Entretien n° 11. Monsieur et Madame MASSON : « L’adoption : un choix privé du couple, qu’on ne peut pas prendre à deux… ».

• AS : la première question que je voulais vous poser est de savoir pourquoi vous avez demandé un agrément adoption. ?
• M : moi, c’est depuis très très longtemps, et puis finalement on a eu des problèmes pour avoir un bébé, et je pensais plus m’engager dans l’adoption que dans la procréation médicalement assistée, ça me semble naturel.
• M : moi je dirais que dans l’esprit de mon épouse c’était beaucoup plus clair que dans le mien, à l’origine. Donc, ça fait à peu près huit ans qu’on est ensemble et c’est vrai qu’au début on a voulu consolider notre vie de famille et puis avoir un enfant, donc la première démarche a été de se faire aider médicalement pour essayer d’avoir un enfant, donc Brigitte. a eu des inséminations, elle a eu quatre FIV, des échecs, des traitements longs et c’est vrai que dans mon esprit il était important d’aller à la fin d’une démarche pour en commencer une autre. Donc, la finalité c’est bien toujours d’avoir un enfant, c’est l’aboutissement de notre vie de couple, en tout cas pour moi il ne fallait pas brûler les étapes et...
• Mme : c’est vrai que moi j’aurais griller les étapes.
• AS : donc deux dimensions pour vous, d’une part l’idée d’adopter que vous avez depuis longtemps et ensuite une difficulté à avoir naturellement un enfant ; et au niveau médical, ils vous ont dit quoi ?
• Mme : non, qu’il n’y avait rien du tout ; c’était dan la tête et qu’ils n’ont pas d’explication
• M : il y a quelques % de stérilité méconnus
• AS : vous espérez encore concevoir un enfant ?
• M : on espère avoir les deux mais la priorité c’est d’avoir un enfant par l’adoption, c’est pour ça qu’on a entrepris ces démarches ; si demain par chance Brigitte pouvait connaître une grossesse, ce serait une très belle chose, ceci dit, on en a fait le deuil.
• Mme : enfin non pas le deuil, mais sincèrement je n’en ressens plus le besoin.
• AS : ce n’est pas un espoir que vous entretenez ?
• M et Mme : non, non
• AS : mais qui reste comme possibilité ?
• Mme : voilà
• AS : et quand vous avez commencé à parler de l’adoption, vous souhaitiez accueillir quel enfant ?
• M : pour moi c’était important d’avoir un enfant qui nous ressemble, qui ressemble à notre famille, à notre environnement ; c’est vrai que j’attachais beaucoup d’importance à cet enfant pour lui donner toutes les chances possibles pour qu’il ait le meilleur environnement possible et qu’il n’ait pas à subir le regard des autres, et pour l’enfant et pour nous. Donc, c’est vrai que je recherchais plus un enfant européen du Nord.
• AS : vous aviez donné une limite d’âge ?
• M : surtout mon épouse...
• Mme : oui, j’avais bien envie du bébé quand même
• M : oui, pour materniser un peu
• AS : et entre le moment où vous pensez à l’adoption et celui où vous faites la demande d’agrément et vous l’obtenez, vous avez l’impression que les choses ont bougé par rapport à cette attente ?
• Mme : oui énormément
• M : oui énormément parce qu’on se rend bien compte que, avoir un bébé, c’est un peu le parcours du combattent, ça peut être très long, que ce soit l’étranger, c’est très difficile d’avoir un bébé de trois mois, donc ça, ça peut changer un petit peu les cartes, c’est vrai que depuis l’agrément on a travaillé, on a fait quelques petites recherches ; on a rencontré un couple qui a adopté par l’international ; mais c’est vrai que c’est encore la seule question qui reste encore un peu difficile pour nous, c’est le temps d’attente en France d’un bébé pupille de l’État et on s’est dit : on est jeune, s’il faut attendre cinq ans, six ans, dix ans pour avoir un bébé, c’est pas facile non plus, et sur l’étranger on n’est pas convaincu non plus ; donc je pense qu’on partira sur un pupille de l’État.
• Mme : voilà, il y a vraiment eu une évolution parce qu’au départ on était vraiment sur l’international ; on voulait un bébé rapidement ; et on a eu quelques petites peurs. On était parti pour la Russie, dans un pays de l’Est et on a une amie qui est docteur, elle nous a contactés et elle nous a dit que dans deux dossiers sur trois les dossiers médicaux étaient falsifiés. Donc ça nous a fait peur parce que c’est pas facile de vivre la maladie d’un enfant...
