Ayant commencé ce travail à partir de nos pratiques, dans l’élaboration de notre problématique, dans l’étude des dossiers, dans les entretiens réalisés qui nous ont permis de donner corps à notre recherche, nous souhaitons y revenir, non pour clore le sens mais pour l’ouvrir sur de nouveaux dispositifs, nouvelles pratiques socio-éducatives. Ces perspectives seront déclinées selon deux entrées. Quels seraient les dispositifs institutionnels les plus appropriés offrant les conditions d’un accompagnement par les professionnels ? Quelles fonctions pour les intermédiaires ?
Rappelons le sens que nous donnons au dispositif : le dispositif est condition de la production de sens ; il peut être aussi en soi producteur de sens. Nous proposons quatre dimensions à ce dispositif de médiation. La première concerne l’agrément en tant qu’évaluation, la seconde reprendra le passage du seuil que constitue l’agrément, la troisième qui s’emboîte dans la première prendrait la forme d’un contrat individualisé d’accompagnement, enfin la quatrième offrirait les conditions d’échanges et de discussion.
Il nous semble d’abord que l’agrément que nous avons défini comme représentation d’une représentation doit rester référé aux futurs adoptants et ne pas les enfermer précisément dans notre représentation. Ainsi, dans l’hypothèse où la disponibilité des postulants se serait modifiée dans ce temps de cinq années de validité de leur autorisation, nous aurions à en modifier notre représentation. Après évaluation, un nouvel agrément, plus prêt de leurs nouvelles attentes, pourrait leur être donné. Soulignons que nous avons, là encore, une posture d’entre-deux du professionnel, qui pendant ce temps d’accompagnement post-agrément, aurait à se re-positionner comme évaluateur.
Nous avons également noté l’importance de ce rite de passage pour les adoptants. Il nous semble souhaitable que ce seuil soit marqué symboliquement autrement qu’en sa seule forme administrative ; ce rite aurait à retrouver la dimension humaine ; ce rite pourrait être humanisé. Sans sous-estimer la valeur de la boîte aux lettres dans ce qu’elle peut cacher de nouvelles pour un moment encore mystérieuses, et sans attendre que l’agrément ne soit envoyé plus prosaïquement par courrier électronique, nous proposons que cette autorisation soit remise aux postulants lors d’un entretien individuel. Nous reprenons là simplement un souhait de Monsieur et Madame MARECHAL 660 : « Ce qui nous paraît important c’est qu’on leur annonce qu’ils ont l’agrément de vive voix, directement. Parce que c’est vrai qu’on a été surpris avec l’agrément : qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? ». Cet entretien ferait lien entre l’avant et l’après, il souligne la continuité du travail du professionnel et de l’institution dans la nouvelle période de marge qui se dessine. Cette rencontre permettrait également d’établir avec les futurs adoptants une forme de contrat d’accompagnement adapté.
Les postulants, pour la plupart, sont « perdus » à l’issue de la procédure, ils pensent que les professionnels ont terminé leur travail. Hormis ceux qui attendent exclusivement un pupille de l’État et qui resteront en relation avec le travailleur social dans sa qualité d’intermédiaire, les autres se sentiront « seuls, laissés à eux-mêmes… », et se tourneront pour la construction de l’apparentement vers leurs pairs. Ce contrat d’accompagnement permettrait de recueillir les souhaits et demandes des adoptants sur les modalités de l’accompagnement. Seraient reprises les questions que nous nous sommes posées. Qui fait le premier pas ? Quelle périodicité ? Quelles informations ? Quelles modalités de mise en œuvre du contrat ? Entretiens individualisés, rencontres collectives, réunions à thèmes ? Cet entretien nommerait un référent qui pour les futurs adoptants serait la personne avec laquelle ils garderaient contact. Ce travailleur social référent serait celui qui a conduit l’évaluation, celui qui « suit le projet de A à Z » et avec lequel les adoptants souhaitent continuer. Selon leur demande, un autre intervenant pourrait être désigné. Cette rencontre permettrait également de construire une possibilité de lien avec ceux qui n’ont pas de demande et ceux qui ne se sont pas sentis adoptés par le professionnel : manque de communication, absence de confiance 661 . Cette question est importante car elle est au centre de toute la problématique éducative. G. AVANZINI 662 la pose ainsi : « Le paradoxe douloureux est que celui qui a le plus besoin de remédiation, de compensation, d’épanouissement réparateur, c’est aussi celui qui hésite le plus et éprouve davantage de difficultés à entreprendre, à poursuivre et à faire aboutir sa demande (de formation) ». Cette réalité de la formation semble valoir pour le champ socio-éducatif. L’analyse quantitative des entretiens nous donne quelques indications sur les couples qui n’ont aucune demande à formuler. Quatre dossiers apparaissent en effet sans aucune attente 663 , sans demande à l’endroit des services départementaux. Si nous comprenons l’absence de demande du premier couple Monsieur et Madame PROST 664 qui ont transféré l’ensemble de leurs attentes sur l’intermédiaire, les trois autres couples forment ensemble une forme d’ idéal type. Les différents indicateurs font sens dans leurs relations. Leur attente passive d’un pupille de l’État pourrait être transformée en projet, leur redonnant la capacité et le pouvoir d’initiative… ou cet accompagnement pourrait aussi être celui d’un changement de direction.
