Entretien n° 6. Monsieur et Madame MARTIN : « J’avais besoin d’en discuter avec d’autres pour savoir ce que je pensais »

• AS : pourquoi avez-vous demandé un agrément adoption en 1998 ?
• Mme ; parce que nous désirons avoir un enfant et je ne peux pas avoir d’enfant, c’est un problème d’ovulation.
• AS : donc un problème d’ovulation et on vous a dit quoi ?
• Mme : j’ai d’abord eu des traitements qui ont duré un an à peu près, ces traitements n’ayant rien donné, on m’a dit «c’est pas la peine de continuer ça ne donnera rien ». Par contre, il y a plein d’autres possibilités, des injections, des micro-injections et puis j’ai demandé quels étaient les effets secondaires, je voulais avoir tous les éléments. Après on en a discuté avec mon mari, et ce qu’on disait c’est qu’il y a malgré tout des risques pour la femme, style cancer, avec un pourcentage peut-être minime, mais en discutant, en réfléchissant avec Paul, on s’est dit, «on veut pas à tout prix, style que l’enfant n’ait pas de mère, si on veut un enfant c’est pour pouvoir l’élever correctement... ».
• M : oui, et puis même après ça, on n’était pas sûr que ça fonctionne. Il y a un risque et puis... c’est le cancer, même si c’est un risque... pour moi, c’est là.
• Mme : donc en fait, on s’est dit qu’il y a d’autres solutions pour avoir un enfant.
• AS : ce problème médical, vous l’avez compris comme une impossibilité qui venait d’abord de vous (Madame) ?
• Mme : oui, parce qu’on n’a pas contrôlé...
• AS : et vous Monsieur, vous n’avez pas passé d’examen ?
• M : non, moi, je n’ai rien passé.
• Mme : on a pris ça comme une expérience dans notre vie, et on n’est pas trop pour aller du côté des procréations assistées. Et on s’est dit, si on n’arrive pas à avoir d’enfant, c’est qu’il y a un autre enfant quelque part ; on a essayé un petit bout et puis après...
• AS : vous voulez dire que ça n’a pas été trop difficile à dépasser, trop douloureux pour vous ?
• M : sur le moment, je dirais plutôt toi, c’était dur quand même.
• Mme : oui, moi, quand j’ai appris la nouvelle, je m’en souviens encore, j’étais chez le gynécologue, après ; sur le trottoir, je pleurais. Et je me suis demandée comment il allait réagir, parce qu’il a toujours voulu avoir un enfant rapidement ; moi, je voulais avoir un peu de vie à deux ; alors bien sûr, je me dis «tu aurais dû accepter », toutes les choses qu’on se dit à ce moment-là.
• AS : vous, vous l’avez accepté ?
• Mr : moi, c’était surtout la crainte que ma femme pense que je veux partir parce qu’elle ne peut pas avoir d’enfant ; et puis là, je me dis, c’est pas grave, il y a d’autres moyens, je continue et puis il faut la soutenir ; moi, je suis là, je reste là. Tu ne vas te débarrasser de moi aussi vite que ça. Mais d’un autre côté, au deuxième entretien avec le psychologue, là tout d’un coup, ça m’a frappé en plein dans le cœur, ça m’a fait mal.
• AS : et qu’est-ce qu’il a touché ?
• M : ce qui m’a touché, c’est la différence entre deux mots que je n’avais pas réalisée avant, la différence entre «père » et «papa ». Je peux être papa, mais je ne peux pas être père. Et dans un certain sens, si j’étais parti, si je trouvais une autre femme, je pouvais être papa, mais j’ai pas envie d’être papa avec quelqu’un d’autre. Je suis là, j’ai dit ça depuis le début, on s’est marié, je trouve ça important devant Dieu, mes croyances sont dedans aussi, je reste avec elle.
• AS : Madame, vous partagez les convictions religieuses de votre mari ?
• Mme : oui.
• AS : et c’est quelque chose qui pour vous est en lien avec votre engagement dans le mariage ou avec la possibilité de devenir père d’un enfant que vous n’auriez pas conçu ?
• M : là, je suis perdu.
• AS : est-ce vous mettez en relation vos convictions religieuses avec votre fidélité à votre épouse, et en relation avec la possibilité de devenir père d’un enfant que vous n’auriez pas conçu ?
• Mme : notre conviction, elle est rapport avec notre vie, de A jusqu'à Z. et on a une certaine conduite, on a appris ce qui était bien et ce qui n’était pas bien ; maintenant, le fait d’avoir un enfant, c’est le fait d’être à deux, de vouloir concrétiser cet amour, mais ça n’a rien à voir avec notre conviction. Notre manière d’agir a à voir avec notre conviction.
