-2.2.2- L’accompagnement : un moment de la relation ?

Pour approcher cela, nous proposons d’analyser plus clairement ce que nous avons déjà rencontré au fil de notre travail : les figures de l’accompagnant. Nous entendons par  ‘’figures’’ l’image familiale que représentent le travailleur social et les anciens adoptants pour les futurs adoptants. Ces différentes figures nous intéressent surtout dans la manière dont elles se conjuguent les unes les autres.

Nous savons que l’agrément est une évaluation qui demande au professionnel une posture particulière référée au cogito ; topologiquement il est derrière le sujet. Nous avons vu également que cette même posture pouvait être interprétée comme accompagnement ; l’intervenant social est alors ‘’à côté’’, empathique et déjà dans l’action. Figure paternelle de celui qui autorise, il est également quelqu’un d’autre pendant cette marge ; l’empathie fait écho au creux de la passivité de P. RICOEUR et donc à une figure maternelle, qui accueille et reçoit. Les adoptants  trouvent une figure paternelle et peuvent en créer d’autres qui, nous ont-ils expliqué, les aideront à obtenir l’agrément ; cette création de l’autre est une sorte de transfert. Qu’est le transfert sinon le processus qui permet de prendre quelqu’un pour quelqu’un d’autre ? Le père qui autorise est aussi la mère qui aide à obtenir l’autorisation. Ces figures parentales deviennent plus nettes et explicites dans la période de marge post-agrément. Monsieur et Madame MARTIN 655 parlent du travailleur social comme « grand-mère du petit », cette place de grand-parent met donc ce travailleur social en place généalogique de parents des adoptants. C’est à cette place parentale de « grand-oncle de l’enfant » qu’est assigné le travailleur social par Monsieur et Madame GIROUD 656 . Pour Monsieur et Madame MARECHAL, le travailleur social devient le « parrain de l’enfant », nous aurions là une posture du travailleur social qui, comme un second père, serait référé non aux adoptants mais à l’enfant. Mais le travailleur social devient aussi « tuteur et parrain » de Monsieur et Madame CHAPUIS. Cette posture paternelle rejoint celle des anciens adoptants « parrains » et donc pères des futurs. L’accompagnement est bien de l’ordre d’une paternité, il dit une idée de « filiation et d’engendrement » 657  ; cette figure paternelle peut elle-même se transfigurer en figure fraternelle du pair qui est alors frère aîné à la croisée, symboliquement, des positions générationnelles. Cette fraternité des compagnons du compagnonnage, qui peut aller jusqu’à l’universel, n’exclut pas la transmission de maître à disciple.

Nous avons de plus, à ces figures paternelles données par les adoptants, à rappeler la nécessité de fonctions paternelles repérées précédemment. Nous faisons en cela référence au cadre institutionnel dans lequel serait conduit l’accompagnement par les professionnels. Ce cadre, dans son contenant, aurait également à rappeler ce que nous avons nommé l’intérêt supérieur de l’enfant et le déontologique, fonction « garantissant » (et donc protégeant autant que faire ce peut) la recherche de l’équilibre recherché.

Cette figure de père se conjugue avec celle de mère. Le travailleur social apparaît tout d’abord comme mère toute-puissante quand un enfant pupille de l’État est attendu par son intermédiaire ; dans la représentation d’une mère archaïque, généreuse, totalement  bonne , cet intermédiaire devient « la mère-Noël ».Cette mère infiniment bonne est celle aussi qui ‘’adoptera les adoptants’’ comme l’a si joliment énoncé Madame PERRET. Pour que les adoptants adoptent, il faut qu’ils soient adoptés par ceux qui leur confieront un enfant. Cette fonction maternelle des intermédiaires est première. Elle nous semble aussi être active dans la relation même d’accompagnement par les professionnels, y compris quand ceux-ci ne seront pas directement les intermédiaires. Le projet d’adoption se soutient de la problématique de l’abandon. Nous rejoignons alors G. LE BOUEDEC quand il écrit : « accompagner… sorte de fonction maternelle permettant à l’autre de lâcher prise, de se laisser porter et peut-être de vivre d’ultimes et de nouvelles expériences fondatrices » 658 .

