Entretien n° 24. Monsieur et Madame VERNE : « … le choix de la sélection… ».
- AS : donc ma première question sera de vous demander pourquoi vous avez demandé un premier agrément adoption ?
- M : la première demande se situe en 93, et c’était après une période où on avait découvert des problèmes de fertilité qu’on a d’abord essayé de résoudre à travers des traitements médicaux qui n’ont pas donné les résultats attendus ; et à travers des amis et une ouverture d’esprit, on s’est orienté vers l’adoption
- AS : donc c’étaient des problèmes de fertilité qui étaient de quelle nature ?
- M : en fait pas complètement expliqués, des problèmes de fertilité, pas de stérilité, mais considérables, mais pas de stérilité ; pour moi d’abord parce que c’est pour moi qu’on a découvert le problème, mais qui laissait des opportunités, donc ce n’était pas exclu, donc on pensait au début réussir quand même.
- AS : vous avez eu des inséminations artificielles avec sperme du conjoint, et pas d’IAD ?
- M : non
- AS : les personnes dont vous parliez tout à l’heure dans le sens d’une ouverture, qui vous a permis de vous orienter vers l’adoption, c’étaient des parents adoptants ?
- M : c’étaient des parents adoptants ; des amis qui avaient adopté deux filles, une de Chine et l’autre de Thaïlande et c’est eux...
- Mme : on en avait parlé avant, mais c’est vraiment quand je les ai rencontrés, de voir cette famille, je me suis dit «c’est vraiment ce que je veux, ce que nous voulons» ; mais on en avait parlé avant et l’adoption n’était pas quelque chose d’inconnu pour nous ; des années avant on parlait déjà de l’adoption après qu’on ait eu des enfants biologiques, un troisième enfant par exemple ; donc cette décision n’a pas été très difficile pour nous.
- AS : et cette idée d’adoption avant de savoir que vous auriez des problèmes pour en avoir de votre couple, elle avait quel sens ?
- M : c’est une rencontre d’autres cultures déjà parce que moi j’ai habité à l’étranger quand j’étais enfant, c’était un complément, quelque chose qu’on avait envie de faire ; c’était un mélange
- Mme :on avait vu déjà beaucoup de familles avec des enfants adoptés, et on avait cette idée d’être dans la même situation et on se disait «c’est possible pour nous aussi»
- M : le problème majeur à l’époque, c’est qu’on voit la grossesse avant l’enfant, c’est ça qui est impossible à franchir pendant une longue période et ce qu’on travaille le plus dans les traitements c’est la grossesse, l’enfant n’a plus de sens ; et c’est là que ça prend du temps, on s’use en se frappant la tête contre le mur et on s’use, et en même temps on mature d’autres possibilités et alternatives.
- AS : ce travail se fait quand ?
- Mr : constamment, je veux dire ; d’un côté plus on reçoit de coups face au mur, plus il faut le contourner, donc d’abord explorer différentes alternatives médicales, et l’autre c’est l’adoption ; se dire «qu’est ce qu’on veut dans la vie ? » une famille ; cette grossesse... et pour toi, c’est une période très stressante, pour toi, grossesse - féminité - fécondité
- Mme : c’est vrai, peut-être après des années, pour nous ça prend des années, et on réalise que ce que nous voulons c’est un enfant, ce n’est pas une grossesse, mais c’est dur, très dur pour moi, surtout pour le premier.
- M : et de réaliser ce qui n’est pas toujours bien expliqué dans l’adoption, mais que quelqu’un nous a dit, peut-être l’assistant social ou quelqu’un d’autre, «l’adoption, tu arriveras droit au but, avec persévérance, avec les autres trucs, tu n’arriveras jamais, c’est un jeu de loto».
- AS : c’est-à-dire qu’il y a toujours un espoir, toujours la certitude ?
- Mme : oui
- M : absolument, on réalise que le médical c’est un jeu de loto, il n’y a pas de certitude, parce qu’eux-mêmes ne connaissent pas la clef, et quand on réalise ça...
- AS : les premiers adoptants que vous avez rencontrés, vous les avez rencontrés bien avant de commencer les démarches d’agrément ?