• AS : donc en attendant un pupille de l’État, vous pensez avoir plus de garanties sur l’état de santé de l’enfant par exemple ?
• M : oui, je pense
• AS : et qu’est-ce qui a bougé quand vous disiez tout à l’heure «ça a énormément bougé » ?
• Mme : je parle depuis le début, du jour où on a commencé à parler de l’adoption et maintenant, déjà pour mon mari...
• M : il y a déjà ce dossier ; il y a une procédure, des étapes assez longues, cet agrément ; on s’est dit «ça y est, on a le passeport pour adopter », mais je pense que dans toute démarche il faut prendre du recul, ça fait huit ans qu’on est ensemble, ça fait sept ans qu’on essaye d’avoir un enfant, donc on n’est plus à deux ans ou trois ans près. Dans mon esprit, j’ai envie d’être père, le plus rapidement possible, mais je crois que tout se mérite et c’est une question de temps, mais mieux vaut patienter encore plutôt que de provoquer certaines choses dans les pays de l’Est notamment et moi, je me souviendrai toujours de ce que me disait ma maman quand elle a accouché, quand l’enfant naissait, elle n’a pas demandé le sexe de l’enfant, c’était déjà de savoir si l’enfant était en bonne santé...
• AS : donc c’est l’élément qui vous paraît être aujourd’hui prioritaire ?
• M : oui
• AS : et le deuxième élément prioritaire vous le mettriez par rapport à l’âge ou par rapport à l’origine européenne ?
• Mme : à l’âge.
• AS : pas sûr pour vous ?
• M : moi, moins, c’est vrai qu’on n’était pas tout à fait d’accord, mais
• Mme : pour le deuxième on verra, mais je pense qu’il faut passer par une maternité, par un enfant tout petit...
• M : qu’il soit à toi, à trois cents pour cent.
• AS : vous parliez tout à l’heure de parents adoptants que vous aviez rencontrés, vous les avez rencontrés quand ?
• M : après l’agrément.
• AS : vous en aviez rencontré avant ?
• Mme : non, on n’en a pas rencontré, elle m’a dit «on rentre plus là-dedans, j’aimerais bien vous aider mais... », enfin elle voulait sortir un petit peu de... enfin je comprends mais, j’ai plus osé contacter quelqu’un sans avoir un lien amical ou connaissance qui...
• M : pour moi, c’est surtout indirectement, professionnellement je rencontre beaucoup de personnes qui ont des amis qui ont adopté, voilà donc... mais pas directement.
• AS : et la procédure d’agrément, vous l’avez vécue comment ?
• Mme : pour moi, c’est une belle aventure, on était pressé d’aller au rendez-vous et oui, c’était une belle aventure.
• M : il faut dire qu’il y avait eu un premier contact quasi deux ans avant avec l’assistant social, donc après il y a eu deux ans de réflexion pour confirmer notre souhait d’adopter, donc c’est une procédure qui été même trop rapide et.
• Mme : pas trop rapide, mais je voulais qu’il soit à cent pour cent sûr de ce sentiment par rapport à l’enfant.
• AS : et vous pensez avoir trouvé quelque chose dans cette procédure d’agrément ? C’est-à-dire, au-delà de la procédure administrative avec les papiers à remplir... ?
• Mme : moi, j’ai senti que, on se sent enfin pris en main et rassuré avec un encadrement qui nous donne l’impression qu’on allait enfin avancer...
• M : conforté de part l’encadrement et conforté au niveau du couple parce que c’est quand même une décision conjointe et je crois que ça nous a également confortés dans ce sens là ; c’est de se dire que, on a rien sans rien, donc, il faut avoir le courage d’attendre.
• Mme : oui, mais c’est une belle attente
• M : oui, mais c’est pas la procédure, c’est pas les entretiens...
• Mme : non, au contraire ça nous donne des points de repères, ça donne l’impression d’avancer.
• M : moi mon intime conviction c’est qu’on est un couple sans reproches, je ne dirais pas un couple parfait, c’est un peu présomptueux (rire de Madame)... non mais attends, je pense qu’on peut tout donner à un enfant, on est jeune...
• AS : et avec qui vous avez parlé de votre projet d’adoption ?
• M : tout le monde est au courant
• Mme : au début, c’est les parents ; moi j’en avais déjà beaucoup parlé à mes parents à l’âge de seize ans, j’en parlais beaucoup ; après frères et sœurs
• M :moi ma mère et mon frère et puis après on en parle très librement
• Mme : et ta maman n’attend que ça, c’est elle qui aussi...
