le lieu de l’accompagnement est la permanence du lien, le temps de l’accompagnement serait l’accompagnement du temps.

C’est une question première que celle de ce ‘’premier pas’’ ! Nous savons que les adoptants avec leur agrément obtenu ont le sentiment d’être perdus. Mais leurs attentes ne sont pas homogènes. Ils sont 6 456 sur 26 à souhaiter une relance systématique par les services départementaux ; les autres couples sont soit plus nuancés soit souhaitent garder l’initiative de ces rencontres. Si Madame MONTERRAT 457 , laconiquement, souligne simplement « après l’agrément plus de nouvelles », Monsieur FOURNIER s’énerve un peu quand il dit son attente : » (la personne qui nous accompagnerait), c’est celle qui nous expliquerait pourquoi il faut attendre ; en fait, on attend un coup de téléphone, on attend, on est à la merci de ces personnes-là, alors que je me demande si ça ne devrait pas être le contraire». Téléphoner ou écrire une lettre ? Monsieur et Madame MARTIN 458 se demandent qui pourrait bien prendre cette initiative. Eux ? La Dipas ? Les deux ? « Madame :  à partir du moment où on a cet agrément, il n’y a plus rien, à part nous, si on veut téléphoner ou écrire une lettre… je comprends pourquoi on dit ‘’préparez-vous’’… mais il y a plus rien qui nous le rappelle, à part nous. Vous allez dire ‘’ça dépend de nous’’, d’accord ; je ne sais pas, je trouve dommage, peut-être il pourrait y avoir un petit quelque chose… un petit courrier, une fois de temps en temps. – Monsieur : mais c’est à nous aussi de montrer le chemin parce que pour Noël, on pourrait envoyer une carte ou autre chose». Cette ambivalence dont chacun des deux membres du couple porte un des termes peut être comprise comme ambivalence de chacun ; nous la retrouvons dans l’entretien suivant avec le couple LECLERC : « Monsieur : une fois qu’on a eu l’agrément, on s’est dit ‘’bon, on va avoir des nouvelles, en fait on n’a eu aucune nouvelle…- Madame : non, moi je savais que c’était à nous de reprendre le flambeau… ». Écoutons encore Monsieur et Madame LAURENT « c’est vrai que c’est à nous de faire la démarche, je le pense sincèrement, mais d’un autre côté la Dipas n’a jamais repris contact avec nous pour nous dire ‘’tiens, vous avez eu votre agrément, où est-ce que vous en êtes par rapport à votre projet ?’’ ; ça n’existe pas, il n’y a pas d’accompagnement.». Pour Monsieur et Madame DUCRET il n’y a pas d’impératif à cet appel de la Dipas mais le sentiment que «ça fait toujours plaisir d’avoir des nouvelles… ça nous ferait du bien». Au-delà de la lecture de ces demandes fortement exprimées sous forme de dû, mais aussi sous forme de don, nous retiendrons la disparité de ces demandes avec le souci de ne pas y apporter une seule réponse homogène. La relance administrative peut aussi contenir une forme de  reliance sociale  dans le lien maintenu, dans le lien re-noué, après le passage du seuil de l’agrément.

‘’Faire lien’’ : voilà une deuxième caractéristique que nous souhaitons retenir pour approcher la notion d’accompagnement. Ce lien, « seul lien » pour le couple GIROUDa valeur pour nous de permanence, ou, comme le dirait P. RICOEUR, de la «mêmeté du soi» 459 qui permet à l’autre de compter sur lui. Accompagner prend alors le sens d’ « être là » ?. C’est une présence à soi pour pouvoir l’être à l’autre, disponible : «se sentir à l’aise, c’est par le regard… on sent ou on sent pas… c’est trouver quelqu’un de disponible au moment où on en a besoin ». Monsieur SIMON 460 y ajoute la relation directe et le sentiment d’être reconnu «il n’y avait pas de distance… le fait de pouvoir appeler aussi après, une disponibilité… voilà on appelle, on a directement notre interlocuteur, il nous reconnaît tout de suite». Cette permanence du «visage» qui convoque à l’altérité et dit la disponibilité de l’accompagnant apparaît, dans le traitement quantitatif des données, comme attente majeure des adoptants 461 .

