Entretien n° 25. Monsieur et Madame VINCENT : « L’agrément… c’est comme on annonce une promotion ».

AS : vous avez demandé un premier agrément adoption en 1990, et pourquoi aviez-vous demandé cet agrément ?
M : en fait parce que mon épouse avait des problèmes de santé qui ont duré huit ans...
Mme : et puis au bout du compte, on s’est dit que si on voulait un enfant, on avait plus le choix.
Mr : en fait, mon épouse a eu des problèmes de santé, mais on ne l’a pas su tout de suite ; on a contacté des médecins, des spécialistes et on espérait toujours avoir un enfant ; on s’est aperçu qu’il n’y avait plus rien à faire...
AS : donc il y a eu un diagnostic de posé et à partir de là...
Mr :on s’est aperçu qu’elle avait un cancer de l’utérus, donc là il n’y avait plus rien à faire.
AS : le cancer de l’utérus vous mettait une impossibilité à être enceinte ou une recommandation des médecins ?
Mme : il y avait impossibilité du fait que l’utérus était atteint ; et avec tous les traitements que j’ai eus, on m’a fait des FIV, tout ça ne marchait pas, il y a bien eu des embryons qui se formaient, mais au bout de quelque temps, on se rendait compte que... voilà et puis on se demandait pourquoi ça ne marchait pas et c’est là qu’on s’est rendu compte qu’il y avait une tumeur.
AS : quand vous avez eu des inséminations, c’était avec le sperme du conjoint ?
Mme : oui parce que tous les deux, on n’avait aucun problème, c’est ça qui était extraordinaire, on était sain tous les deux, on était en bonne santé et puis, et puis ça ne marchait pas.
AS : vous l’avez vécu comment ?
M et Mme : ben... (silence)
AS : donc, vous décidez de faire une demande d’agrément ; et entre le moment où vous pensez à l’adoption et celui où vous faites une demande, il y a combien de temps ?
Mme : donc, j’ai eu mon opération en mars et on a fait la demande en juillet, le temps que je me remette un peu de mes émotions.
M :on s’en est remis, petit à petit, on en a discuté et c’est vrai que ça s’est fait rapidement ; on avait aussi un âge assez avancé, si on voulait adopter un bébé,
Mme : ils disaient tellement que c’était long, que ce n’était pas la peine...
AS : vous faites une demande d’agrément, comment s’est passée pour vous cette demande ?
Mme : oh, lala, et ben pas bien ; ça a été très long, il y avait du retard dans les dossiers, on a eu des entretiens avec l’assistante sociale et le psychiatre et ça s’est bien passé, très bien, pas de problèmes.
AS : et vous avez vécu comment ces entretiens ?
Mme : avec un petit peu d’appréhension au départ, c’était la première fois, on ne savait pas trop ce qui nous attendait ; ça s’est bien passé
M : ça s’est très bien passé, ça a été assez rapide
AS : et vous avez eu l’impression que les entretiens servaient à quoi ?
Mme : à nous connaître
M : à juger les gens
AS : et à vous, ils vous avaient apporté quelque chose ?
Mme : apporté ? non, pas spécialement, non
M : non, parce qu’on était quand même prêt à adopter un enfant, on en a beaucoup discuté, longuement ; c’est devenu des entretiens de routine pratiquement.
AS : vous en aviez parlé avec qui ?
M : tous les deux bien sûr, et puis avec les parents.
Mme : oui, mais au début, on attendait qu’on ait l’agrément déjà, avant personne ne le savait. Et après on attendu quatre ans, après l’agrément.
AS : qui sont les premiers adoptants que vous avez rencontrés ?
M : on avait été à une réunion sur Lyon, effectivement on avait rencontré des gens, deux trois couples
Mme : ils avaient déjà eu leurs enfants adoptés ; on a retenu un petit peu des conseils ; ils nous ont raconté comment ça s’était passé avec leurs enfants, ils n’avaient pas de problème particulier, et bon ça nous a...
M : on était content de les rencontrer, de pouvoir discuter et puis voilà.
AS : et vous vous rappelez des premiers conseils qu’ils vous avaient donnés ?
M : honnêtement non
Mme : non, on se débrouille tout seul, comme des grands.