• M : mon employeur est au courant, les collègues... voilà c’est pas un secret d’État donc à partir de là il n’y a rien à cacher, les voisins
• AS : et vous en avez parlé avec d’autres parents adoptants ?
• Mme : et bien moi, j’ai beaucoup de clientes qui ont adopté, mais ce qui m’intéressait beaucoup c’était de parler aussi avec des personnes qui ont été adoptées ; donc moi aussi j’en parle beaucoup
• M : et on a rencontré un couple, qui a adopté en Russie...
• Mme : et puis moi quand j’étais jeune, vers quinze seize ans, j’ai gardé des petits voisins qui avaient été adoptés, enfin c’étaient nos voisins d’en face et puis ils ont déménagé et après on n’a plus eu trop de nouvelles, alors est-ce qu’ils ont voulu partir du village pour peut-être se refaire une vie ailleurs, c’est vrai qu’ils avaient adopté les enfants dans ce village
• AS : donc ils avaient adopté des pupilles de l’État
• Mme : oui, trois mois les deux, le petit avait quatre ans quand B est arrivé, ce sont des petits que j’ai gardés, surtout B. d’ailleurs, il s’appelle B. et je m’appelle B. et on a été très très proche, et c’est vrai que c’était des petits bouts de choux que j’ai gardés...
• M : oui, c’étaient des bébés
• Mme : mais les contacts, bon, c’est vrai qu’on pourrait prendre contact mais c’est différent chez tout le monde, l’enfant a son propre caractère, comme quand on met un enfant au monde...
• AS : est-ce que vous imaginez une différence entre le fait d’être parents et le fait d’être parents adoptants ?
• Mme : non, sincèrement non, aucune à part le fait que... il faut être plus... quand je te dis souvent «à l’adolescence, il va dire, tu n’es pas mon père, tu n’es pas ma mère », ça, ce sont des choses qu’il faut accepter, auxquelles il faut se préparer un peu plus...
• M : mais comme moi adolescent, on disait «on s’en va, je vais partir », je pense qu’on les dit différemment mais sur le fond c’est la même chose, l’analyse pour moi est exactement la même.
• AS : et vous avez l’impression que les futurs adoptants auraient à se préparer à devenir adoptants ?
• M et Mme : non, non.
• M : non, une fois qu’on a choisi, point. Il n’y a plus d’ambiguïté, on est parents à part entière et
• Mme : oui, c’est la même attente, on ne sait pas à l’avance quel parent on sera, l’enfant nous mènera par le bout du nez, on fait ce qu’on peut et on ne se prépare pas à ça, pas plus à être parents adoptants qu’à être parents.
• AS : OK. Donc, vous avez reçu votre agrément, vous l’avez reçu comment ?
• Mme : c’est une bonne étape, c’est un peu comme le test de grossesse, voilà on peut être parent.
• M : on a eu des petits doutes, peut-être pendant quinze jours, on attendait les rapports surtout, c’est vrai qu’on a toujours un petit doute dans notre esprit «est-ce qu’on est les parents ‘’parfaits’’, est-ce qu’on est dans le moule ou pas ? », on s’est quand même posé la question, mais non dans l’ensemble ça s’est bien passé, il n’y a pas de problème ; s’il y avait eu un agrément à connotation un peu plus négative, ou avec des petits doutes, mais non
• AS : et une fois que vous avez l’agrément, vous faites quoi ?
• M : on a travaillé
• Mme : on a pris le temps, on s’est dit c’est parti, mais qu’est-ce qu’on va en faire, on n’avait pas la recette.
• M : et bien on a beaucoup discuté avec des amis, avec l’entourage, on en parlait tous les soirs en rentrant du travail...
• AS : et vous parliez de quoi ?
• M : il y avait deux sujets, ou c’était partir à l’international, ou rester en France. C’est vrai que pour moi, dans mon intime conviction depuis l’origine, ce serait un enfant pupille de l’État et attendre le temps qu’il faut ; toi, tu es toujours un petit peu pressée ; quand on est allé voir Monsieur et Madame T, ça y est, on appelle leur intermédiaire en Russie
• Mme : oui, mais toi tu attends depuis quatre ans, alors que moi... il faut provoquer pour avancer sinon j’ai l’impression que ça va aboutir à rien ; moi un enfant c’est un enfant, c’est tout, c’est vrai que j’ai peut-être avancé les choses un peu trop vite mais...
• AS : donc le sujet ç’était «est-ce qu’on se tourne du côté de l’adoption internationale ou est-ce qu’on attend un enfant pupille ?