• M : moi, par rapport à ce que je crois, qui est aussi basé sur ma vie dans ma famille, mais à un moment donné, j’ai choisi, «est-ce que je crois ou pas ». Je suis à fond là-dedans. Et je me dis, j’ai un chemin à suivre, on est tous les deux sur ce chemin vers Dieu, «est-ce qu’on peut avoir un enfant, non, on ne peut pas parce qu’il y a trop de risques ». Et moi, je crois sincèrement avec Dieu que de toute façon, il m’a dit «non, ce n’est pas la peine de continuer, si tu veux avoir un enfant, on va faire en sorte que... » voilà, on va adopter ou...
• Mme : tu dis ça, mais le sujet de l’adoption au début, je n’étais pas d’accord et tu as patienté, jusqu'à ce que je fasse mon chemin.
• AS : quand vous avez commencé les démarches de l’agrément, vous aviez quelle idée de l’enfant que vous souhaitiez adopter ? Vous aviez donné des éléments qui le caractérisent ?
• M : le type d’enfant ? oui, par rapport à l’âge, c’était la seule chose.
• Mme : l’âge, c’est plus par rapport à moi, peut-être du fait que je ne peux pas avoir de grossesse, ce qui est quand même le propre de la femme, de vivre ça, ça doit être important pour une femme ; j’aimerais avoir un bébé, le plus petit possible, de la naissance à six mois, je serais heureuse, mais je sais que ça ne va pas être possible.
• M : si ça pouvait être deux jours, moi, je ne peux pas partager à cent pour cent le besoin d’accoucher un enfant puisque je suis l’homme dans la situation ; mais j’imagine le besoin de ça ; et puis comme moi, j’avais un besoin d’être «père » qui était bien ancré dans le sang, pour la famille en arrière, les générations ; ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Et dans un autre sens, j’ai eu une sœur quand j’avais quinze ans et j’ai eu déjà le petit stade de papa et...
• AS : cette sœur qui est arrivée quand vous aviez quinze ans, vous en étiez un petit peu le papa ? C’est une référence forte pour vous cette sœur ?
• M : oui ; au point, que, quand je dors, je dors, sauf en situation avec elle, quand elle commençait à pleurer, j’étais le premier dans la chambre, même avant ma mère. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est un instinct.
• AS : donc, il y avait l’âge, et par rapport à l’origine ?
• Mme : ça a été une grande discussion. Au début, on n’avait pas vraiment pensé à ça.
• AS : c’est pas une question qui était posée ?
• Mme : on ne s’était jamais demandé, jusqu'à ce qu’on nous pose la question, à vrai dire. Ensuite, pour des raisons pratiques, plus faciles ou, je me dis, quelqu’un en France, je veux dire, pas français, qu’il soit maghrébin, ça m’est égal, mais, c’est vrai qu’on n’a pas essayé d’aller voir ailleurs ; on est toujours au stade de se dire : «il doit bien y avoir autour de nous un enfant qui a besoin de nous »
• AS : au départ, vous pensez aujourd’hui que c’est une question qui ne se posait pas, ou bien il y avait une forme d’ «inconscience » des enjeux du fait d’accueillir un gosse qui serait différent physiquement de vous ?
• Mme : ce n’était pas de l’inconscience.
• M : moi, depuis le début, je m’en fiche complètement, une fille, un garçon, noir... je dirais que ça fait une différence entre nous deux, et c’est la seule différence, même handicapé, je m’en fous complètement. J’étais choqué, au début des conversations, ils nous disaient «il y a des bébés blancs et des bébés noirs, vous choisissez lequel ? ». Pour moi, c’est pas une question de choisir, et ça, ça m’a choqué. Maintenant, j’ai passé les stades de tout ça, je comprends pourquoi ils posent la question, ça me choque toujours, mais je comprends.
• Mme : c’est là qu’on s’est senti forcé de voir une certaine description de notre futur enfant ; on peut pas faire ; si j’étais enceinte, je ne saurais pas comment il sera ; il peut être handicapé, ou pas handicapé ; noir, sait-on jamais, suivant les gènes qu’on a, je sais pas ; ça pourrait arriver, c’est rare mais... toutes ces choses où on nous a forcés.
• AS : c’est-à-dire que vous avez eu l’impression d’être conduits, un peu forcés à vous faire une idée de l’enfant que vous accueilleriez ?
• M et Mme : oui.
• AS : et ça, c’est pas quelque chose qui vous a aidés ?
• M : ça m’a aidé à voir que j’ai toujours les mêmes convictions.
• Mme : alors que moi, je préfère avoir un bébé, en bonne santé.
• AS : et quelles raisons, d’après vous, poussent les intervenants à vous poser ces questions ?