AS : quand vous avez fait votre demande d’agrément, vous dites souhaiter accueillir quel enfant ?
M : un enfant européen ?
AS : oui, par exemple par rapport à son âge...
Mme : de toute façon on voulait un tout petit
M : on voulait un bébé quoi, je crois qu’il faut dire que nous c’était la limite ; parce que après quarante ans, on ne nous confie plus de bébé ; et nous quand on nous a confié la petite on était Mme : ben moi, j’avais eu mes quarante ans, et en plus ..
M : le problème, non pas le problème, le bonheur qu’on a eu, c’est que les gens qui étaient avant nous se sont désistés...
Mme : parce qu’ils ont eu un enfant, donc ils ont repoussé un petit peu leur demande ; donc on est passé juste à la limite. AS : et qu’est-ce qui vous conduisait à avoir cette préférence pour un bébé ?
Mme : parce que c’était notre premier, on en avait pas ; on aurait d’autres enfants, ça n’aurait pas été pareil
M : oui, on l’a eue à trois mois, elle était tout bébé
AS : et par rapport à son origine, de peau blanche, c’était important pour vous ?
M : oui
Mme : un petit peu, oui
M : moi, je voulais avoir...
Mme : entre guillemets un enfant qui nous ressemble
M : c’est un choix
AS : si on vous avait proposé un enfant qui n’était pas de couleur blanche, vous auriez dit quoi ?
Mr : ça aurait été vraiment difficile ; ce n’est pas qu’on aime pas les gosses d’autres couleurs, mais du fait qu’on a une peau blanche, comme dit ma femme, on a voulu qu ‘elle nous ressemble et d’avoir une autre couleur, ça aurait été difficile...
Mme : il y a des problèmes après, à l’école
AS : et le fait de demander un agrément, ça vous était venu comment, vous vous rappelez ?
Mme : quand j’ai été opérée, l’infirmière qui me faisait des piqûres m’a dit “pourquoi, vous n’adopteriez pas un enfant ? ”, et je lui ai dit “moi, pas question”, j’étais en colère, pas question, je n’en veux pas, et ça s’est arrêté là. Et quelque temps après, de voir des mamans qui avaient des bébés, ça m’a fait réfléchir, et je me suis dit “si tu veux un bébé, il n’y aura que cette solution” et ça a fait un déclic dans ma tête. Et puis après mon mari m’a dit “si tu es prête à l’adoption, moi aussi”
AS : donc ça s’est enclenché comme ça, comme si le fait de voir d’autres mamans... ?
Mme : pourtant je les voyais avant, pendant l’attente, mais je pense que c’est la colère qui m’avait fait dire non.
AS : je reviens à la procédure d’agrément, vous disiez que vous n’en aviez pas retiré grand-chose, vous l’avez vécu comment ?
Mme : c’est l’attente, on se demande si un jour on va nous confier un enfant, il faut attendre ; mais en fait la procédure elle est courte, j’étais étonnée.
AS : est-ce que l’idée que vous aviez de l’enfant que vous souhaitiez adopter a été modifiée pendant l’agrément, de peau blanche, garçon ou fille, c’était important ?
Mme : on nous avait posé la question
M : moi, je voulais une fille, donc on avait refusé un... donc l’assistante sociale m’avait fait une réflexion à ce sujet, me disant qu’il ne fallait quand même pas demander une fille.
AS : et le fait d’accueillir votre fille, vous l’avez compris comme une réponse à votre souhait ou l’effet du hasard ?
M : peut-être les deux
Mme : pour moi, c’était égal, mais c’est vrai que quand une maman attend un bébé, on pose souvent cette question ; si on nous pose la question, on répond, et après on nous dit qu’il ne faut pas choisir, ça m’avait choquée un peu quand même.
AS : par rapport à l’âge, un bébé c’est quel âge pour vous ?
M : on ne s’est pas posé la question, un bébé, c’est un bébé. ?
Mme : on savait qu’on pouvait avoir un nourrisson, et c’est trois mois, voilà.
AS : et vous auriez pu accueillir un enfant qui soit un peu plus grand ?
M : tout à fait, mais pas trop vieux non plus, jusqu'à deux ans. Vous savez quand on adopte un enfant qui a dix ou douze ans, c’est peut-être plus difficile.