• M : et c’est une question de temps ; on sait très bien que si on lance une procédure de recherche sur les pays de l’Est, on l’aurait cet enfant, on l’aurait ce bébé, et ça peut être assez rapide...
• AS : et qu’est-ce qui a fait que maintenant vous en êtes plutôt...
• M : d’abord pour moi, tous les orphelinats dans ces pays-là sont horribles, il n’y a pas d’autres mots, les enfants sont quand même dans des situations extrêmement précaires et un couple qui adopte devra encore laisser un an l’enfant dans cet orphelinat
• AS : c’est principalement en Bulgarie ?
• M : non, c’est presque dans tous les pays de l’Est ; et les enfants sont dans des situations très difficiles à tous les niveaux...
• AS : donc ce que vous ont dit M et Mme T a été important pour vous ?
• M : oui bien sûr et aller voir son enfant et le récupérer un an après, moi j’ai du mal à admettre, il y a quand même les Conventions de La Haye ; on sait que les deux premières années sont déterminantes pour les enfants et donc dans l’évolution de cet enfant c’est trop difficile
• AS : donc vous rencontrez Monsieur et Madame T. et ce qu’ils vous ont dit de la manière dont les adoptions se passaient en Russie vous a conduits à penser que ce n’était pas supportable et en tout cas que ce n’était pas un chemin que vous prendriez ?
• Mme : aujourd’hui, oui
• M : un enfant, on lui veut le meilleur, je sais bien que ces enfants... mais ce sont des enfants qui ont beaucoup de problèmes. Je trouve ça trop triste, alors il y a peut être d’autres pays qui peuvent accélérer les procédures mais...
• Mme : mais on ne sait plus demander à qui et comment, j’avoue que maintenant...
• M : bien sûr il existe d’autres associations avec des listes d’attente, et c’est encore plus long ; Monsieur et Madame T, on a souhaité les rencontrer parce qu’on était dans des procédures acceptables au niveau du temps.
• AS : et quand vous dîtes «on ne sait plus à qui s’adresser, ni quoi faire comme démarche... » ?
• Mme : parce que j’ai appelé une association, mais il faut envoyer un dossier... et madame T m’a dit qu’elle n’avait fait que ça, envoyer des courriers et personne ne lui avait jamais rien répondu, donc c’est vrai que ça m’a..
• AS : vous avez rencontré d’autres adoptants qui ont adopté assez récemment ?
• Mme : non
• AS : et dans votre réseau professionnel ?
• M : ce sont des adoptions qui sont déjà un peu anciennes, une dizaine d’années
• Mme : c’est vrai qu’on n’a pas de contacts avec des couples
• M : mais Monsieur et Madame T, on les a rencontrés par mon réseau professionnel ; mais ceci dit, en relations professionnelles c’est pas toujours facile...
• Mme : c’est-à-dire qu’on est dans une position qui n’est pas très confortable, quand on demande justement
• M : et puis l’assistant social nous connaît bien, il y a eu toute cette procédure de l’agrément, donc moi je suis aussi un petit peu conforté dans ce sens là, je pense que c’est toujours important d’avoir des interlocuteurs qu’on connaît, avec qui on a discuté, et dans tous les pays où on va aller à l’étranger, on ne sait pas comment ils vont interpréter nos propos, c’est une nouvelle procédure
• AS : néanmoins quand vous vous êtes trouvés avec l’agrément, si vous aviez eu une demande à formuler, vous l’auriez formulée à qui ? Est-ce que vous en aviez, et dans ce cas, à qui était-elle adressée ?
• M : formuler une demande ? je crois que, à ce niveau-là, c’était surtout des questions qu’on se posait, après l’agrément...
• Mme : moi, je pensais d’abord «association », prendre rendez-vous, nous recevoir, et on avait plein de questions, mais elle m’a dit «vous envoyez votre dossier et on verra si vous êtes dans nos critères ou pas
• M : alors on ne cherche pas à être aidé mais on a besoin d’être éclairé ; il y a cette période qui est quand même extrêmement délicate parce que ce n’est pas tout d’avoir cet agrément, c’est de savoir quoi en faire, et c’est peut-être là qu’on se dit et bien «qu’est ce que je vais en faire ? »
• Mme : mais pas lancer un dossier comme ça au hasard sans avoir rencontré la personne...
• M : on ne voulait pas aller trop vite
• Mme : et moi, je voulais vraiment rencontrer les associations, qu’on allait en voir, qu’on allait discuter et qu’après le dossier serait monté, et là on m’a dit «non, vous envoyez votre dossier »
• AS : finalement vous avez fait des dossiers ?