• M : pour être sûrs que moi je suis sûr de «ce que je veux » et pourtant je veux un enfant, c’est tout. Pour être sûrs que je n’aurais pas de réaction par rapport à un enfant noir ou... et que c’est moi qui veux ça et pas par rapport à mes convictions, par rapport à Dieu. Ils m’ont dit «laisse tout ça de côté, toi, justement qu’est-ce que tu veux ? ». Et puis, moi, je suis très têtu, j’ai senti qu’il fallait que je me défende, donc, il y a une barrière qui tombe, donc attention... mais maintenant, je comprends pourquoi ils posent des questions et je suis très content. Maintenant, je suis le premier à vous défendre.
• Mme : oui, on ne peut pas placer un enfant et que la famille ne le supporte pas.
• AS : d’accord. Est-ce que dans le temps de la procédure d’agrément, l’idée que vous aviez de l’enfant a été modifiée ?
• Mme : pas franchement, à part le fait d’avoir un bébé pas handicapé, pas vraiment.
• M : et on disait surtout qu’on aimerait bien avoir deux enfants, ce qui pose un léger problème au niveau de l’âge.
• AS : est-ce que vous avez rencontré des adoptants ?
• Mme : à votre séance de film.
• AS : c’était la première fois ?
• Mme : je dis oui, c’est faux, parce qu’en fait, quand j’étais petite, quand j’étais avec mes parents, on avait des voisins qu’on a gardés amis et ce couple avait deux filles de mon âge qui étaient adoptées, enfin je ne les ai pas revues après, mais...
• AS : et vous pensez que ça vous a apporté quelque chose ?
• Mme : eh, quand j’étais enfant, vous voulez dire ? Moi, je ne voyais pas de différence qu’ils soient adoptés ou pas ; ça ne posait aucun problème.
• M : c’est au film, et la chose marrante, c’est que, plus on parle autour de nous avec nos amis, plus on trouve des gens qui ont adopté. C’est marrant parce qu’on crée tellement d’histoire, mais il y a tellement de gens autour de nous qui sont passés par les mêmes situations que finalement, quand on regarde, il n’y a pas de problème.
• Mme : des choses qu’on ne savait pas avant, et puis à force d’en parler, on dit «ah bon ».
• AS : bien. Comment avez-vous vécu la procédure d’agrément ?
• Mme : pour moi, au début, je vais être honnête, je trouvais que ce n’était pas utile, parce que je n’étais pas pour l’adoption dès le début et puis, j’ai dû faire du travail en moi pour dire «ok pour l’adoption ». J’avais besoin d’en discuter avec d’autres personnes pour savoir ce que je pensais. Et quand je suis arrivée, je m’étais déjà posé toutes ces réflexions, des questions qu’on nous posait, j’étais prête. Mais, je me suis rendue compte que pour mon mari, ce n’était pas du tout ça. Lui, il a dit oui et après il a fait sa démarche grâce à ces réunions, mais j’ai d’abord fait et j’ai dit oui. Au début, je trouvais injuste, et puis j’ai compris que mon mari en avait besoin, même moi, j’ai appris des trucs...
• AS : mais ça, vous le dites après, une fois que vous avez l’agrément ?
• Mme : non, j’ai commencé à changer quand mon mari a eu ce problème de «père et papa », on a dû revenir une fois supplémentaire ; j’ai compris que vous ne faisiez pas ça pour nous embêter, c’était une procédure normale, et ça m’a aussi apporté...
• M : moi, je suis très... il faut aller, il faut foncer et puis après on voit.
• AS : à qui, vous avez parlé de votre projet d’adoption ?
• Mme : d’abord les parents, les miens.
• M : et puis les frères et sœurs.
• AS : dans la famille ?
• Mme : oui, aux proches, même avant.
• M : quand nous on a décidé de faire une demande.
• AS : c’était un besoin de leur dire ?
• Mme : inconsciemment, on avait besoin d’un avis, de savoir ce qu’ils en pensaient. Comme pour mon frère, je l’ai trouvé très compréhensif... voilà, j’y allais pour avoir un consentement ou autre chose.
• M : pour moi, je sais que ma famille, il n’y a pas de problème, ils sont là, mais c’est la façon d’entendre «oui, on est là », il y a toujours les petits doutes,
• AS : donc la famille d’abord et après ?
• M : les amis.
• AS : et ça représente combien de personnes en tout aujourd’hui ?
• Mme : une cinquantaine de personnes.
• M : je dirais même un peu plus.
• AS : quand vous avez reçu l’agrément, vous avez eu quelles réactions ?
• M : la fête.
• Mme : on a fêté ça.
• M : on a ramassé les factures de téléphone après…
• Mme : le temps d’annoncer ça à tout le monde.
• AS : et vous aviez un doute ?