- M : pas trop longtemps avant, en 92 ; dans nos familles il y a des personnes qui ont adopté mais pas très très proches quand même, ce sont des adoptions qui datent de quinze ans ; mais quand on a rencontré nos amis en 92, ce qui était intéressant c’est que c’étaient des gens de notre âge, qui faisaient notre boulot, qui faisaient notre type de voyage et qui avaient des enfants qui étaient heureux, bien adaptés, et on les voyait tellement heureux que c’était encore plus facile ; après on a rencontré d’autres parents où on voyait de nouveau une famille bien unie mais on avait aucun autre point commun entre notre vie et la leur.
- AS : quand vous avez commencé à penser à l’adoption, vous aviez une idée de l’enfant que vous souhaitiez accueillir ?
- Mme : je crois qu’on a examiné les différents pays, ça c’est la première chose, on fait un peu un tour du monde et après ça on a décidé de faire une adoption vers l’Asie parce qu’au niveau du temps c’était le plus facile
- AS : le plus rapide ?
- M : oui, le plus rapide et les enfants qui étaient encore bébé.
- Mme : voilà pourquoi on a choisi l’Asie et le Laos...
- M : ça c’est une coïncidence. Une chose qu’on avait bien visée c’est qu’on ne voulait pas adopter un enfant d’Europe de l’Est, ou de l’Europe en tant que telle ; pour nous l’adoption c’était adopter un enfant d’une autre couleur ; il y avait quelque chose là-dedans, en disant «on n’est pas en train de chercher un remplaçant» et
- AS : vous en auriez presque été à souhaiter adopter un enfant dont on puisse voir qu’il a été adopté, qui ne vous ressemble pas ?
- Mme : oui, oui, c’était important pour nous, je ne sais pas pourquoi...
- AS : et cette non-ressemblance était importante ?
- M : absolument ; disons «puisqu’on ne reçoit pas l’enfant biologique, on est vraiment une famille adoptive et c’est vers l’Asie»
- AS : voilà. Donc l’Asie, le temps de réalisation et un bébé ?
- Mme : voilà, c’est ça.
- AS : la possibilité d’accueillir un enfant noir, de peau noire, vous y aviez pensé ?
- M : c’est vrai qu’on ne l’a pas retenu, je crois qu’on pensait que dans le contexte d’intégration de la société et de notre travail, on recherchait une ressemblance avec nos connaissances, là il y avait un niveau de culture...
- Mme : et puis nos amis ont des enfants asiatiques, et dans ce temps-là, on a décidé que nous...
- M : c’est vrai
- Mme : ah voilà, c’est...
- AS : c’est toujours la même famille dont on parle ?
- M : oui, oui
- Mme : oui, elle a été très importante, c’est une de mes meilleures amies maintenant
- M : mais c’est bien possible que si on avait rencontré une famille avec des enfants nés en Afrique, ou en Amérique Latine que ça aurait été notre décision.
- AS : entre le moment où vous avez commencé les démarches et le moment où vous avez eu l’agrément, est-ce que cette attente a été modifiée ?
- M : la procédure pour nous était... d’abord il y avait un support fantastique de l’assistant social, de la Dipas, et quand on a reçu l’agrément, on n’était pas préparé à la suite, et quand on l’a reçu, on s’est dit «on fait quoi ? » et on a commencé à faire des recherches, on n’avait rien préparé.
- AS : je reprends ma question, est-ce que pendant l’agrément votre attente de l’enfant a été modifiée ?
- M : non, mais j’essaie de vous répondre, je vous dis que l’idée que nous avions de l’enfant c’était un enfant, on savait qu’on allait réussir, mais d’une manière pendant l’agrément on n’attendait que l’agrément et c’est à partir de l’obtention de l’agrément, qu’on a commencé à se dire «où est-ce qu’on va ? » et c’est là qu’on a commencé à faire des recherches...
- AS : mais l’agrément donnait déjà des contours ?
- Mme : pas plus
- M : on voulait toujours un enfant de bas âge et on cherchait des pays qui pouvaient nous offrir ça au niveau temps aussi.
- AS : vous avez vécu comment la première procédure d’agrément, les entretiens ?
