3. Synthèse de l’étude critique relative aux programmes.

Tout au long de l’étude présentée nous avons évoqué l’idée du vrai sous deux aspects. Alternativement, « les vérités » auxquelles les enseignants étaient confrontées lorsqu’il s’agissait de la prise en compte, dans leur enseignement, des programmes officiels de mathématiques. Et les caractéristiques de l’idée du vrai qui étaient véhiculées au travers desdits programmes de mathématiques.

Nous avons décidé de cadrer cette synthèse critique en reprenant des critères d’analyse que nous nous sommes donnée depuis le début de cette étude (finalités ; méthode ; contenus). Puis, autour des programmes de 1995 à 2000 pour en faire ressortir les points d’achoppement en regard de l’enseignement de l’idée du vrai.

Du point de vue des finalités il demeure une vérité tenace, celle qui consiste à mettre l’accent sur l’importance que joue les mathématiques dans la formation humaine. A travers la logique, agir sur le cœur et sur le sens moral du futur homme qui germe en l’élève. Les mathématiques sont investies d’un pouvoir éducatif évident, mais ce qui pointe fort au niveau des programmes entre 1995 et 2000 c’est l’insistance à développer le versant « se poser des questions » associé à l’impératif que les réponses ne doivent pas  résulter de « pétitions de principes ou émaner d’un argument d’autorité ». Sans doute la dimension citoyenne prend-elle le pas sur la dimension plus morale. Cela retentit sur l’enseignement de l’idée du vrai puisque en filigrane l’on sent poindre la nécessité de faire apparaître que le vrai soit fondé. D’où les exhortations à énoncer les présupposés, à justifier les traitements entrepris et les résultats atteints.

Sur le plan des méthodes, l’entrée de la didactique est prégnante, car les allusions à la situation problème sont marquantes. Nous pensons que l’idée du vrai commence à se problématiser en se détachant de son caractère d’évidence ou de limpidité d’autant plus si l’on se réfère à la terminologie qui elle, fait apparaître que le vrai ne s’obtient pas de façon si naturelle que cela. En statistique par exemple, pour faire émerger le vrai il faut parfois se déjouer des pièges de certains indicateurs.

Mais qu’en est-il de l’enseignement de l’idée du vrai qui transparaît au travers des contenus ?

A travers les programmes de 1995 se dégage une tonalité. Prohiber la technicité pure dans les calculs ; éviter l’écueil de la mise en œuvre algorithmique dépourvue de sens, ôter toute idée d’entraînement à la virtuosité mécanique induisent qu’il faille se pencher encore une fois, vers la piste des fondements des règles. Ce qui interpelle à nouveau l’idée du vrai : le vrai commence à être dépourvu d’une sorte d’automatisation. On constate que l’idée du vrai est principalement véhiculée par l’initiation à la preuve qui devient une préoccupation pressante plus à partir de la classe de quatrième. L’idée du vrai est alors traitée à travers un objet idéal. Elle est en quelque sorte outillée. Là encore il y a un retentissement sur l’idée du vrai. Est entretenue la vision qu’elle découle de la preuve et qu’à partir de là il n’y a plus de question à se poser.

Et bien précisément, le débat n’est pas clos.

‘Sylvain 207  : ...j’ai regardé « Bouillon de culture » qui est passé vendredi dernier. C’était sur les chiffres et les nombres. Ça j’aime bien. J’ai trouvé qu’il représentait pas le stéréotype que je me fais de la personne qui aime les maths [ il s’agissait de G. Ifrah ]. C’est-à-dire, c’est une personne qui a une trajectoire tout droite et toute tracée, qui ne fera jamais de détours. Trajectoire sociale. Pour moi. Ça plus ça égale ça alors ça plus ça égale ça. ’ ‘P. T : Finalement cette rationalité.’ ‘Sylvain : Pour moi, c’est des oeillères. Tous les profs que j’ai eus dans le secondaire, j’avais vraiment l’impression, qu’ils avaient des oeillères et que...Parce qu’ils étaient trop logiques. C’était trop que ça égale ça et puis c’est comme ça. J’en fais un beau théorème et c’est tout. Et si je prends un contre exemple et bien non c’est pas bon. Ils refusent en bloc ce que je vais dire et...Par exemple, j’ai mon beau frère et bien lui, il est très mathématicien, très logique et j’ai souvent des discussions houleuses avec lui parce que c’est toujours la même chose : 1 et 1 c’est toujours 2 et ça ne sera jamais trois, ça sera jamais 6, ça sera jamais 12. Je veux bien que 1 et 1 ça fasse deux, mais dans la vie, c’est pas si simple. Il se réfugie derrière ça, cette idée de logique. Pour moi c’est très compliqué la logique. Ça leur sert de rempart, de bouclier.’ ‘P. T : Qu’est-ce qui vous gêne le plus. Est-ce que c’est ce discours sur la vérité...C’est le fait que ce soit valorisant...’ ‘Sylvain : Oui ça, ça m’embête [...] Que les gens se servent des mathématiques pour se valoriser et se mettre au-dessus des gens, ça je trouve ça aberrant. C’est pas parce qu’on fait des maths, qu’on a forcément la vérité, qu’on est forcément mieux que les littéraires. Qu’on a forcément un esprit plus logique, plus concis.’
Notes
207.

TRABAL P. - La violence de l’enseignement des mathématiques et des sciences - Edition l’Harmattan - 1997 - p. 160 et 161.