b) Le vrai pour la conquête compréhensive de l’univers.

Nouveau contexte : la péninsule grecque, berceau sans précédent, d’une révolution des Arts, des Lettres et des Sciences. La science grecque passe d’un descriptif des faits à la recherche des causes, de la maîtrise de certains savoirs à la recherche systématique de la preuve et de leur validité. En cela la recherche du vrai opère un tournant.

En premier lieu, « jusqu'à la fin du 19 ième siècle la recherche d’un ordre mathématique se confondait avec la recherche de la vérité. La croyance selon laquelle les lois mathématiques constituaient la vérité sur la nature attira les esprits les plus profonds et les plus nobles vers les mathématiques ». 104 La recherche du vrai se combina très vite et pour longtemps, avec la volonté de percer les mystères de la nature ou du monde.

Donc, les mathématiques furent là, pour expliquer l’univers de manière conceptuelle. Un vrai détaché de son appartenance au monde matériel. Les mathématiques permettaient d’extraire la connaissance vraie à propos de ce dernier, soit parce qu’il existait des vérités qui faisaient partie d’un monde intelligible, soit parce que c’était à partir du monde réel que l’on pouvait mettre en évidence la vérité.

En effet, on se souvient que chez Aristote, l’expérience joue un rôle central : les conceptions mathématiques sont issues du monde sensible et contrairement à Platon, elles n’appartiennent pas à un monde à part. D’ailleurs,  « Platon alla plus loin que les Pythagoriciens en ce sens qu’il ne voulut pas seulement comprendre la nature au travers des mathématiques mais chercha à substituer la mathématique à la nature elle-même. Il pensait que quelque intuition pénétrante en direction du monde physique lui fournirait des vérités fondamentales grâce auxquelles la raison pourrait procéder de manière autonome » 105 .

‘ Parole d’élèves.
En mathématiques, la vérité se fait et surtout par rapport à la démonstration : il faut prouver ce qu’on avance, autrement dit, justifier sa conclusion par une démonstration.’ ‘Une preuve en mathématiques, c’est une succession de raisonnements par lesquels on construit des hypothèses et on utilise des théorèmes (dont aucun élément nous prouve l’exactitude) mais que l’on a élaboré, confectionné et vérifié de nombreuses fois auparavant dans plusieurs contextes différents les uns des autres.’

En second lieu, dans cette Grèce classique, la vérité se prête plus au pluriel qu’au singulier . Il s’agit pour les Grecs d’effectuer une quête de vérités. Fort est de constater que ce qui faisait l’objet des préoccupations des mathématiciens de l’époque, c’est de comprendre ce qui environnait l’homme grâce à leurs investigations mathématiques. On peut entendre, par exemple, vérité en astronomie (Ptolémée avec l’Almageste) ; vérité en optique (Dioclès et ses miroirs ardents) ; vérité en hydro statique (Archimède : les corps flottants). En conséquence, « de tous les succès de la pensée spéculative grecque, le plus réellement nouveau fut leur conception d’un cosmos fonctionnant en accord avec les lois mathématiques découvertes par la pensée humaine. Les hommes étaient donc orientés versla recherche de vérités en particulier, de vérités relatives à la structure mathématique de la nature. Mais comment entreprendre la quête de telles vérités et être certain que ce sont bien des vérités ?». 106

S’annoncent les prémisses d’une pensée dont la prégnance sera visible durant deux millénaires. Pour mériter leurs statuts, les vérités exigent d’être validées par la preuve. Une ère nouvelle s’ébauche, celle où le vrai tire son existence de la puissance de la preuve.

Car enfin, les mathématiques ne sont qu’abstractions intemporelles et « la vérité mathématique ne pouvait relever que d’entités immuables et de leurs rapports » 107 .

Echapper au monde sensible pour s’élever vers le monde des idées qui défieront le temps en modélisant des réalités. Voilà que les mathématiques se métamorphosent en un corps de concepts qui généreront à leur tour de nouvelles vérités et cela, à l’aide de l’introduction du raisonnement.

Ainsi, les Grecs établiront-ils des postulats et des axiomes (il était une fois Euclide) qui, par nature sont posés comme vrais puisque « auto évidente ».

