J. BIARNES 473 nous dit que «tout acteur social se doit d’être un créateur d’espace de création». C’est bien de cela dont il s’agit. Le projet d’adoption est une création, projet indéterminé de l’adoptant rejoint par le travailleur social. Nous comprenons aussi la notion de ‘’création’’ dans son sens winnicottien où les adoptants feront leur ce qui leur sera donné.
La condition à cela semble tenir en un seul mot : la confiance. Cette confiance dit la foi en l’autre dans la réciprocité. Pour accompagner, il faut croire en l’autre. Monsieur MASSON le souligne avec force «La confiance ne peut être que totale sinon ça ne marche pas». Les entretiens montrent l’importance de cette qualité de la relation. Les 5 couples qui «ne savent pas à qui ils pourraient faire confiance» 474 (excepté à eux-mêmes pour 3 d’entre eux) sont ceux qui n’ont aucun contact et ne savent pas comment ils construiront l’apparentement. Nous pourrions dire que c’est là une condition de l’accompagnement. Se joue vraisemblablement dans cette confiance réciproque de l’accompagnement un des éléments de ce que nous pourrions nommer l’ «emboîtement» des confiances, pour reprendre un terme de P. RICOEUR quand il parle des finalités, emboîtement qui, de garant en garant, permettra aux futurs parents de donner une dernière fois leur confiance à l’intermédiaire qui leur confiera un enfant. Mais, nous le savons, la confiance ne se décrète pas. Cela nous conduit à considérer que la capacité de l’accompagnement est une disposition subjective de l’acteur social et donc qu’il ne saurait faire l’objet d’une mission, d’une commande institutionnelle. Si le cadre du contenant doit clairement être référé à un dispositif repérable, le contenu reste lui de l’ordre de la rencontre. Quand, de part et d’autre, pour les adoptants et/ou pour le travailleur social, cette confiance manque, il serait alors nécessaire de proposer un autre intervenant, offrant une autre possibilité de rencontre.
Mais que signifie pour les adoptants ‘’être accompagné’’ ? Nous nous réfèrerons à leurs réponses 475 et distinguerons ce qui est relatif à la relation («être écouté, ne pas être oublié»), ce qui est relatif à leur projet («être validé, aiguillé, éclairci») et ce qui concerne les demandes liées aux compétences techniques de l’interlocuteur («être informé»).
«Être écouté», c’est «faire à l’autre un espace en moi» comme l’énoncent d’une même plume C. et D. FAVRE 476 . Écoutons justement Madame et Monsieur MASSON : «Monsieur : être accompagné, c’est pouvoir dialoguer, une personne que l’on peut rencontrer – Madame : avoir une oreille attentive… c’est ça, avoir une oreille attentive». Sans approfondir la signification de cette notion d’écoute, ni le sens qu’elle peut prendre pour l’accompagné, retenons que le sentiment d’être écouté et compris est au cœur de l’accompagnement. L’écoute est présence à l’autre qui n’a alors plus le sentiment d’» être oublié ». Nous avons là, en écho, la problématique de l’abandon et celle de l’adoption, comme si les futurs adoptants avaient eux-mêmes la crainte d’être abandonnés, abandon qui mettrait en danger leur projet d’adoption. Monsieur GIROUD voudrait savoir « si on cause de (lui), si on ne les a pas oubliés ». Madame MARTIN se demande s’ils n’ont pas été «relégués dans un tiroir, dans un dossier ». Accompagner l’autre est alors l’assurance qui lui est faite qu’il n’est pas abandonné.
L’approche roggerienne nous est ici précieuse pour saisir toutes les dimensions de cette relation : relation de soi à soi dans la disponibilité, la « passivité » dirait P. RICOEUR, le creux permettant à l’autre « d’accéder lui-même à sa propre intériorité » 477 . C’est d’une écoute active dont nous parlons. Écouter l’autre n’est pas se taire, mais sans cesse, dans une forme d’empathie, «légèrement » comme l’écrit si bien JY. BAZIOU 478 , être en position de miroir pour relancer le questionnement permettant à l’autre d’approfondir, de préciser, de déplier sa pensée et ses émotions, de se déplier soi-même. C’est Monsieur PASQUAL qui nous offre cette dimension de l’accompagnement et qui la formule de la meilleure façon : « comme dans tout projet, avoir un miroir devant soi… avoir quelqu’un avec qui en parler… c’est ça, avoir un miroir devant soi ». En posture de miroir, l’accompagnant est là pour permettre la réflexion. L’accompagnement permettrait alors ce jeu de miroir ‘’entre’’ et ‘’en’’ les acteurs. G. CHAPPAZ 479 met l’accent sur le fait que l’accompagnateur est « le se disant, le s’exprimant ». Nous voulons insister sur le fait que ce miroir permet aussi à l’un et à l’autre de « se réfléchir » dans un mouvement de réversibilité. Ce renvoi de l’image a pour nous également valeur de renvoi du questionnement, au fait du questionner qui, nous rappelle C. GARDOU 480 « se trouve plus que jamais au cœur du penser ». L’accompagnement serait cet art proche de la maïeutique de Socrate faisant accoucher l’autre, accouchement de ses projets et de lui-même. Permettons-nous de faire ici le lien avec l’adoption d’où précisément l’accouchement est absent pour la mère et cependant autrement présent pour les deux parents futurs. Nous avons précédemment approché le questionnement en précisant qu’il permettait à l’évaluateur de ‘’creuser’’ et aux postulants de ‘’se creuser’’. Nous sommes dans l’accompagnement post-agrément dans la même dynamique. Il ne s’agit pas de clore la relation par des réponses, mais de l’ouvrir par un questionnement fécond invitant l’autre à construire lui-même son propre chemin. Le questionnement invite à la parole, comprise comme expression totale de la personne et cette parole est, en soi, performative. « C’est important d’en parler (du projet), c’est déjà le concrétiser » 481 . « Concrétiser » ? Pour Madame LECLERC, ce « concrétiser » signifie que « on se sent presque déjà un peu plus parents adoptants… on en parle… c’est vraiment du concret, on est dans le concret, il manque juste l’enfant. ». Pour Monsieur MASSON encore, « en parler, c’est commencer à adopter un peu aussi ». Dire est déjà commencer à faire.