- M : on a tous, nous les adoptants, une crainte d’une intrusion dans la vie privée, d’une indiscrétion dans nos motivations, et donc au début c’est une crainte «est ce qu’ils vont comprendre notre situation ? ». Dès qu’on a pris contact avec la Dipas, l’assistant social et les autres, notre vision a complètement changé, puisqu’on voyait déjà une personne très respectueuse vis-à-vis de notre famille, qui avait plein de compréhension pour la situation, on rencontre une compréhension, une ouverture, une sensibilité qui nous a beaucoup aidés puisqu’on a compris après que les choses dont on avait discuté avec lui nous avait naturellement ouvert l’esprit.
- AS : vous avez eu l’impression d’être jugés ?
- M : non pas du tout. J’ai eu l’impression qu’il me disait «vous voulez un enfant, nous sommes là pour vous accompagner », c’était un message et ça nous a rassurés.
- AS : cette impression d’accompagnement, vous l’avez ressentie dès les premières rencontres ?
- M : absolument
- AS : c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu pour vous des entretiens d’évaluation avec les autres intervenants peut-être ?
- M : bon il y avait des différences naturellement, l’assistant social était le plus accueillant,
- AS : donc les entretiens avec l’assistant social étaient sur un mode d’accompagnement alors qu’il avait une évaluation à faire ?
- M : oui, mais
- Mme : oui mais on ne l’a jamais senti de cette manière, c’est toujours une conversation entre des personnes, très agréables toujours.
- AS : donc une impression d’accompagnement ?
- M : voilà l’évaluation n’était pas très apparente, il présentait son rôle, je dois faire ça et ça, je suis là pour vous aider et il savait quel bouton appuyer pour activer les réflexions, ou des discours et la conversation avec lui nous aidait aussi à ouvrir d’autres sujets ; sans qu’il dise «maintenant, je vais vous parler de ça », il naviguait très bien dans ce contexte assez difficile, et il nous a fait ouvrir pas mal de points de réflexion.
- AS : votre réaction à l’obtention de l’agrément ?
- M : pas une victoire mais un succès
- Mme : avec un dîner au restaurant
- M : c’était pour nous «ça y est, on se lance », je crois qu’à ce moment, on était un peu naïf, et on s’est aperçu que ça allait peut être long.
- AS : je reviens sur cette valeur de l’agrément, vous étiez bien persuadés de l’avoir ?
- M :oui, oui, non mais naturellement, il n’y a pas de suspense, mais on ne sait jamais, on était assez rassuré...
- Mme : mais il y a toujours 0,5 % de doute.
- AS : l’assistant social représente qui pour vous ?
- M : Puisqu’il a exprimé son évaluation à travers son rapport, pour nous c’est une personne qui nous assez bien compris, assez bien vus, c’est une personne avec qui on se sent assez proche et c’est une personne importante dans notre parcours et qui l’est toujours ; et pour le deuxième il nous avait déjà mis en marche, on avait moins besoin de lui, mais pour la première fois, c’est important ; c’était un plaisir de le voir, il y avait une alchimie qui marchait
- Mme : oui, c’est vrai.
- AS : donc vous avez un agrément, donc ça fait six ou sept ans de cela, et vous faites quoi, vous vous rendez compte que ce n’est pas fini mais que ça commence ?
- M : on avait des idées, on avait des contacts et donc on a commencé à demander à la MAI, et on a reçu pour cinq ou six pays ; donc ce qui nous a frappés, c’était le temps d’attente...
- AS : donc vous cherchez déjà de la documentation
- M : et puis on a contacté deux associations françaises, on s’est déplacé à Paris, ils nous ont dit «envoyez-nous votre dossier », mais tout ça, ça va prendre du temps et on s’est lancé sur différentes choses, sur différents chemins, j’ai pris des contacts personnels, mais quand c’est revenu, c’était pas si évident que ça et on a compris qu’il fallait lancer nous-mêmes ; puisque les associations ne nous offraient pas ce qu’on voulait, on s’est tourné vers d’autres pistes et on a rencontré une famille qui avait adopté deux enfants au Laos, c’étaient des gens formidables et pour nous ça a été le deuxième déclic, on s’est dit «on est sur le bon chemin », ils nous ont expliqué qu’ils avaient adopté en 92 et 94 et avec eux aussi on a eu une très bonne alchimie et eux avaient des connexions avec...
