Dans un contexte social qui fait de la pensée l’instrument et le fondement du pouvoir, où le discours éprouve sa puissance de conviction dans l’usage de ses règles, nous avançons que l’idée du vrai tient en otage aussi bien la rationalité que la démocratie. La rationalité d’abord, puisque nous inscrivons l’idée du vrai au sein des mathématiques, science démonstrative par excellence. Et la démocratie aussi, puisque l’idée du vrai vise l’idéal d’élever chacun au-dessus de lui-même pour participer à l’émergence de son émancipation. Mais,« les mutations de l’idée de preuve vont de pair avec des transformations de sens et des formes d’accès au sens de la matière mathématique travaillée ». 95 Quelles conséquences pour l’idée du vrai ? C’est ce que nous nous proposons d’éclairer au fil de l’histoire de la pensée des hommes.
En suivant M. Legrand 96 , nous considérons que les mathématiques sont aussi importantes pour l’homme par la façon dont elles lui permettent de penser le monde que par les résultats qu’elles établissent. La pensée mathématique n’est pas la pensée naturelle ni même son prolongement, elle est autre et c’est essentiellement cette autre façon de penser les questions qui est un savoir utile, utilisable, car c’est ce savoir qui peut permettre au sujet de changer ses représentations sur le monde, de concevoir une autre façon de poser des problèmes et d’envisager ses capacités à les résoudre. Ce qui nous intéresse, c’est de comprendre comment les hommes se sont emparés de la question du vrai dans le but de l’éclaircir conceptuellement.
‘ Parole d’élèves.A propos de la place du vrai dans la pensée mathématique nous entendons donner un éclairage à la fois sur la nature de ce que les hommes considèrent comme vrai au fil des siècles, sur la fonction que remplit cette notion de vrai et sur les moyens proposés pour distinguer le vrai. Nous n’affichons aucune ambition d’exhaustivité mais notre intention est plutôt de faire ressortir quelques pensées paradigmatiques qui ont jalonné l’histoire des mathématiques. Notre parti pris est d’emprunter un itinéraire chronologique qui s’origine dans les commencements des mathématiques, environ au IVième millénaire avant notre ère, pour s’achever au XXième siècle sans pour autant que les périodes retenues puissent faire l’objet d’une datation précise. Il est clair que l’on ne peut affirmer avec exactitude le moment historique où des changements de pensée sur la question du vrai s’opèrent. En revanche, nous avons pu déceler les moments de rupture de certains courants ce qui permet d’établir une succession de périodes pendant lesquelles s’affirment ce que nous avons nommé précédemment les pensées paradigmatiques. C’est pourquoi, la façon de les nommer met en exergue ce que véhicule l’idée du vrai durant la période considérée. Ces périodes présentent une hétérogénéité du point de vue de leur durée qui peuvent regrouper plusieurs siècles ou seulement la moitié d’un.
ROUCHE N. - Amener à l’évidence ou contrôler des implications ? - in La démonstration mathématique dans l’histoire . Actes du 7ième colloque inter-IREM. Epistémologie et histoire des mathématiques. 1990. p.9.
LEGRAND M. - Recherches en didactique des mathématiques - La problématique des situations fondamentales. Volume 16/2. Edition La pensée sauvage.1996. p.248.