• M : personnellement, j’avais confiance dans la justice, la loi, si on a le papier, voilà, si on ne l’a pas...
• AS : si vous n’aviez pas eu l’agrément, vous auriez fait quoi ?
• Mme : je pense que j’aurais fait appel pour savoir pourquoi.
• AS : donc vous avez fait la fête et ça correspondait à quoi pour vous le fait d’avoir cet agrément ?
• Mme : qu’on allait pouvoir être parent.
• M : je dirais, c’est le départ de l’attente qui... d’un côté c’est la fête parce qu’on a eu l’agrément, d’un autre côté, c’est le début qui commence.
• Mme : pour moi, ça c’était un jour après, pour moi, c’était le moment quand on l’a reçu, «on va être parent » ; après, ça tombe, il n’y a plus qu’à attendre.
• AS : est-ce que pour vous, vous imaginez une différence entre le fait d’être parents d’un enfant que vous auriez conçu et le fait d’être parents adoptants ?
• Mme : au point de vue de mes sentiments, non, c’était mon problème quand je ne voulais pas adopter au début, j’avais peur de faire une différence. Maintenant, j’imagine qu’il y aura des problèmes, il peut y avoir des problèmes avec un enfant adopté, mais il peut y avoir des problèmes avec notre propre enfant, alors vous dire s’il y a une différence...
• Mr : peut-être certains problèmes ne sont pas les mêmes, parce qu’un jour il peut dire «je voudrais bien revoir mes parents », mais, je ne vois pas de différence, bon il y a bien une différence, c’est que ce n’est pas mon fils, ma fille biologique, mais la vie pour l’enfant, c’est ça le plus important, mais il ne faut pas négliger ça, c’est quand même important pour l’enfant...
• AS : vous pensez qu’on peut se préparer à être parents adoptants ?
• Mme : il n’y a pas de préparation à être parents ; mais l’enfant lui va certainement nous demander «pourquoi, comment... » mais à part ça...
• AS : et dans l’agrément, vous avez vécu comment les entretiens ? vous avez compris comment ?
• Mme : je pense qu’il y avait de bonnes choses ; même parfois, quand on avait des doutes, il nous donnait un exemple concret «si ça, ça se passe, vous faîtes quoi ? » C’était bien de se mettre sur la place même, ça nous aidait.
• M : moi, j’ai apprécié, ils étaient francs avec nous, surtout avec moi, il y a beaucoup de choses dans la vie que j’ai cherchées à comprendre et l’assistant social m’a dit «vous êtes le type de caractère à foncer, à faire le maximum de choses le plus vite possible parce que vous pensez que vous n’avez pas beaucoup de temps à vivre » et c’est vrai que je n’avais pas réalisé et maintenant, chaque fois que je fais quelque chose, je peux dire «attends un peu, et je fais mieux les choses ».
• AS : donc là, on dépasse le cadre de la seule évaluation pour arriver presque sur une interprétation de votre vie et un conseil ?
• M : pourtant il ne m’a pas conseillé, mais ça m’a aidé, ça m’aide énormément, avoir compris ça ; il a compris ça et il me l’a expliqué dans une phrase très simple.
• AS : donc, vous avez un agrément pour un enfant de zéro à trois ans, c’est plus large que ce que vous aviez initialement souhaité ?
• Mme : disons, c’est nous qui avons dit de zéro à trois.
• AS : donc vous avez bien changé ?
• Mme : on veut un enfant quand même, mais j’ai toujours dit, et c’est marqué dans le dossier, je veux un bébé, c’est aussi précisé.
• AS : donc dans votre idée, le fait d’augmenter l’âge augmente les possibilités ?
• Mme : en fait quand on nous forçait à prendre une décision et à savoir, il y a une chose que j’étais certaine, je ne voulais pas un enfant qui soit déjà scolarisé, d’où trois ans.
• M : et puis nous, on était forcé d’avoir une marge.
• AS : et pourquoi forcé d’avoir une marge ?
• Mme : ils essayaient de savoir vraiment ce qu’on pensait.
• M : mais gentiment,
• AS : et ça veut dire quoi ?
• Mme : il nous a dit «soyez égoïstes, écoutez-vous », c’était ces mots.
• AS : et bien précisément, si vous ne pensez qu’à vous, c’est que vous n’êtes centrés que sur votre désir d’un enfant le plus jeune possible, donc moins de six mois. Alors, comment en centrant sur votre désir, vous élargissez à moins de trois ans ?
• Mme : de zéro à six mois, ce serait mon idéal ; plus petit il est, mieux je serais ; maintenant, mon désir c’est d’avoir un enfant, on est d’accord, je me dis que de zéro à six mois, c’est pas évident d’en avoir un, et de toute façon, j’aime les enfants, on aime les enfants, ce qui était important pour moi, c’était vraiment la scolarisation.