- Mme : et c’était là où c’était aussi le plus rapide
- M : tout commençait à se...
- AS : et vos contacts avec l’association ont été comment ?
- M : nous avons écrit à plusieurs associations, on a eu une rencontre, mais nous on voulait une démarche individuelle, on voulait utiliser les ressources qu’on avait, les ressources personnelles, financières, les contacts organisationnels, les supports...
- AS : vous ne souhaitiez pas trop finalement adopter par un organisme ?
- M : s’il pouvait remplir les conditions de rapidité, mais la plupart indiquait plus d’attente, moins de choix de sélection, moins de... je ne dirais pas «choix de sélection », ça nous mettait dans un rôle passif, on voulait être actif, on ne voulait pas seulement attendre, on était impatient de faire quelque chose et donc avec cet agrément, on ne va pas se tourner les pouces à la maison et attendre que quelqu’un fasse quelque chose, il faut...
- Mme : et puis c’était important pour nous d’aller dans le pays de notre enfant, on voulait rester dans le pays pour...
- AS : parce que compte tenu de différents éléments, vous avez dû recevoir des réponses positives des œuvres
- Mme : oui, une au moins ; les autres c’était plutôt «envoyer 10 000 francs » mais sans aucune indication, sans assurance qu’on vous confierait un enfant dans un temps proche et qui soit le plus jeune possible comme vous le souhaitiez.
- Mr : exactement ; mais je crois qu’il faut admettre qu’on était très impatient ; l’impatience était incroyable et ma femme, chaque soir «allez, il faut faire quelque chose »
- Mme : c’était très frustrant pour moi, je ne pouvais rien faire...
- AS : c’est insupportable d’être ainsi dépendant ! ! Donc vous partez au Laos, un peu par le couple que vous aviez rencontré ?
- M : voilà, on les a rencontrés en octobre, on a attendu deux mois, trois mois et on s’est dit «il faut qu’on parte, il faut qu’on parte » et on est parti...
- AS : donc voyage et vous revenez avec la petite, je passe rapidement et je viens au deuxième agrément ?
- M : c’est un agrément qu’on a eu dans les plus cours délais, on était déjà dans la mentalité...
- AS : et cet agrément s’est passé comment ?
- M : super rapide, c’était plutôt un suivi, il nous a dit «je ne suis pas étonné que vous redemandiez, parce que ça s’est tellement bien passé » et c’était une très bonne expérience pour nous, nos contacts étaient tout à fait fiables, honnêtes et toujours avec des religieuses.
- AS : les contacts avec les professionnels de l’adoption sont de quelle nature ? Est-ce que ces contacts dépassent le cadre professionnel ?
- M : c’est peut-être aller un peu trop loin, si professionnel veut dire qu’on essaie de créer des liens et de réconforter une famille qui est en train de faire une démarche difficile, et bien c’est son travail, je dirais que c’est une personne qui est dévouée à son travail et qui va faire le pas en plus pour essayer d’assurer et d’accompagner, je ne dirais pas qu’on est en dehors de la norme, mais c’est un déclic, avec un déclic c’est plus facile, mais je ne dirais pas que ce n’est pas professionnel, je dirais que c’est très professionnel et que ça évolue et que ça montre un grand professionnalisme. Mais quand on a vu l’assistant social la deuxième fois, il y avait aussi la fierté d’avoir notre enfant, là l’agrément était secondaire, on connaissait la route.
- AS : la voie avait été ouverte.
- Mme : exactement, c’était un péage avec une carte bancaire.
- M : tout le stress était parti, on a un enfant, si le deuxième n’aboutit pas, au moins, il y avait plein d’assurance.
- AS : donc pour la deuxième adoption, vous retournez directement au Laos, vous reprenez un peu le même chemin
- M : non un peu différent quand même, puisqu’on ne pouvait pas vraiment s’inscrire dans n’importe quelle liste, ça devait être au niveau et à la mesure de notre disponibilité, donc on s’est présenté là-bas pour habiter dans un orphelinat, et on n’a pas indiqué pourquoi on allait venir, on pensait que c’était sous-entendu, quand on est arrivé là-bas, on s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas compris, et nous on arrivait avec ce but bien précis, j’avais pris un congé sans solde pendant trois mois, et nous on disait on va réussir dans les trois mois, sans leur accompagnement puisque, avec le système, il faut insister, aller de gauche à droite, donc le deuxième voyage a été très différent puisque pendant trois semaines, on a frappé à toutes les portes des orphelinats, des hôpitaux...
