e) A la recherche du vrai perdu.

L’aube du 20ième siècle.

Cette période se caractérise par la volonté d’aller à la conquête des fondements logiques des mathématiques pour justifier leur caractère de corps de vérités comme le montre Kline « il est clair qu’il n’existait aucun terrain solide sur lequel fonder les mathématiques car le sol apparemment ferme sur lequel la vérité avait été construite s’était avéré trompeur. Mais il était peut être possible de stabiliser la structure de l’édifice en construisant un fondement bien plus solide et d’une autre nature. Ce fondement comprendrait des axiomes et des définitions complets et clairement exprimés ainsi que les preuves explicites de tous les résultats sans se préoccuper dans quelle mesure ils pourraient paraître ou non évidents à l’intuition. Il fallait en outre, substituer à la confiance en la vérité, la notion de compatibilité logique ou de consistance. Les axiomes et les théorèmes devaient être si complètement dépendants les uns des autres que la structure toute entière semblerait compacte. Peu importe sa manière de reposer sur le sol, elle se maintiendrait de la même manière qu’un gratte ciel qui se balance dans le vent mais reste solidaire de la base jusqu’au sommet ». 137

On se dirigea donc vers un mouvement de type axiomatique (Hilbert en étant le champion) qui révéla la distance énorme existant entre les mathématiques et le monde réel. On peut remarquer alors que cette méthode axiomatique deviendra le garant du vrai, pour un temps, au sein des mathématiques. C’est comme s’il y avait un changement de perspective.

On ne se centre plus sur le problème de la cohérence qu’il y aurait entre les mathématiques et les lois physiques, mais on axe les effortssur la cohérence interne des mathématiques. Le vrai change de place, d’objet et de statut. C’est l’entrée du terme de rigueur.

A ce sujet Poincaré déclare « avons-nous atteint la rigueur absolue ? A chaque stade de l’évolution nos pères croyaient l’avoir aussi atteinte. S’ils se trompaient ne nous trompons nous pas comme il n’y a plus que les syllogismes ou les appels à cette intuition du nombre pur, la seule qui ne puisse nous tromper. On peut dire qu’aujourd’hui, la rigueur absolue est atteinte ». 138

En somme, on assiste à un glissement de l’idée de vérité vers celle de consistance. La perspective des mathématiciens se transforme. Ils dirigent leurs efforts vers l’établissement de la cohérence interne des mathématiques. L’idée du vrai trouvera son incarnation dans la preuve que les mathématiques s’articulent de manière «logique». Ce glissement aura pour conséquence que le vrai émane d’un nouveau Dieu qui se nommera rigueur.

L’adéquation entre les mathématiques et leurs capacités à rendre compte de la réalité semble donc mise entre parenthèses. L’activité suprême des mathématiques, à savoir, l’activité de modélisation prend de plus en plus d’importance. Le pouvoir des mathématiques réside dans sa faculté à élaborer une représentation rationnelle et non une représentation exacte du monde physique.

Pour l’heure, la préoccupation n’est plus, non plus, de se soucier de l’essence des axiomes pour prouver qu’ils se justifient. Peu importe s’ils sont le fait de l’expérience ou de la raison. Le souci majeur semble t-il, c’est que les mathématiques deviennent en quelque sorte aseptisées, débarrassées de toute contradiction interne et que tout paradoxe soit évacué. Enfin, après une phase de scepticisme, on sent comme un renouveau d’optimisme chez les mathématiciens : il existerait l’Idéal en mathématiques...la consistance serait à portée de leurs cerveaux ?

Notes
137.

Ibidem p. 317.

138.

POINCARE H.- La valeur de la science - Edition Flammarion - 1970 - p. 32. et 33.