Mme : mais c’était quand même notre premier donc...
AS : une fois que vous avez eu l’agrément, vous avez fait quoi ?
Mme : on était content.
AS : vous étiez contents, il a représenté quoi cet agrément pour vous ?
Mme : on était déjà soulagé de voir qu’on avait accepté de nous confier un enfant, parce que, on se posait des questions “est-ce qu’on va être choisi pour... ”.C’est un soulagement.
M : on était très content. D’ailleurs si on a fait une demande pour le deuxième...
Mme : on a réuni les parents : “on a quelque chose à vous dire”
AS : voilà, ça vous donnait l’autorisation d’en parler
Mme : on était sûr que c’était accepté, un jour on aura un enfant donc on peut l’annoncer...
M : oui, comme on annonce une promotion
AS : pourtant si les entretiens s’étaient bien passés, vous saviez que vous auriez un avis favorable ?
M : ben, vous savez, on ne connaît pas trop ce genre de choses, c’est toujours avec appréhension, vous savez tant que je n’ai pas le papier, il faut un truc officiel comme quoi c’est accepté.
AS : vous avez rencontré des parents adoptants une fois que vous avez eu l’agrément ?
Mme et M : non
AS : pour vous, ce n’était pas quelque chose dont vous avez eu besoin ou envie ?
M : non
Mme : non, on en a rencontré avant l’agrément, mais après non.
M : on n’en a pas eu vraiment besoin
AS : donc après vous attendez ?
Mme : ah oui, on a attendu ; quoique personnellement, je pense qu’on n’a pas attendu longtemps, en fait ; on a attendu quatre ans après l’agrément, c’est quand même court.
AS : et pendant ces quatre ans, vous faites quoi ?
Mme : on attend, quelquefois on en parlait, quelque fois on n’en parlait plus parce qu’on désespérait un petit peu à la fin.
AS : néanmoins, au bout de cette attente, vous étiez sûrs qu’au bout il y aurait un enfant ?
Mme : au début, oui. Comme je vous disais, avec l’agrément, c’était le départ, et plus le temps passait, plus ça devenait difficile. AS : vous n’aviez pas envisagé l’adoption internationale ?
M : non, on a vu quelques reportages à la télévision, des gens qui étaient partis à l’étranger, qui étaient restés au minimum un mois, c’est difficile, c’est délicat, ce n’est pas rien.
AS : même avec un organisme agréé ?
M : on espérait toujours qu’on nous confierait un enfant sans se déplacer.
AS : vous seriez partis en adoption internationale si les choses avaient tourné autrement ?
M : je ne sais pas. On ne s’est pas posé la question.
AS : vous téléphoniez quelquefois au département ?
Mme : très souvent. On demandait où ça en était, où en était notre dossier.
AS : et le fait de téléphoner pour vous, çà ?
M : ben on était pressé, voir si les choses bougeaient.
AS : et vous aviez quelles impressions ?
Mme : c’était un peu réconfortant, on voyait que le dossier avançait un petit peu, un petit espoir.
AS : avec l’agrément, vous l’avez dit à d’autres personnes que la famille ?
Mme : non, non
AS : à peu près combien de personnes le savaient ?
Mme : non, la famille, une bonne dizaine.
AS : est-ce que vous avez eu des questions, des interrogations et à qui les avez-vous posées ?
M : non pas spécialement
AS : donc après vous faites une deuxième demande d’agrément, comment s’est passé cet agrément pour vous ?
Mme : pareil, très bien. Mais ça fait déjà trois ans, on va renouveler encore un an et puis après on arrête.
AS : les entretiens ?
Mme : c’était un peu plus long, mais c’était pareil
M : ça s’est bien passé, mais j’en retiens rien de particulier.
Mme : on a été content aussi de l’avoir
M : on appréhendait toujours un petit peu mais ...
AS : quand vous comparez votre attente d’aujourd’hui à celle que vous avez connue avant d’adopter votre fille, il y a une différence entre les deux ?
Mme : oh oui, maintenant, ça passe vite parce qu’on n’est plus tout seul.
AS : vous envisagez de ne pas réaliser cette deuxième adoption ?