• Mme : oui, j’en ai un qui a avancé mais je n’ai rien envoyé ; mais au moins avec l’intermédiaire en Russie on a pu savoir ce qu’il fallait préparer...
• AS : et en Russie, vous étiez prêts à accueillir un enfant qui soit un peu plus grand qu’un bébé ?
• M : deux ans
• AS : et c’est quoi qui a fait changer ?
• Mme : je crois qu’il y a eu... on est arrivé chez Monsieur et Madame T, on a vu le petit, on l’a trouvé craquant, adorable, et puis, je ne sais pas, mais voir cette vie de famille, on s’est dit après coup, mais en fait j’ai rien lancé tant que j’avais ce doute, que j’ai toujours de toute façon, c’est qu’un enfant de deux ans, on dit que le caractère d’un enfant se forge entre zéro et trois ans et ça, çà me fait peur, je me dis l’idée d’avoir perdu deux années de sa vie...
• M : mais nous de l’extérieur on se rend compte que cet enfant est un écorché vif, à ce niveau-là c’est un enfant qui a quatre ans, ça fait deux ans qu’il est en France, c’est un enfant qui a énormément de problèmes d’élocution, il parle très peu, il crie, il parle très fort, parce que dans ces orphelinats il faut se faire entendre, et c’est vrai qu’on le ressent...
• Mme : on sent qu’il a eu un manque affectif, et même ces deux années elles peuvent pas être comblées comme ça ; on commence à se rendre compte quand même que la petite enfance est importante.
• Mr : mais on parle d’un enfant, d’un orphelinat, et on ne peut pas généraliser, et c’est vrai qu’on n’a pas assez de recul et on n’a peut-être pas vu assez de couples justement pour être plus objectif quand même
• Mme : mais c’est quand même un enfant qui a perdu deux années de sa vie.
• AS : en tout cas, c’est venu vous conforter dans votre souhait d’accueillir un enfant le plus jeune possible ?
• M : le plus jeune possible et pupille de l’État par ce que l’assistant social nous connaît bien et je pense que c’est important également ; l’assistant social veut le meilleur pour les enfants, nous on veut le meilleur pour cet enfant, en tout ce qu’il cadre par rapport à nos souhaits, à nos convictions, à beaucoup de choses...
• AS : et quand vous avez eu l’agrément, vous aviez des questions comme vous disiez tout à l’heure, pourquoi vous n’avez pas téléphoné à l’assistant social ou à la Dipas ?
• Mme : parce qu’on n’ose pas, sincèrement moi, je n’osais pas.
• AS : pourquoi ?
• Mme : je ne sais pas
• M : et pourtant il a toujours été très clair à ce niveau-là, si on avait des questions, on pouvait appeler...
• AS : et néanmoins vous ne l’avez pas fait ?
• Mme : et bien moi je voulais
• M : il faut que ça mûrisse, je crois qu’on en parle encore beaucoup et c’est vrai que dans mon esprit c’est très clair maintenant...
• AS : je reprends donc ma question, pourquoi n’avez-vous pas appelé la Dipas ?
• Mme : parce que j’ai l’impression qu’il y a une procédure, qu’elle s’est arrêtée là avec l’agrément, et après je pensais que ce n’était plus à vous justement de nous...
• AS : vous aviez peur de déranger ?
• Mme : oui, et je me suis dit «là il y a d’autres couples qui arrivent pour cet agrément » et ne pas encombrer votre temps ; et puis en plus je me dis que les autres eux savent faire et nous pas, alors je n’ose pas trop demander.
• AS : comme si vous étiez différents des autres ?
• Mme : oui, comme si les autres savaient faire.
• M : non, moi je pense qu’on est dans un choix personnel également qui est difficile à prendre et il ne faut pas aller trop vite non plus, de savoir où on va adopter, je pense que c’est le choix du couple
• Mme : oui, mais maintenant on est d’accord
• M : oui, mais c’est quand même difficile, il ne faut pas l’occulter, ça va être très long, c’est vraiment ça qui est cruel ; tout en sachant qu’à l’étranger, c’est quand même plus rapide, même si on n’est pas bien reçu ; mais nous ce qu’on a besoin c’est de dialogue avant de faire quelque chose.
• AS : avec qui ?
• M : avec des associations sur d’autres pays, sur d’autres associations...
• AS : et ces dialogues vous apporteraient quoi ?
• M :  : c’est d’être conforté dans l’idée de pouvoir réduire le temps
• Mme : où, quand, comment ?
