La question peut être rappelée ainsi : dans quelle mesure et à quelles conditions le sens du travail social, c’est-à-dire celui construit par les intervenants sociaux (travailleurs sociaux et destinateurs) peut-il faire sens chez les adoptants ? Poser ainsi la problématique revient à centrer la recherche du sens autour d’une praxis qui par définition pose l’autonomie du sujet comme fin et comme moyen, la fin restant indéterminée. L’autonomie du sujet comme finalité est elle-même mise en pratique dans les moyens. « Nous appelons praxis ce faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme êtres autonomes et considérés comme l’agent essentiel du développement de leur propre autonomie » 650 . La notion d’autonomie est bien évidemment centrale dans la praxis. Nous souhaitons simplement ici en apercevoir les liens avec le “ sens ”. Si l’auto-nome s’oppose à l’hétéro-nome, il rencontre néanmoins l’autre, comme limite à la toute puissance narcissique. L’autonomie et le sens ont au moins ceci de commun et qui serait pour l’un et l’autre fondateur : la rencontre de l’autre, l’altérité et donc la Loi. C’est dire peut-être que le sens, inclus dans la praxis, relie l’intervenant et le sujet : le sens est lien et fait lien. Nous retrouvons ici la première demande des adoptants, adressée aux professionnels.
Nous avons défini le sens comme recherche de l’ unité . Nous pourrions dire que le sens du sens, c’est sa quête, sa recherche et le mouvement qu’elle implique. L’autre dimension de cette quête d’Unité serait cette liaison qui permet au travailleur social de relier dans sa praxis la raison, la sensibilité et l’action, et de les relier aux significations données du sens de l’accompagnement : construction commune de significations, interaction, orientation prospective (stratégie) et transformation. Nous voulons signifier que les trois significations du sens du travail social données par P. NEGRE s’articulent dans la praxis avec les quatre autres significations du sens de l’accompagnement. Quand le professionnel évalue (mesure, rationalise, se rapporte au cogito), il est également interprété (et peut s’y prêter lui-même ) comme sensible, tourné vers le projet… . Quand il est dans l’action au regard de l’efficacité attendue, il sait ‘’raison’’ garder en rappelant le déontologique et la réalité et reste attentif aux mouvements des représentations de l’adoptant ; quand, dans un mouvement d’empathie, il fait en lui de la place à l’autre 651 , il ne s’y confond pas… Il sait s’approcher et s’éloigner… . Cette articulation, qui semble féconde pour le travailleur social, l’est-elle pareillement pour le sujet ? Et quelle articulation ?
La question est alors de savoir si la signification du sens comme recherche d’Unité chez le travailleur social est de même nature pour le sujet : nous le poserons effectivement ainsi comme postulat affirmé par C.CASTORIADIS : « C’est ici que le sujet a été en personne le prototype de la liaison qu’il cherchera toujours » 652 . Le travailleur social est un sujet parmi d’autres. Cela implique dans la relation entre intervenant social et sujet une réversibilité toujours possible et nécessaire. Cette dimension de la sensibilité indique une posture plus qu’une nature, condition de la relation. Ainsi, ce qui distingue le travailleur social et le sujet n’est pas d’ordre ontologique, ils sont tous deux semblables. Cette distinction ne tient pas non plus à ce que nous avons repéré comme sens-signification-interprétation-raison, d’une part parce que nous avons également tous cette faculté de raisonner, d’interpréter, de dire la signification, de construire du sens et donc d’instituer et d’autre part parce que cette interprétation est également construite dans l’interaction, chacun interprétant et interpellant l’autre. Cette distinction a, nous semble-t-il, à faire à une place (prise personnellement mais également définie et donnée par l’institution). Cette fonction spécifique du travailleur social serait topologiquement significative en soi et serait la condition pour que le sujet construise lui aussi une forme d’unité, de cohérence, entre ce qu’il pense, ce qu’il est et ce qu’il fait, pour qu’il puisse lui aussi être en situation de construire du sens. Quelles places ? Nous nous référerons pour travailler cela aux travaux de G. LE BOUEDEC.
C. CASTORIADIS. Op.Cité.p. 112.
C. et D. FAVRE. Écoute, empathie, affectivité » In Accompagnement et formation. Op. Cité. p. 78.
C. CASTORIADIS. Op. Cité. p. 436.