• AS : donc, ma question, c’est de savoir comment vous passez de six mois à trois ans ?
• Mme : ! ! ! !
• M : je ne sais pas.
• Mme : parce qu’on a vraiment envie d’avoir un enfant.
• AS : et quand vous dîtes «on m’a forcé  en douceur», comment ça se passe et surtout qu’est-ce qui se passe ?
• M : j’ai senti qu’il y avait une poussée pour donner le début et la fin d’une période et pour dire, «et bien voilà » ; mais moi, j’ai déjà un gros problème, car s’ils me proposent un enfant de douze ans, je ne peux pas dire non, parce que ça veut dire que cet enfant a besoin d’une famille. A la limite, j’ai une préférence, c’est le bébé entre zéro et deux mois, est-ce que c’est faisable, je ne crois pas, après ça, je m’en fous, c’est pas que je m’en fous, c’est...
• Mme : c’est vrai que tu as moins de critères que moi par rapport à ça.
• M : moi, je me demande de quel droit j’ai le droit de choisir sur un sujet pareil.
• AS : et ça, c’est référé à vos convictions religieuses ?
• M : oui, c’est référé avec mes convictions religieuses
• Mme : oui, certainement
• M : et avec mon expérience où j’ai travaillé avant ; le problème qu’il y a aujourd’hui, c’est de penser qu’on passe à travers des catalogues pour choisir, c’est grave, et ça, ça arrive avec l’évolution humaine.
• AS : donc, vous avez un agrément, et vous faites quoi ?
• Mme : on attend
• AS : quoi ?
• Mme : qu’on nous téléphone
• M : on attend «oui, bonjour, on a un enfant pour vous » et puis trois jours plus tard on est papa et maman. C’est un truc que j’attends.
• AS : et vous l’attendez de qui ?
• Mme : de vous, du service adoption.
• AS : vous savez comment ça marche pour les enfants pupilles de l‘Etat, on vous a expliqué cela ?
• Mme : oui, pourquoi ?
• AS : vous savez la différence entre le Conseil de Famille et le service adoption ?
• Mme : nous, on a l’adoption, pas le Service de Famille.
• AS : qui d’après vous déciderait de vous confier un enfant ?
• Mme : et bien, je ne sais pas qui présente notre dossier pour savoir si on est la famille idéale pour recevoir cet enfant.
• AS : et qui décide ?
• M : le Conseil Général ?
• Mme : non, je ne sais pas.
• AS : c’est ça, c’est un peu flou ; mais vous pensez demander quoi à qui ? Pour vous, attendre un enfant, ça veut dire quoi ?
• Mme : déjà finir la maison pour pouvoir l’accueillir le mieux possible. Maintenant, nous, on sait que une fois par année, il faut qu’on envoie une lettre ; et on se dit «c’est le truc à ne pas oublier ».
• M : ça, c’est une peur pas possible
• AS : et pourquoi ?
• M : parce que si on n’envoie pas cette lettre, c’est raté quoi. C’est pas beaucoup, mais c’est facile à oublier.
• AS : en qui vous faites le plus confiance ?
• Mme : par rapport aux gens qu’on a vus ? par rapport à l’adoption ?
• AS : oui, dans votre projet de devenir parents.
• Mme : moi, je dirais, c’est l’assistant social.
• AS : vous l’appelez par son prénom
• Mme : oui, je ne sais pas pourquoi, ou plutôt si, je sais pourquoi, parce que j’ai des amis qui se sont liés avec lui, et quand on en parle, on parle toujours de F ; ça coule de source.
• AS : donc ça correspond à une personne qui vous est proche ? Vous qualifiez comment les relations que vous avez eues avec les intervenants ?
• M : avec l’assistant social ?
• Mme : il connaît notre désir, c’est lui qui est à même de dire, «cet enfant il ira bien chez nous », si j’ai un problème, je lui téléphonerai.
• AS : pour vous ?
• M : pareil. Et puis aussi, depuis la première minute qu’on l’a vu, on ouvre notre vie personnelle à fond. Il est très compréhensif, il écoute beaucoup ; en même temps, il pose les bonnes questions ; moi, j’ai même l’impression que ça fait des années que je le connais. J’ai confiance. Avec moi, il arrive à voir beaucoup plus que ce que je dis, il arrive à voir la vérité derrière, mais c’est son travail, mais oui, c’est la première personne que j’irais voir.
• AS : et que représente pour vous l’assistant social ?
• M : une grand-mère, la grand-mère du petit quoi.
• Mme : moi, j’allais dire «la Mère-Noël »
• M : par rapport à l’enfant, et par rapport à moi, il a beaucoup de connaissances, d’expérience de la vie et ça vient seulement avec l’âge, la sagesse.
