Que peuvent signifier les représentations de l’enseignant avec cette notion du vrai, tant il nous semble que ce rapport peut vraisemblablement influer le comportement didactico-pédagogique du professeur de mathématiques.
Nous suggérons que les représentations sont en filiation avec les idées défendues par les logiciens du Cercle de Vienne dont l’idéal de conceptions repose sur des arguments à la fois d’ordre logique et social. Pour le Cercle de Vienne, la science est fondée sur la démonstration rigoureuse (donnant accès à la vérité) et le recours aux faits d’observation peut faire progresser la connaissance du monde. Nous nous référons donc au Cercle de Vienne pour deux raisons. D’une part parce que les enseignants sont en quête d’un monde de certitudes que représentent les idées mathématiques et que d’autre part, le monde de certitudes logiques fournit une quiétude morale. La vérité logique donne accès à la vérité monde.
Ce mouvement résolument anti métaphysique, étroitement lié aux sciences accordait un grand pouvoir à la logique et attachait une importance à la liaison entre les sciences, le social et la philosophie (la « carte de visite » des principaux adhérents à ce groupe en témoigne). Une citation de P. Jacob dessine assez bien leur optique quand il livre que « les membres du Cercle de Vienne ressentent vivement l’imminence de la crise, partout proclamée. Dans la préface à La Construction logique du monde (1928), son premier grand livre, Carnap témoigne de sa sensibilité à la culture de son temps. Au sentiment de la crise il veut répondre en soulignant la responsabilité morale d’une pensée rigoureuse [...]. Dans un contexte apocalyptique, les membres du Cercle de Vienne réincarnent la philosophie des Lumières. Ils s’élèvent au nom de la science, contre l’obscurantisme. Ils attribuent une valeur morale autant qu’intellectuelle au savoir scientifique, comme en témoigne leur passion de l’unité de la science et leur penchant pour l’encyclopédie. Ils ne doutent pas que le progrès scientifique favorise le progrès social ». 26 Bien que ce mouvement se désagrège assez rapidement et par ceux là mêmes qui voulurent défendre cette tentative de justifier scientifiquement le monde, il n’en reste pas moins qu’il symbolise cet attachement des hommes à cette « soif » de certitudes.
Derrière cet attachement à l’idée de vérité pointe à l’extrême une valorisation du savoir scientifique. Des propos d’enseignants, mis en évidence précédemment, associant mathématiques, vérité et homme crédite le point de vue d’unir science (mathématiques), logique et social.
Ce qui impliquerait que le vrai ne se décrète pas, qu’il ne relèverait pas non plus de l’évidence, mais qu’il découlerait de l’acte de preuve, scellement de toute scientificité pour appréhender le monde donc le social. Car l’attachement à l’idée de vérité est aussi en lien avec une aspiration à l’ordre et à la logique comme valeurs d’une société. Les propos des enseignants tiennent souvent en otage la science et le social. Le Cercle de Vienne considère que tout discours en dehors du champ scientifique est vide de sens ou réduit à des faux problèmes. On veut ériger la logique comme science indépendante. Pour évacuer tout désordre, en mathématiques par exemple, l’on essaie de combiner axiomatisation et formalisation pour mettre en place un édifice mathématique de manière rigoureuse, mais ceux qui optent pour l’invariance optent pour l’ordre social déclare M. Serres .
Nous envisageons cette recherche de caractérisation universelle, présent chez les enseignants de mathématiques par le biais de son attachement à la vérité, comme une quête vers le déterminisme source de quiétude morale.
A travers cette perpétuelle volonté de tout identifier, de tout nommer, l’enseignant n’affiche t-il pas sa tendance à vouloir tout définir, à vouloir tout percevoir ? Cela ne traduit-il pas ce désir de fixer le savoir une fois pour toutes ? « En résumé, le préjugé, fréquent chez les professeurs de mathématiques, selon lequel un mot, ou symbole posséderait un seul sens fixé une fois pour toutes et exactement le même partout et toujours est dangereux en mathématiques « une langue mathématique fondamentalement univoque est impossible a écrit Heyting » - Tarski, dans « le concept de vérité dans les langages formalisés » insiste : « nous devons nous résigner à admettre que nous nous trouvons en face non d’un seul concept mais d’une pluralité de concepts différents lesquels sont désignés par un seul et même mot » ». 27
L’attachement à la notion de vérité, ne marque t-elle pas cette attirance vers la permanence, ce besoin de sécurité ? Aspiration à un monde où ne régnerait plus, ni la contradiction, ni les désaccords, perçus comme autant d’ennemis pour la quiétude humaine, si tant est que « la dissémination des ports [...] s’élargit autant que se concentrent les producteurs de connaissances en écoles rivales. La société enseignante et savante mime dès sa naissance la société tout court. Des villes états se dispersent et s’affrontent sur les rives de la mer: de même la petite cité athénienne de l’Académie, par exemple, sous la direction de Platon, livre des batailles acharnées contre dix sophistes : Hippias [...] ou autres et conclut des alliances temporaires avec des étrangers de Crotone [...]». 28
La responsabilité morale d’une pensée rigoureuse chère au Cercle de Vienne n’est pas étrangère à cet attachement à la vérité chez les enseignants. La quête de la recherche d’unité (au travers de sa quête de l’universel) peut aller de pair avec la recherche de la vérité en privilégiant par exemple, la structure sur le sens. La vérité comme entité indépendante du sujet qui la crée, et comme résultante des relations entre les êtres. « Le structuralisme en mathématiques s’oppose au compartimentage des chapitres hétérogènes en retrouvant l’unité grâce à des isomorphismes ». 29
Cette persistance à ne pas douter de l’existence de la vérité que manifestent les enseignants, à l’image des espoirs que fondait le Cercle de Vienne, permet d’étancher sa soif d’Absolu et marque la croyance en un monde des Idées pures ; un monde qui serait immuable, sans changement, où l’on exercerait une activité spéculative à des fins d’idéalisation du monde réel. Détachement du monde sensible « la conception platonicienne reporte sur le monde mathématique le désir d’absolu et d’éternité de l’esprit humain » 30 qui renvoie à l’idée que science, social et philosophie sont liés. Ce détachement serait source de quiétude morale.
Lors, après cette tentative abordant le retentissement de l’idée du vrai sur l’enseignant il s’agit de poursuivre l’étude visant à établir un état des lieux sur l’idée du vrai en considérant dès lors un versant plus pragmatique, celui que côtoie l’enseignant dans sa pratique.
Interroger cette notion de vérité dans le champ pédagogique scolaire : qu’en est-il de l’idée du vrai chez les élèves ?
JACOB P. - L’empirisme logique - Edition de minuit - cité par RUSS opus cit. p. 38, 39.
LOI M. - Penser les mathématiques - Edition du seuil - 1982 - p. 119.
SERRES M. - Eléments d’histoire des sciences - Edition Bordas - 1989 - p. 63.
PIAGET J. - Le structuralisme - Edition PUF - 1968 - p. 5 .
APERY - Penser les mathématiques - Séminaire de philosophie et de mathématiques de l’ENS - Edition du Seuil - 1982 - p. 59