Conclusion générale.

Reprenons notre problématique. Nous nous sommes demandé à quelles conditions et dans quelle mesure les futurs parents pouvaient, dans l’apparentement, construire les deux finalités de l’adoption ‘’une famille pour un enfant’’ et ‘’un enfant pour une famille’’ ». Nous avions alors construit une hypothèse en trois temps. Le premier était centré sur la pertinence de l’accompagnement comme condition à cette construction des deux finalités :  Accompagner les futurs adoptants à la parentalité adoptive est la condition principale leur permettant de construire un équilibre entre les deux finalités de l’adoption. Le deuxième temps était centré sur la place spécifique de ceux qui ont déjà adopté : Les personnes qui ont adopté ont une place particulière et déterminante dans les représentations des fonctions parentales que construisent les futurs adoptants et dans leurs stratégies d’apparentement. La troisième se donnait pour objet de rechercher la place des professionnels :  L’accompagnement des futurs adoptants à la parentalité adoptive par les professionnels doit trouver une articulation avec l’accompagnement ou l’intervention des parents ayant déjà adopté un enfant . Tout cela demande à être repris au regard de notre travail.

Nous avons rappelé la primauté de l’agrément dans la recherche de l’intérêt de l’enfant ; cet agrément apparaît alors comme une des dimensions de l’équilibre recherché entre les finalités. Mais nous nous trouvons devant un paradoxe : avant l’obtention de l’agrément, il serait trop tôt pour accompagner les postulants à la parentalité adoptive et après la décision favorable, il serait trop tard puisque les futurs parents, fortifiés par l’autorisation reçue et la reconnaissance de leur capacité, entrent légitimement dans la phase opérationnelle de leur projet. Nous pouvons alors comprendre l’évaluation dans sa complexité et y offrir la possibilité de l’accompagnement. Si l’agrément doit être maintenu, tant au regard de l’intérêt de l’enfant qu’au regard de sa portée symbolique, il aurait aussi à offrir une forme de flou et d’ambiguïté propre à favoriser les élaborations. La procédure d’évaluation devient processus de questionnement et de maturation dans l’espace suffisant laissé par les professionnels et permettant aux adoptants de ‘’créer’’ ce qu’ils ont ‘’trouvé’’. Cela semble la première condition de l’équilibre recherché.

Cependant, l’obtention de l’agrément ne dit pas la fin du travail d’élaboration et de préparation ; plutôt qu’un état, il donne à voir un mouvement vers, une disponibilité ; il ouvre la voie à la rencontre avec l’enfant et à la prise en considération de la réalité ; il ne dit rien non plus des conditions dans lesquelles les futurs parents réaliseront l’accueil. Afin de maintenir la force symbolique de l’autorisation donnée, afin de laisser travailler le rite de passage, il ne nous paraît pas souhaitable d’inclure, en tant que dispositif formel, l’accompagnement à la réalisation de cet accueil dans ce temps d’évaluation. Proposant ce dispositif après l’obtention de l’agrément, nous n’en avons pas fini pour autant avec le paradoxe qui reste actif. Au regard de notre travail, il s’avère que les futurs adoptants entrent alors dans la dimension opérationnelle de leur projet et attendent des professionnels qu’ils les y accompagnent. Là encore, nous avons développé la thèse de l’ambiguïté, de l’interprétation toujours ouverte des postures éducatives. Le professionnel lui-même ne saurait rechercher la seule posture du « à côté de » ; en passant incessamment de l’une à l’autre des postures qui disent topologiquement les différents sens du travail social, il permettrait aux futurs adoptants de construire le sens de leur projet jusque dans son effectuation, en y incluant le juste et le bon. Au-delà de ces dispositifs accompagnant le faire des adoptants, il s’agirait, comme dans la période d’évaluation, d’offrir la possibilité d’une médiation comprise dans ses trois instances de liance – déliance – reliance. Ainsi, l’accompagnement à la parentalité adoptive aurait à s’insinuer entre l’évaluation et l’opérationalité, il ne pourrait s’actualiser que dans le paradoxe des relations fondées, l’une sur la demande institutionnelle, l’autre sur celle des postulants. C’est en acceptant ce travail dans les intervalles des postures éducatives que les professionnels pourraient accompagner les postulants à devenir parents adoptants.