La quatrième dimension de ce dispositif de médiation, articulée aux deux premières, rencontre les notions de socialité et de discussion. Elle concerne les adoptants et les intermédiaires. Après le trouvé-créé du dispositif d’agrément, nous proposons un trouvé-créé pour la construction de l’apparentement. La rencontre individuelle, lors de la remise de l’agrément, inviterait les adoptants à des rencontres collectives organisées par l’institution départementale. Il s’agirait de proposer des lieux et temps d’échanges, de discussions, d’informations réciproques ; pourraient y être abordés les cheminements de chacun dans la construction de l’apparentement, les contacts avec les différents intermédiaires. Nous faisons l’hypothèse que chacun saurait alors élaborer pour lui l’éthique déontologique que nous avons développée, dans la confrontation des points de vue et des subjectivités. Nous faisons également l’hypothèse que ces rencontres, qui, nous le savons, seraient tournées pour les futurs adoptants, vers l’opérationalité, auraient un effet symbolique. Le « lien social… qui autorise un changement générationnel » 665 , la socialité comme composante de la filiation instituée, la discussion comme instance d’élaboration de l’éthique, nous semblent le même dispositif offrant les conditions de mise en mouvement des représentations. Ce nouveau « trouvé » serait un nouveau « créé », objet d’interprétation.
Cette mise en relations des futurs adoptants n’est pas mise à l’écart des adoptants en leur qualité de pair. Nous en avons compris l’importance. Il apparaît au contraire nécessaire que ces pairs ne portent pas le travail actuellement non assuré par l’institution départementale et ses professionnels et qu’ils gardent leur fonction de témoignage, de transmission d’expérience de la parentalité adoptive, en partie dégagés des dimensions opérationnelles de l’apparentement. Il convient alors que les professionnels soient effectivement en mesure d’assurer cet accompagnement à la réalisation, et cela dans les aspects les plus techniques et opératoires. L’invitation, faite par les professionnels aux futurs adoptants, de s’inscrire dans les réseaux formels et informels des anciens, est nécessaire, mais dans cette perspective et non dans celle qui transférerait sur eux la responsabilité d’accompagner les futurs adoptants dans l’élaboration de leur stratégie d’apparentement.
La deuxième orientation concerne les intermédiaires. Nous avons constaté le double positionnement de certains OAA, celui d’évaluer une nouvelle fois et celui d’accompagner. Il nous semble que les OAA aient à se re-positionner sur le seul accompagnement, laissant à ceux dont c’est le premier travail la charge de l’évaluation. Le paradoxe semble en effet celui-là : la nouvelle sélection, opérée par eux, laisse sur le bord du chemin les adoptants qui, pour certains, auraient le plus besoin de cet accompagnement. Cela invite peut-être les évaluateurs à retrouver leur fonction première qui, pendant la période d’agrément, est celle de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant ; cela interpelle également les politiques dans leur responsabilité de délivrer un agrément contre l’avis des évaluateurs et des commissions d’agrément.
Plus généralement, les intermédiaires nous semblent devoir trouver/garder cette fonction d’intermédiaire non-trivial, faisant travailler encore les deux termes de la relation, et cherchant un équilibre entre la disponibilité des futurs parents et les attentes de l’enfant qui leur serait confié.
E 12, p. 206.
E 16, p. 257.
G. AVANZINI. L’éducation des adultes. Paris, Anthropos, 1996, p.153.
Annexe n° 11-24. p. 415. « Accompagnement ? Quelles significations données par les postulants ? ».
E 19, p. 294.
P. FUSTIER. Le lien d’accompagnement. Op. Cité. p. 217.