- Mme : nous avons été très bien accueillis
- M : on sentait qu’on allait réussir, on se sentait encadré et là on a eu de la chance, ils nous ont trouvé un enfant.
- AS : donc troisième agrément, il est tout récent, c’est un peu comme le deuxième ?
- M : le troisième ? moins tactique parce qu’il est visé dans le temps, on a de la place pour un troisième.
- AS : donc vous avez interrogé la MAI et vous avez envisagé d’aller vers un autre pays ?
- Mme : oui, avant on en parlait parce qu’on ne savait pas si on pouvait retourner au Laos, et on a commencé de parler d’autres pays, mais toujours en Asie
- M : dans la région.
- AS : c’est important pour vous cette proximité d’origine des enfants ?
- M : une des raisons, c’est que c’est une racine commune pour eux, et pour l’identité de la famille, c’est important qu’on garde des piliers assez fixes pour nous-mêmes aussi en disant que «voilà, ça c’est notre famille ».
- AS : l’enfant que vous souhaitez accueillir serait plus jeune que votre dernier ?
- Mme : oui bien sûr
- M : je pense même, que c’est une condition
- AS : et compte tenu du fait que l’agrément est valable cinq ans, l’enfant qui arriverait pourrait avoir jusqu'à sept ou huit ans, vous vous êtes donné un âge maximum à son accueil ?
- M : nous on est toujours dans l’optique d’avoir un troisième enfant qui soit en bas âge, c’est-à-dire en dessous de douze mois, ça c’est bien clair ; pour la première adoption c’était essentiel, pour le deuxième c’était important, mais pas aussi impératif, pour le troisième il ne faut pas rêver, ce n’est pas facile ce qu’on a fait, c’est une chose qui est assez exceptionnelle puisque ce n’est pas évident d’avoir des enfants de deux et trois mois, il faut le reconnaître, c’est une chance et même si on a vu d’autres couples et je crois que ça nous a profondément agréablement surpris, c’est qu’on a vu d’autres couples qui adoptaient une fille de trois, quatre ans où on a vu que le contact était aussi rapide et ça nous a quand même surpris parce que dans nos idées plus ou moins préconçues, on se disait que les liens étaient beaucoup plus faciles si l’enfant a entre deux et douze mois. Et là on a vu que ça va très très vite et donc aujourd’hui, on ne serait pas inquiet à accueillir un enfant qui soit un peu plus grand, mais je crois qu’on a une préférence pour un bébé.
- Mme : et pour nos enfants maintenant, c’est important que ce soit un petit parce que quand on voit nos amis où arrive un petit frère ou une petite sœur, c’est toujours un petit qui arrive, c’est un bébé ; un frère ou une sœur qui arrive, ce n’est pas un enfant de deux ans, ou trois ans, c’est un bébé.
- AS : vous avez l’impression qu’elles attendent un petit frère ou une petite sœur ?
- M : naturellement nous avons parlé
- Mme : et même avant que nous ayons commencé à en parler en famille que nous voulons un autre enfant, elle m’a dit «je veux un petit frère »
- AS : et vous en pensez quoi ?
- M : et bien nous, on pense que c’est un choix ; pour les deux premiers nous souhaitions avoir deux filles pour qu’elles soient proches l’une de l’autre ; au début on pensait que c’était assez important. C’est vrai que pour nous c’était une préférence qu’il y ait une complicité entre elles, mais il n’y a pas de choix et dans la tête ce n’est pas une exclusion ; on a une préférence mais si ça se joue différemment, ça se joue différemment ; c’est le destin qui fait son chemin, c’est pas qu’on fasse confiance au destin, mais on se dit «le destin veut ça »
- Mme : et pour moi, que ce soit une fille ou un garçon... c’est pareil.
- AS : dans aucune des adoptions que vous avez réalisées, vous avez fait appel aux services départementaux ?