Ainsi, le travailleur social nous semble être placé institutionnellement dans une place qui porte en soi une fonction changeante selon la mission demandée et nous semble être interprété par les adoptants comme ayant une autre place et une autre fonction. Le travailleur social navigue entre les différentes images familiales de la famille élargie, puisque comme le dit Madame GIROUD 659 « il ne fait pas partie de la famille mais… ».

Nous voudrions alors noter ces différents espaces, repérés au fil de notre travail, ces ‘’entre deux’’ dans lesquels le travailleur social adoption serait topologiquement positionné.

  • Il est évaluateur mais peut être interprété autrement.
  • Il est opérateur efficace mais n’est pas que cela .
  • Assurant le lien, il fait fonction de trait d’union qui ne pourrait bien relier que ce qui est bien séparé. L’accompagnant devient médiateur, inter-médiaire dans la bi-polarisation généralisée qui caractérise le processus d’adoption et qui, si nous n’y portons attention, peut se transformer en relation duelle, immédiate (non médiatisée). Il est celui qui assure le triple mouvement de liance – déliance – reliance. Rappelons cette bi-polarisation qui appelle une triangulation : parents d’origine / enfant adopté dans l’adoptabilité de cet enfant ; parents d’origine / parents adoptants dans la construction de l’apparentement ; parents adoptants / enfant adopté dans la rencontre vécue ; parents adoptants / parents adoptants dans la nécessaire impression du même…. . Cette place de trait d’union est celle entre futurs et anciens adoptants, entre futurs adoptants et OAA ; elle est celle qui permet aux futurs parents de rechercher l’Unité qui fera sens, en liant leurs représentations et la mise en œuvre du projet, en aidant à l’élaboration du lien entre motivations et finalités, éthique et déontologique, moyens et fins…. L’accompagnant est trait d’Union entre les normes et la subjectivité, entre le rappel du droit et le droit à la subjectivité, entre singularité et universalité.
  • Le travailleur social est donc assigné à une place topologiquement repérable et définie par sa professionnalité et son appartenance institutionnelle ; cette place lui donne une fonction qui prend les figures des images parentales et fraternelles. Mais ni les places occupées, ni les fonctions figurées ne sont définitivement stabilisées, momifiées. Le travailleur social - accompagnant circule entre elles, il les prend tour à tour et se voit pris par elles au gré des mécanismes relationnels avec les adoptants. Ces places et ces figures arrivent même à se brouiller ; l’accompagnant, non seulement passe indéfiniment et infiniment de l’une à l’autre, mais il les porte toutes en même temps ou peut-être se situe provisoirement entre elles. Ces différentes postures de l’accompagnant dans la relation font de l’accompagnement un moment de cette relation. L’accompagnement serait cette disposition particulière qui permettrait qu’entrent en interaction toutes les postures du travailleur social. Nous pourrions dire que dans les différentes postures topologiques repérées, l’accompagnement serait ce moment où précisément, dans les mouvements des changements de postures, la position de l’adoptant et celle de l’accompagnant se croiseraient et se trouveraient alors, pour un instant, l’une à côté de l’autre. Marcher l’un à côté de l’autre est chose difficile, l’important étant peut être que ce ne soit pas toujours le même qui soit placé devant, derrière, dessous ou dessus. L’accompagnement ne saurait alors être une mission qui donnerait définitivement une place et une figure, elle est une fonction, qui dans le jeu des relations, se glisse entre les différentes significations repérées du sens du travail social.
Notes
655.

E 6, p. 125.

656.

E 15, 12,13,6,1.

657.

G. LE BOUEDEC . Accompagnement en éducation et formation. Op. Cité. p. 171.

658.

G. LE BOUEDEC. Diriger, suivre, accompagner : esquisse d’une topique de quelques postures éducatives. Op. Cité.

659.

E 15 , p. 243.