Le lien attendu dans la relation d’accompagnement l’est également dans les liens que l’accompagnant peut construire et maintenir autour des adoptants. Ce «faire lien» apparaît comme leur première demande 462 . Accompagner devient alors dessiner une sorte de trait d’union, une conjonction de coordination assurant la liaison entre les adoptants et ceux, OAA, autres adoptants, imaginés comme pouvant aussi accompagner. Pour le travailleur social, accompagner n’est pas prétendre, dans une illusion donnée de toute-puissance et d’omniscience, apporter toutes les réponses, mais de permettre aux adoptants d’aller aussi eux-mêmes chercher ailleurs des informations, des questions, des réponses. Il y a dans cette mise en réseau des adoptants «effacement de soi-même» comme le préconise A. GODIN 463 . Donnons quelques exemples de ces souhaits formulés. «Monsieur : vous, vous nous connaissez, que vous soyez intermédiaire avec les associations, pour faire le contact… être avec nous quoi» 464 . Pour Monsieur FOURNIER, «il faut bien que les œuvres sachent à qui ils ont à faire… et bien à ce moment-là, répond Madame, qu’ils prennent contact avec vous». Le souhait d’une «interface associations - État» est évoqué par Monsieur PASQUAL. Pour Monsieur et Madame PONCET, «il serait bien que la Dipas aide un peu pour tout ce qui est démarche… en prenant contact avec des œuvres, pour l’adoption internationale, que la Dipas se mette en contact avec elle…». Ces liens maintenus avec les associations ont certes l’objectif de faciliter les relations futures adoptants-OAA, ils ont une autre fonction qui nous semble majeure dans la construction de l’apparentement et qui s’élargit à l’ensemble des intermédiaires potentiels : celle d’être le garant. Accompagner, c’est se porter garant. Nous reprendrons plus complètement cette notion quand nous étudierons la question de la responsabilité dans l’adoption, mais attardons-nous un instant sur la signification de ce souhait des futurs parents. Madame FOURNIER 465 demande que la «personne qui (les) accompagnerait se renseigne (sur eux)», et d’ajouter«et puis ça peut appuyer les choses, il faut être franc. Enfin, on est assez sérieux pour que quelqu’un puisse dire qu’on est sérieux. – Monsieur : une personne au milieu, elle peut mettre la pression». Et le couple demande la réciproque afin d’être assurés qu’ils «peuvent leur faire confiance». Nous avons dans cet entretien les deux termes, articulés par le travailleur social, de la confiance. Le travailleur social qui accompagne se porte garant de l’intermédiaire devant les adoptants et se porte garant de l’adoptant devant l’intermédiaire. Étymologiquement, ‘’répondre de’’ nous arrive du latin ‘’respondere’’ qui a donné ‘’responsable’’. Le responsable est celui « qui répond de…, non d’abord de lui-même mais d’un autre, celui dont il se porte garant…. La responsabilité désigne un rapport triangulaire entre le responsable, celui dont il répond et celui devant qui il répond » 466 . Accompagner, c’est ‘’répondre de’’. Cette responsabilité de l’accompagnant nécessite de pouvoir faire travailler les deux autres termes de la triangulation, cela nécessite une bonne connaissance des adoptants et des intermédiaires, ce que A. LHOTELLIER nomme les «compétences communicationnelles et situationnelles» 467 .

Cette permanence du lien nous paraît également à comprendre comme permanence du cap, comme pour montrer encore la direction qui a été choisie par l’adoptant, nous pourrions dire, pour signifier aux adoptants que leur projet est toujours là, présent à nous qui sommes «engagés» avec eux. Nous ne serions pas sur une posture qui dirait la direction, mais qui dirait «que le projet est toujours là», dit Madame DUCRET et ajoute-t-elle « ça nous ferait du bien ». Il ne s’agit pas de pousser ou tirer les adoptants à réaliser impérativement leur projet, mais de le leur rappeler comme objet construit par eux et projeté devant eux. Madame MERLE dit de cet accompagnement qu’il permettrait « de repartir, donner du mouvement… et surtout relancer la machine ».Accompagner, c’est maintenir le cap tel qu’il a été et reste déterminé par les adoptants.