M : on ne dit pas “ tant pis ”, mais il faut être réaliste, on a déjà notre fille ; on désire très fort un deuxième mais... quand elle nous demande un petit frère ou une petite sœur, ça me fait quelque chose.
AS : le fait d’attendre pour vous ça signifie quoi ?
silence
AS : vous attendez un pupille de l’État ? Est-ce que vous êtes dans la même situation ?
M : plusieurs fois, j’ai dit à ma femme “appelle l’assistant social” pour savoir où ça en est ; et elle m’a dit, non ce n’est pas la peine que j’appelle
Mme : ben oui, parce qu’on m’a dit qu’il y avait six ou sept ans d’attente, alors du coup ça m’a...
AS : et pourquoi vous ne téléphoniez pas ?
Mme : parce que du départ, c’était vraiment sans conviction.
AS : est-ce que vous avez eu une attente par rapport au service adoption ?
Mme : non, on nous avait dit, de temps en temps vous pouvez nous téléphoner, il n’y a pas de problème, si vous voulez discuter, tout ça... non. Non, ils étaient là pour discuter mais ils n’avaient rien à me dire de plus, c’est pas à eux à....
AS : pour votre premier agrément, ça représentait quoi pour vous ?
Mme : le fait d’avoir été accepté.
AS : vous pensez qu’un service adoption, ça sert à donner l’agrément ou à aider à adopter ?
M : je pense que ça sert déjà à faire le tri ; si vous êtes là c’est pour connaître, juger, à faire une sélection.
AS : vous pensez qu’il y a un autre travail qui est ou devrait être fait ?

silence

M : non, on n’a rien attendu de spécial, à part l’enquête sociale ; après non.
AS : à quoi l’assistant social aurait pu vous accompagner ? Est-ce que vous attendez quelque chose ?
M : ben oui, on attend des nouvelles. Pourquoi pas un jour, on nous téléphone : “voilà, votre dossier a été retenu” c’est ce qu’on attend.
Mme : mais j’y croirai pas, je suis en train de rêver.
AS : vous savez comment ça fonctionne pour les pupilles de l’État ?
Mme : non pas trop.
AS : vous savez qui vous a confié la petite ?
M : pour moi, c’est le Conseil Général, ce n’est pas une personne, c’est une équipe.
AS : être accompagné dans votre projet d’adoption, ça signifierait quoi pour vous ?
M : c’est-à-dire ?
Mme : pendant l’attente ? et bien recevoir des conseils... silence... rencontrer des personnes comme celles qu’on avait rencontrées.
AS : elle vous a apporté quoi cette réunion ?
Mme : rien de particulier ; mais ils nous ont raconté leur histoire, on n’a rien appris de particulier mais c’est bien de rencontrer d’autres personnes, des rencontres ; mais ça n’a rien modifié pour nous.
AS : et avec votre deuxième agrément, aller en adoptions internationales ?
M : non
AS : comme pour votre fille, vous vous êtes dit “on n’ira pas en adoptions internationales ”
Mme : oui, c’est trop dur ; ça me fait un peu peur. On a vu des reportages
M : oui, ces reportages nous ont fait peur, c’est pas simple.
AS : vous pensez que le service adoption pourrait faire quoi, vous apporter quoi ?
M : rien de spécial.
Mme : la seule chose qu’on attend, c’est une bonne nouvelle.
AS : est-ce que le travail qui pourrait être fait ce serait de vous aider à prendre une décision ?
M : on ne sait pas trop ce qu’on va faire, alors...
Mme : vous nous diriez de quoi faire ? si vous voulez nous aider.
AS : peut-être que mon travail est de vous aider à prendre une décision ?
M : tout à fait
Mme : mais on n’en a pas parlé.
AS : est-ce que vous avez d’autres attentes par rapport au service adoption ?
Mme : je ne pense pas que vous puissiez faire plus, je ne crois pas.
M : aujourd’hui, on a notre fille, les choses ont beaucoup changé ; si on n’avait pas la petite, ce serait peut-être différent...
AS : et quand vous disiez tout à l’heure, “être accompagné par des gens qui sont dans la même situation que nous” ça veut dire qui ?
M : les adoptants, mais on n’en connaît pas beaucoup, on en a surtout vu à la télévision, et c’est vrai que c’était la galère.