La vérité est objective à la condition qu’elle résulte d’un travail critique où « [...] cette expérience peut servir à montrer que nos rêves et nos attentes ne déterminent pas nécessairement les résultats que nous produisons, et que, pour rechercher la vérité, la meilleure méthode consiste peut-être à commencer par soumettre à la critique nos croyances les plus chères. Le projet pourra sembler retors à certains, mais non à ceux qui veulent découvrir la vérité et ne s’en effrayent pas ». 157 Autrement dit, il récuse l’épistémologie optimiste de Platon ou de Descartes ou de Bacon qui se caractérise par la croyance en le caractère manifeste de la vérité. Popper ne cautionne donc pas l’observation ou les sens comme moyen d’accès à la vérité objective car, ni l’expérience en soi, ni la raison, ne peuvent être suffisants selon lui. Popper avance la réfutation comme garant du vrai et de l’objectivité de la vérité. Une conjecture est d’autant plus vraie (degré de vérité) qu’elle résiste mieux à la réfutation.
Lors, dans le champ des sciences empiriques il semble bien que ce soit un changement paradigmatique aussi important dirions-nous que le théorème de Gödel en mathématiques. En effet, Popper avance qu’une théorie ne sera pas vraie parce qu’elle sera vérifiée mais de part sa façon de résister aux réfutations. Autrement dit, le mode d’accès à la vérité ne se conçoit pas par son haut degré de vérifications mais par son haut
degré de résistance à la réfutation et sa potentialité élevée d’être falsifiable. C’est une première caractéristique de la vérité au sens poppérien, mais il y en a d’autres que nous appréhendons d’abord sur le plan de la visée de cette vérité objective.
Popper commence par attribuer une visée humano - sociale à la vérité. Elle est libératrice, au sens de émancipatrice, car Popper fait remarquer « ainsi l’épistémologie optimiste de Bacon et de Descartes ne saurait être vraie. Mais ce qui est le plus étonnant dans l’histoire de cette conception, c’est sans doute le fait que cette épistémologie au demeurant fausse a été la principale source d’une révolution intellectuelle et morale sans précédent. Elle a encouragé les hommes à penser par eux-mêmes. Elle les a conduits à espérer qu’ils pourraient, grâce à la connaissance, se libérer eu mêmes et libérer autrui de la servitude et du dénuement ». 158
La vérité possède encore une autre caractéristique. Elle est non accessible, non pas parce que le pouvoir de la raison humaine est mis en doute, mais parce qu’il s’agit d’un principe épistémologique : il est possible d’atteindre le faux avec certitude (grâce à la réfutation) mais la certitude d’atteindre la vérité n’existe pas à cause précisément du spectre de l’éventuelle réfutation qui plane toujours. En effet, « [...] si tous nous sommes sujets à l’erreur et nous trompons souvent, individuellement et de manière collective, cette idée de l’erreur et de la faillibilité humaine en implique précisément une autre : l’idée de la vérité objective cette norme que nous n’atteignons pas forcément. En conséquence, il ne faut pas considérer que la doctrine de la faillibilité relève d’une théorie pessimiste de la connaissance. D’après cette doctrine, nous sommes en mesure de rechercher la vérité objective, même si, nous manquons le plus souvent de beaucoup notre but. Si nous avons le respect de la vérité, nous devons rechercher celle-ci en cherchant obstinément à mettre au jour nos erreurs par une critique rationnelle, et une auto critique de tous les instants ». 159
Autrement dit, la vérité relève de la quête. Le vrai est d’autant plus crédible qu’il est réfutable car « une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. Pour les théories, l’irréfutabilité n’est pas ( comme on l’imagine souvent ) vertu mais défaut ». 160
Enfin, la vérité revêt une dernière caractéristique. Elle n’est pas absolue : le vrai change, évolue « car lorsque je parle du développement de la connaissance, je ne me réfère pas à un ensemble d’observations mais à l’élimination réitérée de théories scientifiques remplacées par des théories meilleures ou plus satisfaisantes ». 161
Ibidem p. 22.
Ibidem p. 25.
Ibidem p. 38.
Ibidem p. 64.
Ibidem p. 320.