- M : je ne me souviens plus si... je pense qu’avec l’agrément, ils ont envoyé une fiche qui disait qu’on pouvait contacter la MAI, ou l’assistant social m’a donné l’adresse ; mais je n’ai jamais vu que le département de l’Ain pouvait nous amener à faire quelque chose. Je crois que l’aide venait si on cherchait un pupille de l’État, il fallait garder un contact ; donc pour nous c’était cela : si on voulait un enfant français, il fallait se tenir plus proche des services départementaux ; et on ne voyait pas non plus... parce que après, quand on a eu l’agrément, c’est un papier qui n’est pas signé par l’assistant social, c’est signé par quelqu’un d’autre, on s’est dit c’est valable cinq ans, je dirais indirectement, ça veut dire «débrouillez-vous », je ne vois pas d’accompagnement ou d’encouragement à recontacter.
- AS : et vous auriez aujourd’hui ou hier aimé avoir cette invitation ?
- M : oui je trouve que ça aurait été bien, parce que, en fait, on est un tout petit peu déboussolé dans ce genre de situation ; oui une orientation... mais ça devrait commencer plus tôt, avant même qu’on soit à l’agrément, inviter les gens à déblayer le terrain parce que, en fait, on était un peu stressé de ne pas l’avoir fait, et on aurait dû commencer avant.
- AS : pourtant ce n’est pas extraordinaire que vous ne l’ayez pas fait, on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs ?
- M : exactement, c’est ce qu’on a pensé, mais après... , et on s’est dit qu’on aurait pu le faire, on aurait dû le faire, parce qu’une recherche d’informations n’est pas de mettre la charrue avant les bœufs, mais psychologiquement, on attend une phase avant d’entamer l’autre ; et là je pense que ça n’aurait pas été mal d’être stimulés à la réflexion, d’être guidés un peu en disant qu’il y a plusieurs manières... donc si on pouvait partager à un moment donné des informations sur les différentes options et avoir une journée bisannuelle où le département de l’Ain invite deux ou trois associations pour rencontrer des gens qui sont en procédure d’adoption, ce serait bien...
- AS : donc d’organiser des rencontres avec d’autres parents adoptants ?
- M : ça c’est une chose, mais ça ce n’est pas pareil, il faudrait le faire avec des associations qui viendraient... on avait rencontré une famille qui avait adopté, ils nous avaient donné des adresses, mais ça c’est autre chose.
- AS : si vous aviez à me dire ce que vous ont apporté les autres parents adoptants que vous avez rencontrés ?
- Mme : la première fois nous avons rencontré un couple qui était dans la même situation que nous, ça nous a aidés beaucoup parce qu’on parlait, on comparait nos papiers
- M : ça dépend à quel stade on rencontre les autres adoptants ; avant d’avoir un enfant, on a rencontré une famille, ça nous a montré seulement qu’on allait y arriver, c’était le seul réconfort, et on s’est dit «ces gens-là y sont arrivés, ils n’ont pas l’air plus malins que nous, ils n’ont pas l’air d’avoir plus de contacts que nous, donc nous on va y aller et on va y arriver » donc c’était plutôt ça ; là, ils montrent le but. Si tu rencontres des gens qui connaissent des gens sur place, c’est un deuxième élément et là c’est autre chose.
- AS : c’est opérationnel
- M : exactement, là on rencontre donc nos amis qui d’un côté «ils ont réussi », de l’autre côté «comment leur famille se situait » et troisièmement nous décrivaient des cadres, la manière dont ça allait se passer, nous décrivaient des gens et de ce côté là c’était comme vous dites clairement opérationnel, ça guidait déjà sur des phases, supports pratiques et visualisation du but.
- AS : et ça ce sont des éléments que les professionnels ne peuvent pas apporter ?
