a) Le vrai au service d’un mode de vie.

Les balbutiements des mathématiques se situent vraisemblablement, en Mésopotamie et en Egypte. Il est dorénavant établi que mathématiques et écriture entretiennent « une relation symbiotique » et qu’« elles sont nées en même temps et leurs destinées sont étroitement liées, même si la seconde (l’écriture) s’est dans une large mesure libérée des contraintes imposées par les premières (mathématiques ) 97 . Et J. Ritter de renforcer par, « pour qu’une société développe une mathématique qui aille au-delà du simple calcul, un support matériel d’une sorte ou d’une autre est nécessaire. Sans écriture, les limitations de la mémoire humaine restreignent le degré de sophistication numérique qui peut être atteint. Ce point est bien connu depuis longtemps ». 98

Le développement des mathématiques va de pair, également, avec le type de problèmes que se posaient les hommes dans leur vie pratique. Leurs résolutions répondaient à des besoins de la vie courante : savoir mesurer, diviser, répartir. Leurs pratiques mathématiques se résumaient à des textes de procédures qui correspondaient au comment de la résolution et à des tables (auxquelles se référaient les premiers afin de pouvoir obtenir les calculs).

A ce sujet, signalons la différence d’approche du vrai que relève J. Ritter, entre celle des Mésopotamiens et celle dont usent les mathématiciens modernes. Il souligne que « là où nous résolvons des questions particulièrement mathématiques, en créant d’abord une règle générale et en la spécialisant ensuite à différents cas particuliers les Mésopotamiens pouvaient atteindre le même résultat en construisant une grille d’exemples typiques et en interpolant ensuite pour résoudre de nouveaux problèmes ». 99

Autre particularité. Les mathématiques ne relevaient pas encore d’une épistémologie internaliste, (comme c’est le cas actuellement), mais plutôt d’une épistémologie externaliste (au sens de mathématiques appliquées). De fait, on remarque la visée pragmatique des mathématiques « originelles ». Les solutions des problèmes trouvant leur retentissement dans la résolution de problèmes de tous les jours, autrement dit, la recherche du vrai (au sens de recherche de solutions efficaces) était au service de l’Homme.

On relève aussi que la recherche du vrai en Mésopotamie et en Egypte ne faisait pas l’objet du même traitement : les opérations et les techniques bien que différentes aboutissaient déjà à des résultats identiques.

Ce regard sur les origines des mathématiques nous informe d’abord, qu’à partir du moment où il y a communauté d’hommes sous forme sociétale, les mathématiques apparaissent comme un besoin naturel lié à la nécessité de laisser une trace d’où leur symbiose avec l’écriture.

Ensuite, le recours aux mathématiques s’explique pour résoudre des problèmes dont les solutions étaient considérées comme « des vérités », étant donné qu’elles entretenaient la permanence de la société sur le plan « économique », tout en contribuant au développement d’une culture puisque « c’est le besoin de mesurer, diviser et répartir la puissance matérielle de leurs sociétés qui a donné naissance aux premiers systèmes d’écritures » 100 .

‘ Parole d’élève
La vérité pour moi est une vérité qui colle à la réalité et au « sens commun ».’

Liée à des procédures et à des techniques opératoires différentes, cette recherche de vérité(s) témoignait de son ancrage dans des cultures particulières. Pour un même problème, et les démarches de résolution, et les outils que ces civilisations utilisaient étaient différents. En d’autres termes, la manière de résoudre un problème (et par là - même d’atteindre le vrai) se démarquait de la nécessaire adhésion à une norme universelle et interne aux mathématiques.

En outre, ces deux civilisations, d’après l’étude de J. Ritter, témoignent essentiellement d’une pensée algorithmique. Ce processus semblait donc suffisant pour instituer le vrai. Cela incite à penser que l’ambition de ces civilisations était de parvenir à du vrai « local », au sens du vrai utile et donc que cette idée du vrai s’inscrivait assez naturellement, comme allant de pair avec le projet de survivance de la civilisation, mais pas uniquement. On peut aussi pressentir tel Michel Serres, que « la procédure algorithmique présenterait un échantillon naïf de ce qui deviendrait par la suite une démonstration en forme [...] autrement dit, la théorie et la pratique de la démonstration supposent un algorithme. Celui-ci prépare dans l’histoire celle-là » 101 . La pensée algorithmique comme prélude au « miracle grec » 102 .

J. Ritter conclut : la recherche du vrai relève de la contingence. « Enfin, le développement des mathématiques à leur commencement met en évidence la nécessité d’une analyse plus fine du rapport entre les besoins matériels d’une société et la nature de la recherche mathématique, « s’engendrant librement ». Si les mathématiques antiques ne furent jamais « simplement » pratiques et empiriques , il est peut être tout aussi vrai que les mathématiques contemporaines ne sont pas « purement » abstraites et spéculatives. Si les techniques servent aux avances du domaine, ne doit-on pas penser que tout problème mathématique surgissant dans une société donnée est, en fin de compte, lié aux techniques que cette même société a forgées ? Et, en retour, que les mathématiques, tout comme les sociétés, ne peuvent se poser que des questions pour lesquelles une réponse, au moins potentielle, existe ? ». 103

Récapitulation des idées fortes : le vrai au service d’un mode de vie

  • L’écriture, est au service des mathématiques reliées à la vie courante pour laisser une trace
  • Le vrai est contingent de règles particulières selon les cultures et relève d’une pensée algorithmique

Notes
97.

RITTER J. - Chacun sa vérité : les mathématiques en Egypte et en Mésopotamie - in Eléments d’histoire des sciences - Edition Bordas - p.40.

98.

Ibidem p.40.

99.

Ibidem p. 35.

100.

RITTER J. ibidem p.41

101.

SERRES M. opus cit. p. 88.

102.

L’expression est d’Ernest Renan.

103.

RITTER J. opus cit. p. 60.