Dans son essence même, nous avons défini le sens comme recherche de l’Unité ; nous faisons donc l’hypothèse que cette Unité qui se dit en finalité est recherchée par les adoptants et les professionnels. Cette recherche d’Unité est déclinée dans le travail social selon trois modalités : la raison (le savoir), la sensibilité (le savoir être) et l’action (le savoir-faire) 638 .
La première signification, historiquement datée, du sens du travail socio-éducatif est celle de l’observation, pour ne pas dire du contrôle. L’intervention du professionnel est définie à partir des normes scientifiques et/ou administratives, à partir des savoirs. C’est l’évaluation de l’agrément adoption. La manière d’observer, de rationaliser l’autre semble faire écho aux soucis d’opérer les distinctions, classifications nécessaires pour repérer les capacités de l’usager. Cette distorsion du réel pour le faire coller à la réalité normative scientifique, administrative et professionnelle exclut l’usager de la représentation du travailleur social comme référent premier de sa représentation. Il s’agit de modeler l’usager (dans le sens de poiësis), de le faire rentrer dans les moules objectivés de la norme et des dispositifs institutionnels. Si le “ client ” est bien présent dans les préoccupations du professionnel, il l’est en tant qu’objet, il ne l’est pas en qualité de sujet. C’est le cogito cartésien qui est à l’œuvre. L’inter-subjectivité est celle entre professionnels pour parvenir à l’objectivité (relative !). Le travailleur social est alors un être ‘’pensant’’, pour reprendre le vocabulaire de P. RICOEUR, il rationalise, il argumente ; la norme à la manière kantienne lui est imposée et c’est elle qu’il impose.
La seconde signification du sens du travail social fait du professionnelunêtre ‘’souffrant’’ ; il a la capacité du “ creux ”, de la “ passivité ”, condition à toute altérité. Sa subjectivité lui permet de rencontrer celle des autres ; sa sensibilité lui permet de “ faire être ” l’autre. Il y a une forme de réciprocité potentielle, dans leurs relations ; et cette manière de se mettre en scène lui-même avec son être ontologique est la condition de l’aide et du travail d’éducation. Le sens de son travail n’est plus d’interpréter l’autre, de l’expliquer, de le déplier, mais au contraire de le comprendre, dans ses plis subjectifs de travailleur social, de l’impliquer, de s’impliquer. Permettre à l’autre d’être lui-même et lui permettre de s’épanouir supposent d’être soi-même dans cette dynamique ; le travailleur social et le sujet sont dans une forme d’inter-subjectivité où se répondraient deux personnalités en construction permanente. Nous avons rencontré cette empathie dans la rencontre entre futurs et anciens adoptants. Nous l’avons dé-couverte dans la manière dont les postulants ont interprété l’évaluation d’agrément ; nous l’avons comprise dans la confiance réciproque, dans les sentiments, émotions, affects du ‘’se sentir bien’’, dans la ‘’disponibilité du visage’’. Le temps n’est plus à penser, mais à vivre. En vivant, le sujet se construit et cette construction du sujet par lui-même devient le sens du travail social. Nous pourrions presque dire qu’il y a dans cette posture du travailleur social une forme d’ auto-référence du “ je suis ” contenant la potentialité de l’autre à le devenir également, et à le dire à son tour. Le travailleur social est centré sur le sujet, il croit en lui, s’engage dans la relation. Cette signification du sens qui se formule en sensibilité est une des conditions de réussite du projet.
La troisième signification est celle de l’être ‘’agissant’’, qui est capable de... et qui agit. Mais de quel faire s’agit-il ? Trois postures semblent alors possibles : le ‘’ faire ‘’ soi- même, ‘’ le faire avec ‘’ de l’accompagnateur que nous emprunterons également à P. NEGRE 639 et le ‘’ faire faire de l’opérateur ‘’ que nous emprunterons à J. CADIERE 640 . Le “faire avec” constituerait une modalité particulière du ‘’ faire faire ‘’ ?. Peut être. Et pourtant, il nous semble que précisément se joue entre ces deux postures une rupture ; nous ne sommes plus sur les mêmes niveaux d’analyse. Si l’accompagnateur de P. NEGRE articule projet individuel et ressources/contraintes sociales, l’opérateur de J. CADIERE opérationalise cette articulation avec des “ dispositifs performants ”. Si l’accompagnateur est présent, l’opérateur est ailleurs, nulle part et partout. Si l’accompagnateur est dedans, l’opérateur est “ à la surface ”. Si l’accompagnateur accompagne, chemine, avance avec, l’opérateur fait tourner la machine et le système. Si le sens que construit l’accompagnateur avec l’accompagné est direction orientée, le sens de l’action de l’opérateur est “ circularité ”, en mouvement. Si le sens objectivant est donné dans l’intersubjectivité des professionnels qui pensent , si le sens est trouvé dans l’intersubjectivité du professionnel et du sujet souffrant, et si le sens est construit dans l’inter-activité de l’accompagnateur et de l’accompagné, il n’y a, en soi, pas de sens dans le faire de l’opérateur ; par contre, cet opérateur offre, par/dans sa présence même, les conditions de production du sens qui émergera de l’intersubjectivité et inter-activité des sujets, lieu et temps de production de sens où lui, opérateur, n’est pas.
Voyons alors comment ces différentes significations du sens de l’intervention sociale peuvent être retravaillées dans la perspective qui est la nôtre. Quel peut être le sens de l’accompagnement qui permettrait aux adoptants de construire eux-mêmes du sens ? Quel peut être le sens de l’accompagnement qui serait accompagnement du sens ? Ou comme l’écrit P. MEIRIEU qui serait « recherche commune de sens » 641 .
P. NEGRE. La quête en éducation spécialisée. De l’observation à l’accompagnement. Paris, L’Harmattan, 1999. Nous reprenons les distinctions de l’auteur et faisons le lien avec les trois instances du soi de P. RICOEUR.
P. NEGRE. Op. Cité. p. 34.
J. CADIERE . Approche compréhensive et essai de formalisation des représentations des travailleurs sociaux Thèse de doctorat .
Ph. MEIRIEU. Op. Cité. p. 139.