Deuxième partie du 19ième siècle.

Le doute grandit de plus en plus en regard du vrai des fondements des mathématiques et après la remise en cause de la géométrie en tant que modèle de vérités pour décrire le monde physique, c’est au tour de l’arithmétique  si l’on suit Kline, «  ainsi, on ne peut parler de l’arithmétique comme corps de vérités qui s’appliquerait nécessairement aux phénomènes physiques. Certes, puisque l’algèbre et l’analyse sont des extensions de l’arithmétique elles ne sont plus des corps de vérités. La triste conclusion que les mathématiciens furent obligés de tirer de tout cela est qu’il n’existe aucune vérité en mathématique, si l’on entend par vérité des lois concernant le monde physique ». 130 C’est Hermann von Helmholtz médecin, physicien, et mathématicien qui serait à l’origine de cette mise en évidence car dans son livre  « Compter et mesurer »  (1887) «  il considérait que le problème principal de l’arithmétique consistait à justifier l’application automatique de l’arithmétique aux phénomènes physiques. Il concluait que seule l’expérience peut nous apprendre quelles sont les applications effectives de l’arithmétique (on sent la résonance des propos de Locke et Hume). Car nous ne pouvons être sûr a priori qu’elles s’appliquent effectivement dans une situation donnée quelconque ». 131 Effectivement, lorsque dans une copie corrigée nous écrivons par exemple, que 3/5 +12/15 donne une note finale de 15/20 nous sommes bien dans une arithmétique qui s’adapte à un phénomène naturel et non pas dans cette arithmétique mathématique qui implique que 3/5 + 12/15 font ( 9 + 12 ) / 15 soit 21/15 nombre non égal à 15/20.

Dit autrement, on peut donc concevoir qu’au sein des mathématiques, il existe des arithmétiques différentes donc qu’il existe des vérités car « chaque arithmétique est conçue pour représenter une certaine classe de problèmes ». 132

Percutants, pour conclure, les propos d’Einstein qui attire notre attention sur « pour autant que les propositions de la mathématique se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité [...]. Mais il est d’autre part certain que la mathématique en général et la géométrie en particulier doivent leur existence à notre besoin de savoir quelque chose sur le comportement des objets réels ». 133

Récapitulons donc ce panorama d’idées essentielles que nous pouvons retenir de la fin du 18ième à cette fin du 19ième siècle.

En premier lieu, l’on remarque la portée de courte durée des propos de Descartes véritables professions de foi par lesquels sur un ton exalté il affichait son optimisme envers les mathématiques «  ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations m’avaient donné l’occasion de m’imaginer que toutes choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre - suivent de même façon et que, pourvu qu’on s’abstienne d’en retenir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles, enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre » 134 En effet, on passe en ce 19ième siècle, à beaucoup plus de réserve, voire de scepticisme, pour ne pas dire de pessimisme. Même Gauss et Evariste Galois pensent à propos des mathématiques que « cette science est l’œuvre de l’esprit humain qui est destinée à étudier plus qu’à savoir, à chercher la vérité plus qu’à la trouver ». 135

Il est apparu tout au cours de ce 19ième siècle que le vrai mathématique devait s’adapter aux lois physiques, mais pour autant, les théories scientifiques ne gagnèrent pas le label du vrai. Pire, elles devenaient d’autant plus vulnérables qu’elles faisaient intervenir des axiomes mathématiques.

Cette prise de conscience généra donc le doute, quant à la fiabilité même de l’outil mathématique pour décrire la nature. Mais paradoxalement, on constate aussi que le recours aux mathématiques pour comprendre ou expliquer le monde dans lequel évolue l’homme, était néanmoins toujours aussi constant : mathématiques et vrai semblaient, malgré tout, encore coexister même si l’illusion que cette vérité soit atteinte commença à s’émousser.

Il semble donc que le doute par rapport à l’accès à la vérité soit bien installé, comme l’avait pressenti Diderot en son temps en déclarant qu’il « faut toujours prendre, quand on cherche, un départ bien déterminé, et ce commencement ne peut être qu’une tentative que très imparfaite, souvent marquée d’insuccès. Il est des vérités qui sont inconnues comme le sont certaines contrées auxquelles on ne parvient qu’après avoir essayé toutes les routes. Certains doivent se risquer à abandonner les sentiers battus de manière à indiquer

la meilleure route aux autres. Nous sommes presque toujours condamnés à errer avant de parvenir à la vérité». 136

‘ Parole d’élève.
Comment les mathématiciens ont réussi à trouver les bonnes hypothèses qui ont abouti aux bons théorèmes ?’

Récapitulation des idées fortes de la période : deuxième partie du 19 ième siècle

La question de l’accessibilité de l’accès à la vérité est posée au sein des mathématiques

Notes
130.

Ibidem p. 175.

131.

Ibidem p. 170.

132.

Ibidem p. 174.

133.

EINSTEIN A. Géométrie et expérience in Réflexions sur l’éther : la géométrie et la relativité - Edition Gauthier Villars - 1972 - p. 76 et p. 77.

134.

DESCARTES R. Discours de la méthode - 1637 - Edition Garnier Flammarion - cité par KLINE M. p.587.

135.

KLINE M. opus cit. p. 183.

136.

Ibidem p. 235.