De toute évidence, les mathématiques sont investies d’un pouvoir non négligeable par la médiation de l’enseignant. A la lecture des finalités de cette matière, comment l’enseignant des mathématiques ne peut-il pas penser qu’à lui seul il forme le futur homme de demain ?
Certes en retenant l’expression « l’enseignement des mathématiques peut apporter une contribution à...»
Mais l’on pourrait se demander à quoi les mathématiques ne forment-elles pas ?
Etant donné les textes, les mathématiques sont omniprésentes dans la vie de tout un chacun. Elles favorisent l’épanouissement psychologique de l’enfant et développent son caractère social. Les mathématiques jouent un rôle culturel et veillent à le former moralement et politiquement. Il transparaît l’idée que les mathématiques sont presque érigées en école de formation humaine.
L’image renvoyant les mathématiques vers la science qui aurait pour vocation de faire accéder aux vérités éternelles et immuables n’est pas vraiment visible. Au contraire même, car le texte stipule, « les mathématiques, école de rigueur, sont aussi une discipline qui apprend à se poser des questions. Et répondre ne pourra résulter de pétitions de principe ou d’arguments d’autorité, mais obligera à énoncer ses présupposés, à justifier les traitements entrepris et les résultats atteints ». De sorte que le rôle de l’enseignant se définit plutôt vers celui qui consiste à mettre en évidence que les propositions tenues pour vraies ne le sont que dans le cadre de « présupposés » indispensables à énoncer : le professeur de mathématiques n’est donc pas le dépositaire du vrai « éternel », mais bien celui qui doit oeuvrer de manière à faire émerger que le vrai ne peut être que local et contextualisé.
En conséquence, dans l’énoncé officiel des finalités, ce sont des « valeurs intellectuelles » qui sont en jeu de manière très apparente dans un premier temps. Dire que les mathématiques doivent concourir à la formation du citoyen, c’est insister sur leur rôle de formation au jugement, au « jugement lié à l’intelligence » (qui se rapporte à une valeur intellectuelle), puisque selon O. Reboul, « même quand j’affirme que deux et deux font quatre, je fais quelque chose, je juge, ou alors ma phrase n’est qu’un réflexe conditionné » 188 . Effectivement, afin de donner une réponse correcte à cette opération il y a (même si l’acte de juger, sans être conditionné est automatisé) des notions mathématiques (renvoi à la valeur de type intellectuel) sous-jacente (notion de système de numération décimal de position) qui permettent d’émettre le résultat et l’essentiel n’est pas dans le quatre, mais dans le comment on obtient le quatre car « le jugement désigne deux choses : un acte et la compétence à le produire ». 189
Mais les valeurs intellectuelles sont elles uniquement mises en jeu ?
Derrière le mot citoyen, il y a l’idée d’homme dans l’état, autrement dit, d’hommes confrontés à d’autres hommes donc il y a la dimension d’homme avec ses droits et ses devoirs et nous ne sommes plus dans le domaine de la logique (valeur de type intellectuelle) mais bien dans le champ de la morale : les mathématiques, comme discipline concourant à la formation « d’un jugement lié à la sagesse » cette fois ci, c’est-à-dire ce « jugement [qui] n’est pas la science ; alors qu’elle porte sur le nécessaire et exclut toute délibération, lui porte sur le contingent, sur ce qui a une certaine chance de se produire. C’est pourquoi il ne se ramène jamais à une règle arbitraire : le jugement est toujours le fait d’un homme concret; il est le propre non de la médecine mais du médecin ; non de la loi, mais du juge, quand précisément le juge ne peut se contenter d’appliquer une loi trop lacunaire; ou encore (jugement) s’occupe du bien de l’homme ici et maintenant». 190
En conséquence, nous observons que les directives officielles prônent parallèlement la formation des deux types de jugements, ce qui en terme de valeurs, met en évidence la présence conjointe de l’intellectuel et de la morale ce qui fait apparaître la dépendance entre le vrai logique et le bien moral de l’homme (que l’on perçoit à travers les finalités politique et morale, sociale, culturelle ci-dessus).
Reste un certain nombre de questions : la corrélation entre la logique et la morale tient elle ? De quelle(s) façon(s) dans les faits, c’est-à-dire dans son enseignement, le professeur de mathématiques peut-il la favoriser ? Est-ce illusoire d’aspirer à développer, à travers l’une (en général, la valeur du vrai logique) l’autre (une valeur morale le vrai bien)?
Ce questionnement n’est pas innocent puisqu’il apparaîtra en filigrane lors de nos perspectives didactiques ultérieures en méditant sur « l’éducateur peut enseigner des règles, mais abstraites et négatives ; s’il prétend programmer les actes il tombe dans le conditionnement. Ces remarques valent finalement pour toutes les valeurs de l’enseignement, depuis l’exploit sportif jusqu’au style et à l’argumentation. Elles laissent penser que les valeurs de l’éducation ne sont en rien des « objectifs » au sens technique du terme ; des conduites qu’on pourrait prévoir et évaluer, utiles peut être en tant que valeurs intermédiaires, mais destinées à disparaître. On ne peut programmer le goût esthétique, ni l’esprit critique , ni la conscience morale encore moins les évaluer comme on mesure un phénomène physique. Les valeurs auxquelles préparent l’éducation échappent à l’éducation dans la mesure même où elle atteint son but ». 191
REBOUL O. - Les valeurs de l’éducation - Edition P U F - 1992 - p. 173.
REBOUL O. ibidem . p . 173.
REBOUL O. opus cit. p. 175.
REBOUL O . Opus cit. p. 35.