En effet, si l’accompagnement reste bien centré sur le sujet auteur, il doit également permettre au sujet acteur de construire son projet. Nous avons dans le terme projet l’idée de direction. Insistons sur le fait que cette direction est définie par les adoptants ; sans se substituer à eux, le travailleur social peut aider à définir cette direction, ce que Madame MARECHAL désigne par «aiguiller ». Dans la grande gare de départ de l’apparentement, accompagner signifie informer, donner les différentes directions possibles, les différents chemins que nous avons décrits Au-delà des dimensions liées à la notion même de projet, nous voudrions mettre en lumière deux demandes formulées par les adoptants : l’aide souhaitée pour éclaircir et valider le projet, l’aide pour changer peut-être de direction. « Éclaircir les choses » : voilàpour Madame MOREL la signification de l’accompagnement . Monsieur SIMON se dit « perturbé par l’ordre. un peu perdu. ‘’Faut-il qu’on refasse une ou deux vitro et qu’on adopte ou l’inverse’’. Là, je suis un peu perdu ». D’autres souligneront également combien ils sont ou étaient «perdus, sans savoir par où aller » 482 . Devant la complexité des processus, devant l’incertitude de l’environnement spécialement en adoption internationale, les futurs adoptants ont alors besoin d’un professionnel capable d’analyser leur situation, de proposer différentes possibilités, d’unifier avec eux conception et réalisation, de repérer les difficultés et points de blocage, de faire apparaître les contraintes et les opportunités, dans ce que JP. BOUTINET nomme « une exploration perceptive » 483 . Élaboré, ce projet peut aussi avoir besoin d’être « validé » 484 . Cette validation qui est aussi garantie donnée par l’institution, nous semble d’abord être confirmation, « attestation » de l’autre et de son projet ; «ils m’ont compris, ils me suivent dans mon projet, c’était merveilleux » s’exclame Madame TISSERAND. Cette « attestation », nous dit P. RICOEUR, est « l’assurance – la créance et la fiance – d’exister sur le mode de l’ipséité » 485 .
Mettons enfin l’accent sur une autre facette de l’accompagnement : celle de permettre, dans les deux sens du terme autoriser et guider, un changement de direction. Nous savons que l’obtention d’un agrément n’équivaut pas à devoir adopter et la réalisation peut être re-questionnée , spécialement pour les couples ayant déjà des enfants. Monsieur et Madame BERNARD semblent profiter de l’entretien que nous avons pour faire le point : « Question : et entre vous, quand vous en reparlez, vous vous dites quoi ? – Madame : eh bien, on n’en a pas reparlé depuis très longtemps…. Sauf hier soir, douche froide où il m’a dit ‘’à mon avis, on ne devrait plus le faire….- Monsieur : oui, j’ai besoin de réfléchir et je me pose beaucoup de questions ».
Nous avons décliné certaines facettes de ce contenu de l’accompagnement, contenu co-construit, pourrait-on dire, par les adoptants et le travailleur social : éclairer, éclaircir, valider, aiguiller, changer de direction… autant de verbes permettant de décliner l’accompagnement. La posture du travailleur social est alors celle de l’empathie, de l’écoute, du miroir, dans une disponibilité invitant l’autre à grandir et à faire grandir son projet. Pour autant que soient nécessaires ces dispositions, elles sont également à articuler à une autre posture de l’intervenant, posture faisant fonction, non pas de pouvoir, mais d’autorité.
J. BIARNES. Op. p.155.
Annexe n° 11-21.Page 412.» La confiance donnée pour la réalisation du projet »
Annexe n° 11-24. Page 415 « Accompagnement : quelles significations données par les postulants ? ».
C.et D. FAVRE. Ecoute, Empathie, affectivité : du concept à la réalité. In Accompagnement et formation p. 78.
C. PHILIBERT et G. WIEL . Accompagner l’adolescence. Du projet de l’élève au projet de vie. Lyon, Chronique Sociale, 1998, p. 79 et suiv.
J. Y. BAZIOU. Apprendre des jeunes. In L’Accompagnement spirituel. Op. Cité. pp. 231- 242.
G. CHAPPAZ. Op. Cité. p. 80.
C. GARDOU. Op. Cité. p. 232.
E 4, p. 103.
E 11, p. 190.
J. P. BOUTINET. Op. Cité. p. 255.
E 7, p. 141.
P. RICOEUR . Op. Cité. p. 351.