• AS : et avant, les femmes qui étaient réputées comme étant sages dans un village, c’était aussi les sages-femmes, celles qui aidaient à accoucher.
• Mme : oui.
• AS : et le psychologue ?
• Mme : c’est plus professionnel.
• AS : donc ce serait plus émotionnel, affectif, avec l’assistant social ?
• Mme : oui.
• AS : les personnes les plus importantes pour vous dans l’adoption que vous ferez, c’est qui ?
• Mme : c’est d’abord nous deux.
• M : oui, pour moi aussi, c’est nous deux.
• AS : si vous aviez un conseil ou quelque chose à demander aujourd’hui, vous iriez voir qui ?
• Mme et M : l’assistant social.
• AS : et vous lui demanderiez quoi ?
• Mme : ça dépend de l’aide dont j’ai besoin, mais c’est vrai que si j’ai envie de savoir où en est notre dossier, je l’appellerais, de savoir où on en est, si on a déjà un enfant et qu’on a un problème, je l’appellerais aussi, un petit doute... parce qu’il a l’expérience quand même. Si c’est pour des trucs courants, style on a un bébé et il pleure, j’appellerais maman ; mais pour les choses propres à l’adoption, ce sera l’assistant social.
• AS : votre mère est importante pour vous dans l’adoption ?
• Mme : oui, d’ailleurs, avant de faire la demande, je lui ai demandé pour que ce soit elle qui garde l’enfant, quand on travaille ; et c’est vrai que j’aime bien lui demander son avis et si elle est d’accord...
• AS : et pour vous ?
• M : oui ma maman, mais aussi sa maman est très importante.
• AS : les mamans sont plus importantes que les papas ?
• Mme : ça dépend, c’est différent.
• M : je dirais : ta mère et ma mère sont assez proches au niveau de l’aide et du conseil, que mon père ou ton père, c’est pas pareil, c’est des conseils différents.
• AS : à qui vous parlez le plus facilement de votre projet d’adoption ?
• M : avec tout le monde.
• AS : OK ; et les premiers parents adoptants que vous avez rencontrés, mis à part ceux que vous avez rencontrés quand vous étiez petite, vous pensez qu’ils ont eu une importance pour vous ?
• Mme : à part ceux là, on n’a pas franchement lié amitié avec...
• M : il y a eu un autre couple qui a eu l’agrément et qui n’a pas adopté.
• AS : le fait de rencontrer d’autres parents ou futurs parents, pour vous aujourd’hui c’est pas quelque chose d’important, comme hier ?
• Mme : non, on a des amis qui nous comprennent, donc c’est quelque chose dont on parle facilement.
• M : moi, j’en parle aussi facilement, je connais un mécanicien qui a adopté et voilà...
• AS : donc pour vous, c’est pas important de rencontrer d’autres adoptants ?
• Mme : c’est ce qu’on nous a conseillé de faire, d’aller voir... mais on est bien entouré, on en parle ; moi, je n’en ressens pas le besoin,
• M : moi, j’aimerais bien
• Mme : toi, tu aimerais bien, mais c’est sûr qu’on ira en voir une fois, mais...
• AS : et ces personnes vous apporteraient quoi ?
• M : que, on n’est pas spéciaux, ils ont aussi passé les mêmes stades, les mêmes problèmes, peut-être différemment, et puis aussi nous on attend et eux ils ont aussi attendu.
• AS : donc ils savent ça.
• M : ils savent les trois jours ; le coup de fil ; le cœur qui fait ‘’boum, boum’’.
• AS : donc c’est ce que vous imaginez qu’ils pourraient vous donner, mais qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, vous n’en ressentez pas le besoin ?
• M : j’en ressens toujours le besoin.
• Mme : moi, non, et chaque personne réagit différemment, c’est quand même très personnel ; ils auront beau me dire comment ils ont réagi, moi, ça ne me dit pas comment moi, je vais réagir à ce moment-là.
• AS : vous n’avez pas envisagé l’adoption internationale ?
• M : si, le seul problème, c’est au niveau d’arg... , de l’enfant le plus...
• Mme : pour l’instant, on se dit qu’on va attendre ce qui se passe en France et si vraiment on trouve que c’est trop long, on ira peut être regarder... mais pour l’instant.
• AS : parce que, quand vous en parlez, vous êtes en attente d’un enfant pupille de l’État ?
• Mme : oui
• AS : et à quel moment l’attente va devenir insupportable au point de vous motiver pour aller chercher un enfant ailleurs ?
• Mme : ça c’est une excuse pour moi, mais la maison n’est pas finie, donc c’est pas grave ; je me donne un peu des buts pour me faire attendre, mais c’est quand même que la première année.