- M : oui, d’un côté, on a reçu quatre ou cinq couples après et clairement on voit l’importance de notre rôle aussi parce qu’on voit qu’ils ont parcouru les mêmes problèmes, les mêmes chemins, ils sont dans la même incertitude, on partage, cette incertitude, c’est normal, ne vous inquiétez pas, vous allez y arriver et je crois que c’est ce message «vous voyez, vous allez y arriver ». Ce n’est pas une question d’être un malin, c’est une question d’être persévérant et pour plusieurs aussi la question était traitement médical et adoption, pour les aider à franchir cette barrière et dans deux couples que l’on a rencontrés c’est l’homme qui avait beaucoup d’hésitation vis-à-vis de l’adoption, c’étaient des familles qui étaient dans une situation un peu similaire à la nôtre... et ça fait plaisir parce qu’on réalise que le parcours qu’on a fait est riche d’expérience et ce qui nous intéresse c’est l’échange, le contact humain... on nous a dit qu’il fallait écrire ce qu’on avait vécu... ça ne nous intéresse pas, le net, l’anonymat, non, on veut des contacts pour aider les autres à débloquer leur situation. Parce que nous-mêmes, on n’était pas bloqué mais...
- AS : ce que vous dites est important dans le sens où ce sont des parents adoptants qui accompagnent, qui aident ?
- Mme : oui, c’est très important dans cette période
- AS : donc c’est une place à ce moment que ne pourraient tenir que les adoptants ?
- M : oui,
- Mme : oui, une famille avec un enfant elle a l’expérience, mais les professionnels n’ont peut-être pas des enfants adoptés
- AS : ce n’est pas pareil d’être parents et parents adoptants ?
- M et Mme : non
- M : non, ce n’est pas la même chose, je vais vous expliquer pourquoi. Ça peut être la même chose, mais dans notre cas, ça ne l’était pas parce qu’il y a une période de souffrance, de vivre l’infertilité qui est très dure psychologiquement pour le couple, pour la femme, on ne s’imagine pas comment ça peut monopoliser toutes les pensées, bloquer plein d’initiatives, nous on était bloqué pendant des années, et tu as souvent dit que tu trouves que tu as perdu des années en visant... il faut être honnête... l’incertitude est dure, après l’agrément «est-ce que vraiment on va y arriver, est-ce que vraiment on réussira ? » ; combien de nuits on a passé pour faire les papiers... l’incertitude qui rogne les nerfs...
- AS : et en quoi cela influe sur le fait d’être parents ?
- M : parce que certains parents ont traversé une incertitude quand les enfants ne viennent pas comme ça, mais ils ne partagent pas l’incertitude des rencontres, des contraintes «est-ce que l’enfant sera autorisé à sortir ? », toute cette période et tout ce qu’on vit quand on voit l’enfant, un climat émotionnel incroyable, et des liens qui se créent tout de suite, c’est quelque chose qu’on ne peut pas s’imaginer.
- Mme : oui, aujourd’hui nous sommes des parents comme les autres, il n’y a pas de différence, pas du tout, mais avant il y a une grande différence, je suis une mère comme n’importe quelle mère aujourd’hui.
- AS : est-ce que, de votre point de vue, on peut ou on doit, se préparer à devenir parents adoptants ?
- Mme : ce qui est différent, c’est d’attendre un enfant et d’avoir un enfant, parce qu’on a des idées... oui, parce que tous les parents ont des idées, c’est comme ça, il faut faire comme ça, et quand l’enfant est là, c’est toujours différent.
- M : moi je dirais que rencontrer une famille qui a des enfants biologiques quand on attend un enfant n’a pas de valeur, puisqu’ils ne connaissent pas le parcours, ils ne connaissent pas vraiment les trucs, il y a différentes étapes et donc on a besoin de différentes sortes de personnes : à un moment donné, on a besoin de parents qui montrent la vision du but et après on a besoin d’opérationnel ; mais là où on a besoin d’accompagnement et de préparation, c’est peut-être que les gens aujourd’hui repoussent la décision de l’adoption beaucoup trop tard...
- AS : « être accompagné » pour vous signifierait quoi ?
- M : je dirais que ça commence au premier contact, et ensuite la procédure d’agrément et les entretiens, mais c’est clair que ça ne remplace pas tout et qu’il y a d’autres portes ouvertes, mais que ça c’est la porte essentielle, c’est le premier contact, c’est un contact très professionnel. Et après pour le deuxième et troisième, on est rôdé, on sait faire et l’accompagnement peut être moins...
- AS : et si vous aviez quelque chose à demander pour vous accompagner à l’accueil de ce troisième enfant, vous le demanderiez à qui ? et quoi ?