Cette auto-évidence vue à travers le principe du « ressouvenir » issu de la pensée dualiste de Platon qui pose que, comme il existe un monde lieu de vérités, l’homme a visité antérieurement cet autre monde lorsqu’il n’était qu’une âme. Lors, il suffit de raviver l’esprit de l’homme pour qu’il puisse admettre les axiomes comme des vérités pures. Auto-évidence admise aussi chez Aristote par le biais de l’expérience qui, assistée de la raison sera garant du vrai.

‘ Parole d’élève.
Une preuve peut être juste en se basant sur des affirmations données par le professeur ou par des philosophes mathématiciens telles que Platon, Thalès, Pythagore...et là on peut dire que la preuve émise peut être vraie.’

Dès lors, une fois les axiomes admis, s’instaurèrent des règles de logique de manière à ce que la démarche de raisonnement puisse être reconnue comme valide (au sens du vrai qualifiant une démarche). Et la création du principe de non contradiction vit le jour et entraîna dès lors la reconnaissance du principe du tiers exclu : une proposition est soit vraie soit fausse.

Parallèlement, s’adjoignirent des règles de validité pour la recherche du vrai. Naissance du mode de raisonnement privilégié, ce garant de l’accès au vrai en le raisonnement de type hypothético-déductif. Et l’on remarque déjà, la disqualification chez les Grecs du raisonnement par induction ou par analogie.

En conséquence, les Grecs, en définissant la nécessité de délimiter un cadre à l’intérieur duquel la notion de vrai pouvait prendre du sens, restreignent la portée de l’idée du vrai.

Cette cohabitation entre vrai et raisonnement s’explique aussi par le fait que les Grecs ont la volonté d’introduire des vérités universelles, par le biais des mathématiques, sur le plan moral et social. « Autre raison pour laquelle les philosophes favorisèrent le raisonnement déductif c’est qu’ils éprouvaient beaucoup d’intérêt pour un savoir étendu sur l’homme et sur le monde. Pour établir des vérités universelles que l’homme est par essence bon, que le monde a une fin, que la vie humaine a un but, le raisonnement déductif à partir de principes premiers reconnus valides offre sans doute une réalisation plus aisée que l’induction, l’analogie ». 108

Remarquons simplement qu’un méta postulat (situé en dehors des mathématiques) est institué, en ce sens que le raisonnement (déductif) garantit l’accès infaillible à (aux) vérité(s) de la nature de part son appartenance aux mathématiques, considérées comme corps de vérités (via les axiomes, admis sous le prétexte de l’évidence).

Enfin, l’on s’aperçoit que le vrai se prête à une conceptualisation.

L’idée du vrai prend corps sous la forme d’une représentation rationnelle du réel si bien que « du point de vue de la recherche du vrai, il est remarquable que Ptolémée (égyptien : 98 - 168 après J-C) comme Eudoxe (390 - 337 avant J-C), comprenait parfaitement que sa théorie n’était qu’une description mathématique en accord avec les observations effectuées et n’exprimait pas nécessairement la structure du monde réel ». 109

Ce qui introduit l’idée que le vrai réclame une distanciation entre l’objet (qui serait la chosification du vrai) et le concept (l’idée de l’objet).En cela, l’idée du vrai acquière sa tonalité moderne sous la forme de la modélisation mathématique. Encore que cette idée de modélisation ne paraît pas présente dans la conception de Platon qui aurait tendance, à amalgamer structure mathématique du monde avec réalité du monde physique.

Récapitulation des idées fortes de la période : le vrai pour la conquête compréhensive de l’univers

  • La recherche du vrai opère un détachement du monde matériel
  • La recherche du vrai relève de la démarche de preuve
  • La recherche du vrai est au service d’une modélisation
Notes
104.

Ibidem p. 57.

105.

KLINE M. - Mathématiques : la fin de la certitude - Edition C. Bourgeois - 1989 - p. 34.

106.

Ibidem p.37.

107.

Ibidem p. 38.

108.

Ibidem p. 43.

109.

Ibidem p. 51.