• AS : vous vous donnez combien de temps ?
• Mme : comme on nous a dit huit ans.
• M : moi, je tiens cinq ans, mais si après cinq ans, il n’y a rien, je passe un coup de fil.
• Mme : moi, je pense que j’irai voir ailleurs avant.
• M : ailleurs, oui, d’accord.
• Mme : moi, je pense que, au bout de trois ans maximum, on commencera les démarches.
• AS : qu’est-ce que vous attendez aujourd’hui des professionnels de l’adoption ? de la Dipas ou de l’assistant social ?
• Mme : je dirais que, le plus difficile, c’est qu’on a fait plein de démarches pour cet agrément, on s’est vu plusieurs fois, et à partir du moment où on a cet agrément, il n’y a plus rien ; à part nous, si on veut téléphoner ou écrire notre lettre, il n’y a plus rien ; à part ça, il n’y a plus rien, plus aucun signe. Je comprends maintenant pourquoi on nous a dit «préparez-vous » ; et du fait qu’on n’a plus rien, on continue notre vie, on oublie, on y repense, enfin, c’est pas qu’on oublie qu’on veut un enfant, mais il n’y a plus rien qui nous le rappelle, à part nous. Vous allez dire, «ça dépend de nous », d’accord ; je ne sais pas, je trouve dommage, peut-être il pourrait y avoir un petit quelque chose...
• AS : et ce petit quelque chose, ce serait quoi ?
• Mme : je ne sais pas, peut être un petit courrier, une fois de temps en temps...
• M : mais c’est à nous aussi de montrer le chemin parce que pour Noël, on pourrait envoyer une carte ou quelque chose.
• Mme : aussi, c’est vrai, mais on se dit «si on ne fait rien, on ne va rien avoir non plus ». On est relégué dans un tiroir, dans un dossier, et on attend.
• M : on est un chiffre.
• AS : on dirait que vous avez le sentiment d’être dans une phase plus passive, d’attente... d’un coup de fil, d’un courrier qui vous arriverait comme ça ?
• Mme : en fait, on est dans une phase plus concrète, parce qu’on sait que normalement il doit y avoir quelque chose au bout.
• AS : donc plus concrète et en même temps plus passive ?
• Mme : oui.
• AS : et qu’est-ce qui ferait, pour reprendre ce que vous disiez, que vous pourriez retrouver un rôle que vous aviez dans l’agrément ?
• M : nous, on pourrait aller voir déjà certaines personnes qui ont adopté, aussi.
• Mme : oui, mais maintenant, c’est par rapport à nous.
• M : oui, mais après ce moment -à, communiquer avec vous en disant «voilà, on a vu ces gens, c’était intéressant, est-ce qu’on peut discuter ? » . Moi, je me suis dit aussi, c’est important pour d’autres couples qui sont en train de passer l’agrément, de savoir ce qui se passe, comme pour nous.
• AS : et vous, vous auriez aimé, quand vous étiez dans la procédure d’agrément, savoir comment ça se passait après ?
• M : j’aurais aimé savoir ce qu’ils pensent une fois qu’ils ont eu l’agrément.
• Mme : oui, mais on en a bien parlé avec Monsieur et Madame...
• M : oui, mais ils n’ont pas adopté, ils ne vont pas adopter, ils savent qu’ils n’adopteront pas et un couple comme nous, c’est quelqu’un qui n’a jamais eu d’enfant.
• AS : les personnes dont vous parlez ont eu un agrément
• Mme : oui, ils ont déjà des enfants, ils ont eu un agrément et ils n’ont pas fait suite.
• M : et ça aussi, c’était une famille importante pour moi au niveau de la question «handicapé » parce qu’ils ont justement un enfant qui a eu une maladie grave, qui est handicapé à cause de ça, et ça m’a....
• AS : et le fait d’en parler, de l’adoption, vous pensez que ça sert à quoi ?
• M : je ne sais pas comment dire ça. Pour moi, si je ne parle pas, c’est pas bien.
• Mme : on en parle parce que c’est important pour nous, comme une famille qui veut un enfant.
• M : moi, j’ai cette expérience avec mes parents que, ils nous font asseoir, moi et mon frère dans le salon, et puis ils ont dit, «nous, on a pensé avoir un autre enfant, est-ce que ça vous dit ? » et là c’était génial ; là c’est un projet qui est différent, mais il y a aussi l’attente.
• AS : les points de ressemblance c’est quoi, quand vous faites cette comparaison ?
• M : est-ce qu’elle enceinte ou pas, hop, elle est enceinte, donc, j’ai l’agrément ; l’attente, c’est cinq ans ou huit ans pour nous, chez nous c’était neuf mois et après des stades qui vont être, je pense, plus ou moins la même chose.