• M : dans les meilleures conditions possibles pour cet enfant
• AS : c’est ça donc, en parler avant, avoir un minimum d’informations sur les conditions dans lesquelles ils travaillent, et qui pourraient vous donner ces informations ?
• Mme : et bien, je n’en sais rien justement, j’ai essayé de les contacter
• M : ce sont les couples qui ont déjà adopté qui sont passés par là ; je pense qu’à la base, c’est quand même eux qui sont importants parce qu’ils ont été confrontés à ces problèmes administratifs, de longueur, et puis le recul est nécessaire, donc on parle toujours des aînés, ils ont le savoir, et nous ce savoir on ne l’a pas donc
• Mme : c’est pour ça, j’allais contacter l’assistant social...
• M : mais je pense qu’avec cet agrément, la seule chose qui est délicate à gérer, c’est le temps, pour extraire un enfant dans les meilleures conditions possibles...
• Mme : oui, mais là on est dans le cadre de l’étranger, en France c’est vraiment le temps
• M : oui en fait, on attend en France et on sait qu’un enfant nous sera remis dans les meilleures conditions possibles, et à l’étranger c’est quand même différent, il y a en plus toute une procédure...
• AS : je trouve qu’il y a un petit paradoxe dans votre positionnement actuel : vous êtes prêts à attendre très longtemps un pupille de l’État, et vous trouvez lourd et finalement pas assez rapide une adoption internationale
• M : lourd et cruel, mais vous avez tout à fait raison
• AS : et pourquoi vous n’êtes pas allés voir dans d’autres pays d’Europe ?
• M : on a essayé, mais le problème de toutes ces associations c’est qu’elles ne cherchent pas le dialogue.
• AS : donc prioritairement, vous seriez plus volontiers passés par une association ?
• M : tout à fait
• AS : je passe à autre chose. Actuellement, est-ce que vous avez des souhaits ou des demandes
• Mme : et bien moi, mes demandes, mes souhaits, ce serait de rencontrer des couples qui ont adopté, moi, j’ai envie de les contacter.
• AS : et vous en attendriez quoi ?
• M : d’être confortés peut-être déjà sur l’âge, simplement par le fait que tu veux un bébé le plus jeune possible
• Mme : oui, mais ça évolue dans ma tête aussi
• AS : c’est important, «être conforté sur l’âge » ?
• M : mon épouse voulait un bébé le plus jeune possible, trois mois, six mois maximum, il est certain que peut-être en voyant des couples qui ont adopté des enfants de un an, un an et demi, deux ans, ça nous conforterait également. Moi, dans mon esprit il n’y a pas d’ambiguïté, donc un enfant de deux ans, ce serait parfait ; mais je pense que c’est important de rencontrer des couples qui étaient peut-être dans le même cas que nous, à vouloir un bébé et de part les longueurs, ils sont partis sur des enfants de un an, deux ans et plus.
• AS : et quand vous disiez «ça a changé », c’est quoi qui a changé chez vous ?
• Mme : pour moi l’enfant à la base, c’est un bébé, c’est le prendre dans ses bras, c’est un être qui n’est pas encore indépendant, et puis finalement je me suis rendue compte qu’un enfant de deux ans, c’est encore un bébé, c’est pas tant l’âge qui était important c’est le besoin d’affection
• AS : et qu’est-ce qui vous a permis de changer ?
• Mme : c’est madame T.  C’est leur rencontre, elle nous a narré l’histoire, on a vu les photos, c’est là que...
• AS : vous vous êtes dit que finalement «voilà des gens qui ont adopté un enfant qui avait deux ans, et quand on les voit maintenant...
• Mme : oui voilà il y a une vie de famille, ce petit cocon que je trouve fabuleux, ce petit garçon que je trouve adorable
• M : c’est là que tu as relativisé l’âge
• Mme : et surtout par le fait, elle m’a dit «vous savez, on a l’impression qu’il a toujours été là » et ça c’est...
• M : et on a l’impression, c’est une femme qui parle à une autre femme, quoi, et je crois que nous homme, quand je disais qu’à deux ans, c’est encore un bébé, elle ne le concevait pas ; je pense qu’une femme qui dit ça à une autre femme, elles sont sur la même longueur d’onde.
• AS : les femmes parlent pas pareil que les hommes ?
