c)La position holiste (Quine 1951).

Les approches successives dans le champ des mathématiques et dans celui de la philosophie nous ont conduite à mentionner que le traitement de la question du vrai ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la notion de paradigme et de relativisme ; le détour par la pensée holiste nous semble tout aussi nécessaire dans l’éclairage de cette idée du vrai. Sommairement résumée, cette position avance qu’aucune hypothèse ne peut être isolée de tout un corpus d’autres hypothèses.

Ainsi, aborder l’idée du vrai en mathématiques consiste à mesurer la nature et le nombre de jalons qu’il faut poser pour trancher le vrai. La réflexion sur l’idée du vrai doit donc englober l’incidence du principe de régression à l’infini vis à vis de l’existence des fameuses notions communes : c’est parce que l’on ne peut pas prouver le vrai en soi de tous les fondements que les mathématiques ont besoin du vrai a priori, au départ de la construction de leur édifice euclidien par exemple ; et c’est parce que le vrai de l’apriori du Vième postulat se conçoit relativement par rapport au vrai d’autres postulats que l’on peut mesurer le relativisme du vrai en mathématiques. En outre, Quine s’attaque au « dogme de l’empirisme logique » professé par le Cercle de Vienne qui consiste à faire la distinction entre les vérités analytiques (ou logiques) et les vérités synthétiques qui portent sur les faits. Il prétend que les vérités analytiques ne sont pas que logiques mais qu’elles entretiennent une dépendance avec les faits. Ainsi, le principe de non contradiction, pilier de la logique classique peut être questionné, selon Quine, dans la mesure où ce principe est remis en question par la mécanique quantique, qui admet qu’une particule peut à la fois être et ne pas être.

Récapitulation des idées fortes concernant l’usage possible de l’idée du vrai pour une épistémologie des mathématiques scolaires

Une posture épistémologiquement souhaitable quant à l’enseignement de l’idée du vrai oriente vers :

Dans cette partie deux qui s’achève, si nous nous sommes intéressée à l’évolution des conceptions du vrai dans l’histoire de la pensée, c’est qu’elle doit éclairer des finalités dans l’enseignement. Et c’est en référence à la trilogie durkheimienne qui assigne aux savoirs (ici la question du vrai) les dimensions du citoyen, du travailleur et de la personne que nous entendons conclure. « L’esprit, il faut le répéter, est fait pour penser les choses, et c’est en lui faisant penser les choses qu’on le forme » 177 ponctue Durkheim mais le sociologue entend que cette pensée s’appuie avant tout sur l’objet, tant « il loue le réalisme et l’esprit pratique [de la scolastique qui vaut] mieux de ce point de vue qu’une éducation humaniste incapable de répondre aux besoins du plus grand nombre » 178 . La science permet d’envisager une éducation pour tous à condition de ne pas se détacher du caractère utilitaire de ses finalités, car poursuit Durkheim « la science ne peut être appréciée de l’opinion que si, directement ou indirectement, elle sert à éclairer l’action et si l’on en a conscience » 179 . Nous souscrivons aux élans durkheimiens lorsqu’ils reconnaissent à la science un pouvoir éducatif sur la formation de l’esprit et nous sommes sensible à la volonté du sociologue d’unir éducation à « plus grand nombre » (intention démocratique).

Nous nous saisissons de l’idée que défend Durkheim « il y a des formes diverses de la réflexion, qui sont fonction des objets auxquels elle [culture logique] s’applique, des habitudes diverses à acquérir que l’esprit ne peut prendre qu’en entrant en rapport avec les diverses sortes de réalités qu’il [l’esprit ] est appelé à rencontrer » 180 . Bien que nous soyons avertie par Alain Kerlan que « le positivisme ignore pour l’essentiel l’idée que les sciences puissent être des moyens au service et au profit de la maîtrise de l’entreprise ou des processus éducatifs » 181 , nous serions tentée de déceler chez Durkheim l’amorce (cachée) d’un souci d’ordre didactique (tout en sachant que ce basculement ne s’opérera franchement que plus tardivement).

Le détour par l’évolution des conceptions du vrai dans l’histoire de la pensée (formes diverses de la réflexion fonction des objets), ainsi que la nécessité de clarifier l’idée du vrai, marquent notre propre préoccupation pour penser les façons et les procédures de l’enseignement auxquelles nous convie la « didactique » de nos jours, pour nous rendre attentive à leur mise en rapport avec les diverses sortes de réalités auxquelles l’esprit des élèves peut être confronté au sujet de la question du vrai. Convaincue que nous sommes, que « le comment on apprend » compte autant que « ce que l’on apprend » .

Le recours à la philosophie, l’histoire et l’épistémologie sont autant de regards qui ont nourri notre réflexion afin que nous concevions un usage possible de l’idée du vrai pour une épistémologie des mathématiques scolaires. La partie deux fonde donc la partie trois qui suit où il s’agit alors de penser une modélisation de l’usage de l’idée du vrai dans l’enseignement des mathématiques au collège.

Notes
177.

KERLAN A. citant Durkheim opus cit. p.152

178.

Ibidem p.152

179.

Idem p. 152.

180.

Ibidem p. 155.

181.

Ibidem p. 17.