- M : une chose que les gens quelque fois ne réalisent pas, c’est qu’il faut des ressources psychologiques et mentales énormes pour faire le déplacement, rien n’est donné dans une procédure individuelle, on a vu des gens qui ont craqué complètement ; et là il y a besoin d’une certaine préparation pour ceux qui partent en individuel ; et peut-être ce support n’est pas toujours là.
- Mme : pour nous ça a été bien que l’individuel soit possible, mais il y a des personnes qui ont besoin des associations.
- AS : et au-delà des capacités et potentialités personnelles, comment un couple peut se préparer mentalement, psychiquement, à vivre cela ?
- M : si un couple n’a jamais fait un voyage à l’étranger, en dehors d’un voyage organisé, c’est un signe de danger ; si le couple ne parle aucune langue autre que le français, c’est aussi un signe de danger ; si le couple a des ressources financières limitées, sans un apport suffisant, c’est un signe de danger ; s’ils ont des contraintes de travail et qu’ils ne peuvent prendre que quatre semaines et pas un jour de plus, c’est un danger... c’est très difficile de préparer les gens, parce que d’un côté, on ne veut pas voir ça, mais dès qu’on est sur place, les problèmes ne sont pas mineurs, c’est une route difficile ; on ne trouve pas un enfant comme ça.
- AS : les personnes les plus importantes pour les adoptions que vous avez réalisées seraient qui ?
- M : il y en a plusieurs : je dirais l’assistant social, nos amis et naturellement les gens sur place et...
- AS : donc une forme de chronologie ?
- M : et ensuite c’est l’inverse naturellement, de même que nos amis au début qui nous ont ouverts au contexte de l’adoption, mais c’est l’impatience qui mène tout, tu étais d’une incroyable impatience, mais en même temps on se disait «si on ne le fait pas, qui va le faire pour nous ? » ; si on était convaincu que ça marchait à cent à l’heure dans toutes les associations et d’une manière transparente, on aurait pu faire confiance, mais pour nous, on a surtout apprécié cette liberté individuelle qui nous a apporté beaucoup de choses ; le fait qu’on ait dû faire ce combat ensemble, qu’on ait dû faire le dossier ensemble, être insulté au guichet , tout ce parcours qu’on a fait ensemble...
- Mme : et ce temps qu’on a passé au Laos, la deuxième fois avec la petite...
- M : on ne peut pas dire que c’est Dieu qui nous a donné tout ça, mais quand même, on dirait «quel bonheur que quelqu’un nous a donné », c’est quand même incroyable.
- AS : comme s’il y avait, pas un destin, mais une forme de providence qui veillerait sur vous ?
- M : oui en fait et pas seulement sur ce niveau là ; d’un côté on dirait que la vie nous a beaucoup souri, après on a connu des périodes difficiles avec cette infertilité, mais c’est une expérience de vie, donc maintenant ça nous a soudés davantage. Maintenant, on se dit, on a deux enfants superbes, ils vont bien, la santé, tout, donc, il ne faut pas défier le destin non plus.
- AS : une dernière question ? si vous aviez quelque chose à demander à l’assistant social ou à la Dipas, ce serait quoi ?
- silence.
- M : on peut remercier, mais on ne voit pas le rôle maintenant qu’ils pourraient avoir.
- AS : finalement ce que le service adoption devait amener, il vous l’a amené et vous n’attendez rien d’autre ?
- M : non, on est déjà comblé de leur support et je ne vois pas... si on savait qu’ils avaient une influence au niveau du Ministère à Paris, qu’ils jouent un rôle au niveau de la présélection, pourquoi pas ? Mais même si c’était informel, on ne l’aurait pas utilisé puisqu’on l’avait reçu. Si, on était perdu un moment, pendant quatre ou cinq mois...
- AS : et là vous n’avez pas eu l’idée de donner un coup de fil à l’assistant social ?
- M : non,
- AS : et si on vous avait offert une rencontre ?
- M : oui, ça n’aurait pas été mal ; on savait qu’on devait faire plusieurs choses, mais c’était tellement flou, comme une ligne dans l’eau...
- AS : merci de cet entretien