De 1930 à nos jours.

‘Parole d’élève.
Rien n’est jamais sûr et je pense que le vrai but est de trouver la vérité vraie afin de répondre à toutes les questions que l’on se pose.’

Si comme nous venons de le voir, aux environs de 1930, chaque mathématicien pouvait se  « retrouver » dans une certaine théorie, pour que la problématique qu’il veuille résoudre puisse l’être, il demeurait cependant, que l’on n’avait pas encore prouvé la consistance des mathématiques : les paradoxes n’étaient pas évacués. Dès lors, le problème de la « complètude » fut donc avancé.

Il s’agissait de prouver le fait que les axiomes de n’importe quel domaine des mathématiques soient suffisants pour prouver qu’une proposition, (contenant les concepts appartenant à ce domaine) est vraie ou fausse. Si cela était, on atteindrait cette fameuse vérité puisque le système d’axiomes serait suffisamment global, en lui même, pour couvrir toute proposition : toutes les phrases vraies dans un système d’axiomes seraient démontrables. Prenons un exemple «concret » pour comprendre cette complètude. La complètude exigerait par exemple que la conjecture, « tout nombre pair est la somme de deux nombres premiers », puisse être démontrée comme vraie ou fausse rien qu’en utilisant les axiomes de la théorie des nombres.

C’est en posant ce problème qu’il y eu un coup de tonnerre : Gödel fit son entrée révolutionnaire avec précisément son « théorème de l’incomplètude ». Il affirma que aucun système d’axiomes mathématiques ou logiques susceptibles d’être arithmétisés n’est capable d’englober toutes les vérités de n’importe quel domaine. Ni de rien dire de toute mathématique, car un tel système d’axiomes est incomplet. Pour le dire autrement, il existe des énoncés bien formés qui découlent de ces systèmes, certes, mais ils ne peuvent être prouvés à l’intérieur de ces systèmes.

Conséquence : il existe en mathématiques des propositions indécidables. On ne peut prouver si elles sont vraies ou si elles sont fausses.

Dès lors, la méthode axiomatique n’est pas assez puissante et ne peut apporter de solution quant à ce problème de complètude. N’importe quel énoncé ne peut être prouvé vrai à l’intérieur d’un système axiomatique.

Ainsi, alors que Brouwer (intuitionniste) montra clairement que tout ce qui est intuitivement certain reste en-deçà de ce qui est démontré dansles mathématiques classiques, Gödel montra que ce qui est intuitivement certain s’étend au-delà de la preuve mathématique.

1930 à nos jours, c’est la confirmation du doute et de la certitude que le vrai ne peut pas toujours être atteint, « la conception la plus répandue des mathématiques pour laquelle elles ne sont qu’une série de structures, chacune fondée sur son propre ensemble d’axiomes, s’avère inadéquate pour comprendre tout ce que les mathématiques devraient englober et d’autre part elles englobent plus qu’elles ne devraient ». 150 C’est dire si le paradoxe fait partie de cette science et Kline de renforcer ; «  le désaccord s’étend même aujourd’hui aux méthodes de raisonnement. La loi du tiers exclu n’est plus un principe logique indiscutable. [...] En conséquence, la prétention à pouvoir parvenir à des raisonnements indiscutables doit être abandonnée. Il est clair que les différents corps des mathématiques résulteront d’une multiplicité de choix. Les recherches récentes sur les fondements n’ont brisé les frontières que pour parvenir sur des territoires sauvages. ». 151

On assiste au désarroi des mathématiciens qui prirent conscience de la non infaillibilité de leur science : « la disparition de la vérité est très certainement une tragédie de première grandeur, car la vérité est la plus précieuse des possessions de l’homme: qu’une seule vérité soit perdue est une source d’amertume » 152 . Le prestige des mathématiques en aurait-il souffert ? Ces périodes de contradictions, de réfutations n’illustreraient-elles pas, a contrario, la preuve parfaite que les mathématiques appartiennent plus que jamais au paysage scientifique, tant ses bases se prêtent à questionnement, tant ses concepts sont bousculés voire remaniés ?

De plus, cette nouvelle vision de la conception des mathématiques interfère fortement sur la notion du vrai et ne fait qu’exhiber un nouveau postulat : le vrai en mathématiques ne peut être que local.

Récapitulation des idées fortes de la période : du 20 ième siècle.

  • La recherche du vrai devient interne aux mathématiques

passage de la notion de vérité à la question de la consistance des mathématiques

  • La recherche de la vérité se transforme en une chasse aux paradoxes
    • faillite de la logique, de l’intuition et du formalisme pour assurer la consistance
    • perte de l’illusion du vrai interne de tout l’édifice mathématique
  • Existence des propositions indécidables : émergence de l’idée de doute au sein même des mathématiques

Notre parcours à travers les âges et ce détour au fil du temps achevés, il nous est possible d’appréhender le vrai, et l’idée du vrai, dans toute sa mobilité pour en saisir les évolutions.

En somme, la question du vrai relève autant de problématiques d’ordre humano - social que de problématiques d’ordre épistémologique. Et ce, au sein même des mathématiques.

En effet, les hommes se sont emparés de la question du vrai pour assurer leur pérennité du point de vue économique et social. Puis nous avons assisté à cette phase cruciale et marquante de la rationalisation du vrai via l’impératif du raisonnement. Ainsi structurée, la question du vrai fut au service de la compréhension de l’univers, où logos et cosmos s’entremêlèrent avec ou sans médiation divine. Enfin la question du vrai prit comme investigation son propre domaine d’appartenance, les mathématiques, et les questions existentielles de tous ordres virent le jour.

Lors, pendant ce long défilé des siècles la question du vrai en mathématiques mit en scène des interrogations sur sa raison d’être et son mode d’accès, pour se prendre elle-même comme objet d’étude, afin de se penser à l’intérieur de son domaine d’existence (de prédilection ?), les mathématiques, jusqu'à le mettre à l’épreuve.

Synthèse globale de l’évolution des conceptions du vrai dans l’histoire de la pensée.

Déplacement de la recherche du vrai externe (au sens de l’ordonnancement de l’univers) vers une recherche du vrai interne (au sens de la recherche de consistance au sein des mathématiques)

Passage
du vrai absolu
au vrai local
Mise en doute
de la possibilité
d’accessibilité au vrai
La recherche du vrai
relève de
la quête
Notes
150.

Ibidem p. 503.

151.

Ibidem p. 503.

152.

Ibidem p. 507.