-1.3.1- La visée de la vie bonne : être parent et avoir un enfant.

Nous avons compris cette visée pour les adoptants comme étant celle d’être parents. Pour que cet état parental puisse advenir, il faut donc pour l’adoption qu’il y ait apparentement, que les chemins de l’enfant et de ses futurs parents se croisent. Ainsi, il semble bien que cette visée de bonheur prenne comme moyen l’apparentement. Il y a bien un rapport de subordination entre les deux. L’apparentement et les chemins empruntés pour rencontrer un enfant adoptable pourraient donc relever des moyens, de l’impératif hypothétique de KANT et donc de la délibération aristotélicienne. Peut-on cependant opérer ce clivage moyen/fin aussi radicalement ? Nous reprenons encore cette question.

Nous avons précédemment noté la lecture dialogique que nous devons faire de la praxis et de la poïeis et noté l’importance de l’action dans l’éthique d’ARISTOTE. L’homme se fait en faisant (conception empirique) et le sage recherche une consonance interne entre fin et moyens. P. RICOEUR reprend cette dimension en soulignant que «les configurations d’action... procèdent d’un mouvement de va-et-vient entre des idéaux lointains... et la pesée des avantages et des inconvénients du choix au niveau de la pratique » 539 . Ainsi, nous pourrons repérer et distinguer différents niveaux de finalités et d’objectifs (moyens) : telle action peut être considérée comme objectif immédiat nécessaire à atteindre pour une finalité plus lointaine. « L’emboîtement des finalités » est l’articulation des différents niveaux - maintenant/demain - partie/tout - fin immédiate/finalité. Nous pensons donc que l’apparentement est une action qui a pour les adoptants une signification construite à partir de leurs représentations et partant, de leur système de valeurs. Cette action, avec ses différents niveaux, donne ainsi à comprendre les adoptants eux-mêmes et leur éthique. « Interpréter le texte de l’action, dit P. RICOEUR 540 , c’est pour l’agent s’interpréter soi-même. au plan éthique, l’interprétation de soi devient estime de soi ». Le mouvement réflexif sur l’action menée permet le moment réflexif sur soi.

Ainsi, «le secret de l’emboîtement des finalités » 541 réside bien dans le rapport entre action et visée. En comprenant l’interprétation qu’en donnent les adoptants, nous pourrions ainsi en approcher l’emboîtement. La question serait alors : ‘’Qu’est-ce qui dans l’apparentement relève pour les adoptants des finalités et des moyens ?’’. Nous retrouvons ici la question de la finalité que nous pensions avoir élucidée à partir d’une problématique du désir : peut-être est-ce un peu plus complexe que cela ? Ce «secret de l’emboîtement des finalités » est aussi la question que se pose C. AUDARD 542 . Pour la philosophe, il convient de modifier notre compréhension du désir, afin d’articuler désir et devoir. La distinction est alors opérée entre le désir ayant un objet et celui visant des fins plus générales. Le premier se rapporte à l’avoir, le second à l’être. Ce désir plus élevé permet au sujet de coordonner et hiérarchiser les premiers «en un système de moyens et de fins relativement cohérent. Et parler de cohérence renvoie, bien sûr, à la raison. Nous retrouvons la rationalité (kantienne) au sein même de l’Éros » 543 . Cette capacité de hiérarchisation des désirs est ainsi la preuve de l’autonomie du sujet. Évaluant les conséquences positives de ses désirs «pour lui-même et pour les autres impliqués », le sujet donne alors à voir des «désirs rationnels ou éclairés ». Nous avons avec cette approche un point de vue très utilitariste et conséquentialiste de la morale. Utilitariste dans le bien recherché pour le sujet et «les autres impliqués » 544 . Conséquentialiste dans le fait qu’est considéré comme moral le désir entraînant des conséquences positives pour l’agent et ceux qui sont impliqués. Cette visée éthique semble quelque peu étriquée, pour paraphraser M. SERRES. Nous pouvons cependant retenir les éléments suivants :

  • Les désirs peuvent être hiérarchisés par le sujet en fonction de l’objet à atteindre. Ce qui ‘’est posé devant’’ relève soit de l’avoir soit de l’être. Vraisemblablement, c’est le désir lié à l’être qui tend vers des finalités supérieures.
  • Désir et devoir ne sont pas inconciliables. Sans s’arrêter à un jugement de valeur sur l’objet du désir et sur l’intention de l’acteur, nous pouvons considérer, dans ce sens, comme ‘’morales’’ les actions dont les conséquences sont positives. La question est alors de savoir «pour qui ? ». Nous reprendrons cela dans le principe de responsabilité. Il est en effet évident que l’apparentement aura des conséquences positives pour l’adoptant et l’adopté. Mais est-ce bien suffisant pour juger moral cet apparentement ?

Notes
539.

P. RICOEUR. Ibidem. p. 210.

540.

P. RICOEUR. Ibidem. p. 211.

541.

P. RICOEUR. Ibidem. p. 209.

542.

C. AUDARD.  Les désirs humains ont-ils leur place en morale? in Magazine Littéraire n°: 361, p. 79.

543.

C. AUDARD. Ibidem. p. 81.

544.

L’école anglo-saxonne de l’utilitarisme vise le plus grand bien pour le plus grand nombre. L’aporie de cette approche est énoncée ainsi par R. OGIEN. Qui a peur des théories morales? Magazine Littéraire. pp.56 et suiv. « Nous n’irons certainement pas nous réfugier chez un kantien car ce dernier nous dénoncera sûrement si, par malheur, les bourreaux frappent à sa porte. C’est qu’un kantien a pour principe de ne jamais mentir et ce principe n’admet aucune exception. De la même manière, nous n’irons pas nous cacher dans la cave ou le grenier d’un utilitariste. Si par malheur, les bourreaux lui proposent d’épargner cinq ou dix vies en échange de la nôtre, il nous livrera sûrement, même s’il en souffre. C’est que l’utilitariste a pour principe de faire ce qui contribue non pas à son bien-être personnel (et au nôtre en l’occurrence), mais au plus grand bien-être du plus grand nombre, et ce principe n’admet aucune exception ».