• AS : être accompagnés dans votre projet, ça voudrait dire quoi pour vous ?
• Mme : c’est être soutenu, avoir des gens qui s’intéressent.
• M : être là ; et faire le point de temps en temps, pas juste au bout du téléphone quoi.
• AS : «s’intéresser » ça veut dire trouver un intérêt à ce que vous faites, qui pourrait trouver cet intérêt à ce que vous ayez un enfant et qui donc serait le ou la mieux placé pour vous accompagner ?
• Mme : j’aurais tendance à dire maman.
• M : il y a ceux qui donnent l’enfant aussi.
• AS : quand vous dites votre mère ?
• Mme : je sais que si un jour on me téléphone pour me dire que l’enfant est là, je vais appeler maman.
• AS : donc ça, c’est au moment où vous avez l’enfant, mais pour vous accompagner le temps avant l’arrivée de l’enfant ?
• Mme : je dirais que, c’est tout le monde, tous les gens à qui on en parle, c’est dans notre vie.
• AS : vous ressentez le besoin d’être accompagnés ?
• M et Mme : oui
• AS : ou si c’est ma question qui… ?
• Mme : non, mais comme chaque personne, c’est porteur d’avoir de la famille, d’avoir des amis sur qui on peut compter, pour moi, c’est quand même un accompagnement, eux avec nous, nous avec eux.
• AS : les professionnels, l’assistant social, auraient une place dans cet accompagnement ?
• Mme : il aurait une place, bien sûr, si on se pose des questions sur l’adoption.
• M : moi, je dirais que lui, pas seulement lui, mais votre organisation devrait avoir une place parce que dans cinq ans d’attente, il y a beaucoup de choses qui peuvent changer aussi, dans les attitudes…
• Mme : c’est là que je dis que le service, ce serait bien qu’il donne des nouvelles dans les cinq ans, pour se parler, se rencontrer, ce genre de choses, parce que si moi j’ai un problème, je l’appellerai, je l’appellerai, donc il est toujours présent, sans être présent, mais, pour accompagner les couples, dans cette attente, ce serait bien qu’on se rencontre une fois par année, juste pour savoir comment ça va, c’est ça que je voulais dire tout à l’heure.
• M : et que même, cette lettre qu’il faut qu’on envoie, si vous la photocopiez cinq fois, vous la mettez dans cinq enveloppes, vous mettez l’année dessus et puis voilà ; pour moi, c’est du bidon.
• AS : donc, il vaut mieux le dire que l’écrire ?
• M : oui, à mon avis.
• AS : je reviens sur une question, pourquoi vous n’êtes pas allés en adoption internationale tout de suite ?
• M : moi, je dis oui, il faut le faire, mais…
• Mme : parce qu’intérieurement, je pense qu’on aura de la chance et qu’on aura un coup de téléphone.
• AS :vous êtes en attente d’une bonne nouvelle, qui vous arriverait du ciel ! ?
• Mme : oui, j’attends une bonne nouvelle qui peut arriver avant les cinq ans, pourquoi pas ?
• M : oui, moi, aussi, mais je me dis toujours il faut le faire, mais il y a toujours le temps et puis je ne sais pas.
• AS : est-ce que vous avez rencontré des personnes qui pour vous ont été des modèles ?
• Mme : pour moi, je me réfère à mes parents.
• M : pour moi, c’est la même chose, mes parents ; j’essaie de voir quelqu’un d’autre ; je vois aussi l’assistant social comme sorte de modèle, même si je ne connais rien de sa vie privée, je ne sais pas s’il a des enfants ou pas, mais il a toujours la bonne réponse, il sait toujours ce qu’il faut dire, ce qu’il faut faire ; ça a beaucoup joué pour moi, et puis mes parents et la chance que j’ai eue avec ma sœur.
• AS : si l’assistant social était la grand-mère de l’enfant, il devient votre parent, il serait plus un modèle maternel ou paternel ou les deux ?
• M : les deux, mais le côté sagesse ; j’ai dit grand-mère mais plus dans un cadre paternel, pratique, ce qu’il faut faire, mais le côté maternel aussi.
• AS : est-ce qu’il y a autre chose que vous pourriez me dire ?
• M et Mme : non
• AS : et bien merci à vous. Je reviens quand même sur une question. Vous pensez que les adoptants pourraient vous apporter autre chose que ce que vous apportent les professionnels ?
• Mme : ils ont les sentiments en plus, sentiments que les professionnels n’ont pas parce qu’ils ne sont pas dans la même situation, sentiments d’attente que les professionnels n’ont pas
• AS : donc là on est sur un partage d’expérience, de vécu
• Mr : oui
• AS : Ok ; merci à vous.