• M : non, mais les femmes sont sur la même longueur d’onde ; si c’est Madame T qui lui dit ce que je lui ai dit, ça a plus de portée, parce qu’elle l’a vécu
• Mme : parce qu’elle est mère
• M : Madame T. t’a quand même éclairée
• Mme : et c’est assez curieux, après avoir vu Madame T., je ne regardais plus les bébés, je regardais les petits bouts de choux et il n’y avait que ça qui m’intéressait ; pour dire, on n’a pas de barrière, on se donne des barrières, rien n’est fermé
• AS : une question ? Est-ce que vous pensez qu’en rencontrant des couples qui ont adopté des enfants qui ne leur ressemblent pas, vous feriez le même chemin que votre épouse par rapport à l’âge ?
• M : je ne sais pas, je ne sais vraiment pas, c’est vrai qu’on en était à se dire pourquoi pas l’Amérique du Sud
• Mme : tu as fait un pas en avant. (rire) ; quand tu as vu le petit... c’est une famille, point.
• AS : vous parliez d’un couple qui avait accueilli trois enfants du Brésil ?
• Mme : on ne les a pas vus. On va les rencontrer, je pense. Mais là, je pense, je vais reprendre toutes les associations, je vais refaire mes dossiers, on peut envoyer à toutes les associations ? On a le droit ? Je ne sais pas.
• AS : on reprendra cela tout à l’heure. Mais comment vous pouvez qualifier les relations que vous avez eues avec les professionnels ?
• Mme : pour ma part saines, claires ; chacun est resté naturel, a dit ce qu’il avait à dire ; très net ; on a une vision de l’adoption
• M : sérieuses, objectives, rigoureuses
• AS : je reviens sur la question des demandes. Vous aviez quand même des demandes, une fois l’agrément obtenu, mais vous n’avez pas téléphoné à la Dipas ?
• M : il n’y a pas de raison particulière.
• AS : vous disiez tout à l’heure on a peur de vous déranger ?
• M : non, il faut surtout qu’on rencontre des couples et pour le moment... la procédure de l’agrément a été très claire, la porte est ouverte, donc il faut qu’on aille un peu plus loin, c’est tout
• AS : ça sert à quoi pour vous de parler de l’adoption, quand vous en parlez entre vous et avec d’autres ?
• Mme: en parler pour moi, c’est commencer à adopter un peu aussi, comme quand on parle d’un autre projet, rencontrer des couples je suis d’accord, mais maintenant il faut qu’on décide quand même. Mais en parler, c’est pour le vivre tout simplement.
• AS : OK. On va aborder rapidement l’aspect financier. Pensez-vous qu’il y ait des critères qui permettent de dire que telle adoption a été respectueuse des droits de l’enfant ?
• M : il n’y en a aucun.
• Mme : oui, c’est vrai, on ne sait pas...
• M : il n’y en a aucun
• Mme : moi je veux savoir, on a peut-être donné 50 ou 100 000 francs, comment cet argent a été utilisé, les honoraires de l’avocat, du traducteur, simplement et je ne veux pas d’argent en dessous de la table, que les choses soient établies au départ, que tout soit clair.
• M : oui mais tu n’as pas le choix
• Mme : c’est une question de confiance
• M : oui mais il ne faut pas rêver, l’intermédiaire de Monsieur et Madame T, ils l’ont payé en espèces, il faut pas croire.
• Mme : c’est pas l’argent, on s’en fout, mais c’est que tout soit clair.
• AS : donc ma question c’est : dans quelles conditions pour vous, l’adoption internationale serait conforme à votre éthique ?
• M : que cet enfant ne fasse pas l’objet d’un marché d’enfant ; c’est surtout ça. Qu’il y ait le plus de transparence de l’association ou de notre intermédiaire.
• AS : et qu’est-ce qui vous permettrait de trouver cette garantie ?
• M : il peut toujours y avoir un risque. Mais on a une fourchette. Mais il y a toujours un risque. Mais avec une association française, on sait qu’il n’y aura pas de problème. Le plus transparent pour moi, c’est de faire un chèque à une association française, d’être assisté dans les démarches.
• AS : et pour une adoption directe.
• M : avec l’intermédiaire des T, moi je suis pas chaud.
• AS : vous pourriez donner votre confiance à un intermédiaire comment ?
• M : avoir un enfant le plus rapidement possible, dans les meilleures conditions possibles et que cet enfant passe le moins de temps possible dans les orphelinats.
• AS : et quels sont les éléments qui vous permettraient de faire confiance ou pas confiance ?
• M : c’est pas facile. Chercher des garanties, et lui demander le maximum de choses, se renseigner. La confiance ne peut être que totale, sinon ça ne marche pas.