Enfin, cette permanence du lien est celle qui fait unité de temps, comme si le temps de l’accompagnement était finalement l’accompagnement du temps. Cet accompagnement du temps peut être compris comme reliant le début à la finalité ; il est aussi à comprendre comme scansion du temps, accompagnement ‘’bornant’’ la route et offrant ‘’de temps’’ en ‘’temps’’ de faire une pause et de faire le point. Plusieurs entretiens parlent du travailleur social comme de celui qui «était là au début», «de celui qui nous connaît bien de A à Z» 468 ; les couples disent alors leurs souhaits de «visites régulières» 469 , «de rencontres au moins une fois chaque année» 470 . Mais, nous ne pouvons résister au fait de redonner in extenso les images qui viennent à certains quand ils évoquent ces rencontres avec les professionnels ou les futurs intermédiaires. Madame GUERIN reprend sa métaphore de la grossesse et compare les différentes étapes vécues à des «échographies… et même à ma première échographie, on vous dit ‘’on voit pas bien’’, on est un peu soucieux, mais bon… mais on espère qu’ils verront mieux à la seconde, ce sera bon». C’est encore cette métaphore de «l’échographie qu’elle n’a pas encore passée pour voir si c’est un garçon ou une fille» qui nous est donnée par Madame GIROUD. Il est question alors de «visites prénatales». Nous souhaitons intégrer dans l’accompagnement cette notion de durée dont F. LEDUC a souligné l’importance 471 , en y ajoutant cette nécessité de fixer des échéances, repères permettant aux adoptants d’inscrire leur projet dans leur temps, leur permettant de se le réapproprier. Accompagner, c’est scander le temps.

Donnant les contours de ce que serait le ‘’contenant’’ de l’accompagnement, nous l’avons artificiellement séparé de son contenu. Nous voudrions cependant souligner la nécessité de ‘’com-prendre’’ les deux dans un même mouvement. C’est que le fait même d’offrir aux adoptants un contenant d’accompagnement a, en soi, valeur de contenu dans l’espoir, ainsi gardé par le professionnel et offert dans le dispositif. Accompagner, c’est espérer., «valeur fondamentale» rappelle G. WIEL 472 . Et cette ‘’espérance’’ qui connote religieusement cette disposition de l’accompagnement rejoint celle des adoptants comme le dit si bellement Madame LAURENT « demander, c’est espérer ».

Il nous semble alors que ce contenant est à remplir, ensemble, et par les adoptants et par les travailleurs sociaux.

Notes
454.

G. WIEL. L’accompagnement nécessite un dispositif institutionnel ». S/D G. CHAPAZ. Accompagnement et formation. Op . cité. p. 26.

455.

Annexe n° 11-24. p. 415. «Accompagnement : quelles significations données par les postulants».

456.

Annexe n° 11-23. p. 414. «Attentes exprimées par rapport à la Dipas».

457.

E 16 et 5.

458.

E 6, 8, 9, 3, 15.

459.

P. RICOEUR. Op. cité. p. 195.

460.

E 7, p. 141.

461.

Annexe n° 11-23. p. 414. « Attentes exprimées par rapport à la Dipas ».

462.

Annexe n° 11-23. p. 414.

463.

A. GODIN. La relation d’aide en psychologie et en pastorale. In L’accompagnement spirituel. Op. Cité pp. 157-170.

464.

E 2, 5,18.

465.

E 5, p. 113.

466.

F.EWALD. L’expérience de responsabilité. In Qu’est-ce qu’être responsable ?. Auxerre, Sciences Humaines, 1997, pp. 55-82.

467.

A. LHOTELLIER. Postface. Accompagnement en éducation et formation. pp. 185-200.

468.

E 12, p. 206. 

469.

E 8, p. 153.

470.

E 6, p. 125.

471.

F. LEDUC.  Conflit moral et croissance spirituelle. In L’accompagnement spirituel. Op. cité.  p. 193-204.

472.

G. WIEL.  La démarche d’accompagnement. In Accompagnement et Formation. Op. cité. p. 42.