Cela nous permet de reprendre notre hypothèse quant à la place et à la fonction des anciens adoptants pour les futurs. Si les pairs sont compris légitimement, comme détenteurs d’un savoir expérienciel, s’ils portent en eux-mêmes, du seul fait de leur présence, toute la symbolique de la réussite, si enfin ils accompagnent les adoptants à une place de ‘’père’’, leur accompagnement est auto-référencé, avec toutes les limites et embûches que cela comporte. Malgré la fonction symbolique dont, ontologiquement, ils sont porteurs, laissant imaginer aux futurs adoptants le passage de pair en père, ils ne pourraient cependant tenir cette autre fonction symbolique qu’est la médiation comprise comme instance tierce propre à favoriser les déliances. Nous serions au contraire, entre anciens et futurs adoptants, dans les processus de reproduction du même par identification, ou plutôt de reconstruction de l’autre, différent, comme semblable pour faire identité, condition paradoxale au travail symbolique autorisant une autre place généalogique. Nous pouvons dire qu’il s’agit là d’un accompagnement dans l’idée de fraternité impliquant une même place généalogique en devenir. Cette place de pair pourrait trouver, dans sa capacité de transmission et dans sa fonction symbolique, d'autres champs d'application. Nous ne sommes pas cependant avec l’accompagnement par les pairs dans l’ accompagnement éducatif qui, lui, conjuguerait nécessairement, nous l’avons vu, relations symétriques / dissymétriques ; dispositions personnelles / normes institutionnelles ; penser / souffrir / agir ; être devant / derrière / dessous / ailleurs ; ni trop loin ni trop proche… pour avoir une chance d’être à côté .

Il apparaît alors nécessaire que chacun ait, symboliquement, sa place puisque finalement le symbolique donne une place à chacun dans les généalogies mais aussi les organisations et la vie sociale. Ce souhait de clarifier les places se tourne d’abord du côté des OAA et plus généralement des intermédiaires. Il nous paraît important que ces intermédiaires gardent leur place irremplaçable de médiateurs et y consacrent leurs efforts, délaissant l’évaluation des motivations, déjà réalisée. Ces intermédiaires ont cette fonction de faire actualiser, dans la réalité, la virtualité des représentations, les désirs et les attentes. Si les pairs ont une place qui ne semble pouvoir être tenue par personne d’autre, il en est de même pour les professionnels. Le savoir expérienciel transmis par les anciens aurait alors à se conjuguer à la transmission par les professionnels des savoirs construits et formalisés prenant en compte l’expérience de plusieurs. Si l’accompagnement fraternel peut apporter positivement la reproduction du même dans la construction de l’apparentement, l’accompagnement éducatif aurait à maintenir sa centration sur l’accompagné, en tant que personne et couple, et pas simplement sur la réalisation du projet. Nous pourrions continuer d’égrainer ces différences de fonctions, elles nous semblent tenir dans la nature même de l’accompagnement. Nous avons avec les pairs un accompagnement centré ni sur l’accompagné, ni sur son faire, mais centré sur l’accompagnant qui se donne en exemple. L’accompagnement éducatif, dans les périodes de marge que sont l’évaluation et la mise en œuvre opérationnelle du projet, et au-delà des dispositifs nécessaires, devient une interaction centrée sur le sujet et son projet, interaction mouvante dans les postures changeantes de chacun des acteurs.

Il nous semble alors que cette incertitude, cet entre-deux, cette ambiguïté, ces intervalles, ces marges, cette ouverture, laissés à la construction du sens, sont les conditions permettant aux postulants, dans des dispositifs institués, de construire eux-mêmes, à leur mesure, l’équilibre souhaité entre les deux finalités de l’adoption : une famille pour un enfant et un enfant pour une famille.

Terminons notre travail par une question. Si l’accompagnement semble avoir une signification dans la déclinaison de l’action, existe-t-il des accompagnants et des accompagnateurs ? Existe-t-il des accompagnés ? Aujourd’hui, le terme  ‘’accompagnement’’ est beaucoup employé ; cette notion est devenue floue dans ses contours, approximative dans ses méthodes, très plastique dans ses applications, et polysémique dans ses significations. Il faut remarquer d’ailleurs que seul est utilisé le vocable désignant l’action (accompagner, accompagnement). Excepté le domaine du tourisme où la profession d’accompagnateur (de voyage et de montagne) est reconnue, celui qui est sensé accompagner est désigné par son faire : « celui/celle qui accompagne ». Il ne viendrait à l’esprit de personne de nommer la personne qu’il accompagne ‘’l’accompagnée’’. Dans le travail social, il en est de même. Aucun métier n’est désigné par le terme d’accompagnement, aucun professionnel nommé accompagnant ou accompagnateur, aucun ‘’bénéficiaire’’ appelé accompagné. Les classifications traditionnelles des travailleurs sociaux se font autour des métiers d’assistance et de soutien (travailleuse familiale, aide ménagère, assistant maternel, assistant de service social), d’éducation (éducateur, aide médico-psychologique) et d’animation (animateur socio-culturel). Dans une période plus récente, d’autres métiers sont arrivés essentiellement liés à l’insertion, au développement local, à l’ingénierie sociale (chef de projet, agent de développement, agent de proximité, agent de médiation...). Et cependant, tous ‘’font de l’accompagnement’’. Si l’emploi des mots a une signification, nous comprenons alors que l’accompagnement ne saurait être institué dans une mission, un mandat. Ne serait-il pas une disposition particulière, une fonction, laissant ouverte la béance et le mystère du sens, laissant au sujet l’espace pour peut être se mettre en chemin ?