• AS : quelles sont les personnes qui pour votre projet d’adoption sont les plus importantes ?
• M : à l’origine c’est l’assistant social parce qu’il nous connaît bien, il y a eu l’agrément, je pense qu’à la base c’est ça. Que ce soit un pupille de l’État ou par une association, il est toujours... enfin il est toujours là
• Mme : je pense qu’on le contactera, pour nous aider
• M : pour nous aiguiller
• AS : et aiguiller pour vous, c’est ?
• Mme : diriger
• M : c’est mettre sur des rails, savoir si on passe en direct ou pas, si on passe par un pupille de l’État
• Mme : l’assistant social a quand même l’expérience, il a vu des agréments passer, des adoptions
• AS : et vous disiez tout à l’heure que la rencontre avec des adoptants était importante dans le fait de voir une famille
• M : voilà, ils ont un enfant, c’est le leur
• AS : pour vous, être accompagnés, vous pensez que vous en avez besoin et dans ce cas-là, ça voudrait dire quoi ?
• Mme : être accompagné pour que ça se passe bien avec l’enfant, c’est bénéfique pour tout le monde
• AS : donc une fois que l’enfant est là ?
• Mme : et puis avant aussi
• M : être accompagné, c’est être conseillé, donc pouvoir dialoguer, une personne que l’on peut rencontrer
• Mme : avoir une oreille attentive
• M : parler des problèmes que l’on peut rencontrer, ou alors via des familles qui sont un petit peu dans ce cas-là également
• Mme : c’est çà avoir une oreille attentive, avoir quelqu’un ; parce que, à la base on ne se débrouille pas tout seul pour une adoption, c’est pas comme une naissance ou une grossesse ; il faut qu’on apprenne à conduire l’adoption.
• AS : est-ce que vous avez attendu quelque chose d’autre de la Dipas et pensez-vous que la Dipas ait quelque chose à mettre en place pour justement faire ce travail d’accompagnement ?
• M : à notre service ? Mais ça ne peut pas être les mêmes interlocuteurs, parce que la neutralité me paraît plus ambiguë, pour moi c’est autre chose, enfin je parle dans le rôle de conseil, d’aiguiller,
• Mme : non mais d’avoir des rendez-vous, de se réunir pour...
• AS : et pourquoi ça ne peut pas être les mêmes personnes ?
• M : ou après la procédure, après l’agrément, mais pas qu’il y ait une connexité entre les deux, je pense que ce sont deux choses qui restent distinctes
• Mme : moi ce qui me semble important et rassurant c’est justement de voir les choses avec la même personne.
• M : mais tu ne peux pas rencontrer l’assistant social qui peut avoir un rôle de conseil et le lendemain pour un agrément pour discuter, après oui mais pendant
• Mme : oui mais on parle de "après l’agrément"
• M : oui mais c’est quand même deux réflexions que l’on mène, nous, en parallèle également, il y a un agrément et c’est de savoir ce qu’on va en faire, il y a peut-être moyen d’écourter et donc de pouvoir rencontrer en même temps d’autres personnes qui peuvent nous aiguiller, nous aider dans le choix de l’association, de ce qui existe.
• AS : et si l’assistant social avait pris le téléphone pour vous appeler, vous auriez dit quoi ?
• Mme : ouf, il m’appelle
• M : oui, mais c’était à nous de le faire de toute façon ; mais c’est vrai qu’on est toujours dans le doute ; on a cet agrément et on se sait pas où aller. C’est vrai qu’on attend des conseils d’une personne qui peut centraliser tout ça, et là on est complètement dans le flou ; on n’arrive pas à être aiguillé et on ne sait pas les questions qu’il faut poser ; dans la Dipas, l’assistant social a bien un rôle mais on ne le connaît pas réellement ; donc il y a eu la procédure de cet agrément, mais c’est vrai que pour moi après l’agrément c’est terminé, je sais que l’assistant social reste à notre écoute, qu’il y a moyen de poser des questions, mais on ne sait pas comment les poser ces questions et qu’est-ce qu’on peut demander, qu’est-ce qu’on ne peut pas demander, c’est pas facile. Je reste persuadé que ça reste un choix privé du couple, mais qu’on ne peut pas prendre à deux parce qu’on a besoin de conseils, de savoir, et on n’a pas de points de repères, on n’a rien ; alors moi je me dis c’est le couple qui décide, c’est nous, c’est notre bébé, mais à un certain moment il n’y a pas que nous ; et là on ne sait pas les questions à vous poser
• AS : Ok et bien je vous remercie de cet entretien.