Troisième conséquence: le contrat didactique et le projet de dévolution.

D’après ce qui précède, on remarque que d’une part, il est possible d’enseigner des concepts mathématiques, et que d’autre part, la rencontre dans des situations dites cruciales est marquante grâce à l’induction forte entre situation et notion à acquérir sous

réserve d’une condition : à partir du moment où l’on favorise le projet de dévolution du savoir, car le postulat de la théorie des situations fondamentales est que le maître est un ordonnateur dans le projet de savoir. C’est lui qui a la possibilité de transmettre ce projet (via les situations cruciales) au moment où il le désire. Dans ce modèle, l’enseignant laisse - et encore seulement lorsqu’il en décide - à l’élève la charge d’apprendre: c’est l’acte de dévolution (en sachant par ailleurs que l’enseignant doit accepter les moments de contre-dévolution qui correspondent aux ruptures de contrat didactique de manière à « remettre sur orbite » l’élève, quand il le faut, pour prévenir la dissolution du projet de savoir). L’élève devient constructeur de ses connaissances.

Nous suivons Brousseau lorsqu’il déclare que « nous savons que le seul moyen de faire des mathématiques c’est de chercher et résoudre certains problèmes spécifiques et, à ce propos, de poser de nouvelles questions. Le maître doit effectuer non la communication d’une connaissance mais la dévolution du bon problème. Si cette dévolution s’opère, l’élève entre dans le jeu et s’il finit par gagner, l’apprentissage s’opère » 223 sachant que « le contrat didactique met le professeur devant une véritable injonction paradoxale : tout ce qu’il entreprend pour faire produire à l’élève les comportements qu’il attend tend à priver ce dernier des conditions nécessaires à la compréhension et à l’apprentissage de la notion visée. Si le maître dit ce qu’il sait il ne peut plus l’obtenir. Le savoir et le projet d’enseigner vont devoir s’avancer sous le masque. » 224

La référence au modèle constructiviste et interactionniste nous permet donc de souligner la différenciation que nous faisons entre enseigner et apprendre pour mettre en exergue les rôles respectifs de l’enseignant, de l’élève et du savoir.

Elle clarifie également la distinction que nous accordons entre savoirs et connaissances. Elle positionne notre point de vue vis à vis de l’apprentissage et du développement. Elle fait ressortir notre attachement à la théorie des situations fondamentales, ainsi qu’aux implications qui en découlent à savoir : la prise en compte de la notion d’obstacle dans l’organisation des situations d’apprentissage et la tension qui existe entre le projet de dévolution / contre dévolution et le contrat didactique.

En d’autres termes, elle insiste sur le non primat d’un des pôles du triangle didactique. Le savoir, l’apprenant et l’enseignant jouent respectivement et conjointement les rôles principaux dans l’aventure de l’appropriation des savoirs.

En outre, il apparaît également que le paradoxe des Sophistes que l’on peut résumer par « on ne peut apprendre » trouve en effet une réponse car si  « l’on ne sait pas » la situation cruciale permettra de se rendre compte qu’il faut mobiliser un savoir pour dépasser le « je ne sais pas » et dès lors il y aura une raison pour savoir ; et si « l’on sait » la notion d’obstacle viendra pour interroger la qualité de ladite connaissance et l’inciter à dépasser une connaissance ancienne qui ne serait plus tout à fait capable de résoudre un problème donc on n’apprendra pas « déjà ce que l’on sait ».

Enfin, la référence à ce modèle associé à ses trois conséquences établissent une position claire quant à la manière d’apprendre : « la réalité ontologique ne se copie pas ! Les connaissances du sujet qui apprend ne sont pas comme un album de photo, une série de clichés, copies conformes du monde extérieur. C’est impossible. Le sujet qui apprend ne photographie pas le monde, il le reconstruit sans cesse en se construisant lui-même . Dans cette perspective, le savoir n’est pas transmissible passivement, il est construit par le sujet qui apprend. Ce postulat constructiviste a une incidence très importante sur nos réflexions à propos de l’enseignement et de l’apprentissage. Les premiers savoirs auxquels l’élève est confronté sont d’abord ses propres connaissances ». 225

Notes
223.

BROUSSEAU G. - Recherches en didactique des mathématiques - Volume 7 / 2 . Edition La pensée sauvage . Grenoble. 1986 . p. 52

224.

BROUSSEAU G. Ibidem p. 201

225.

JONNAERT P. VAN DER BORGHT C. - Créer des conditions d’apprentissage Un cadre socio - constructiviste pour une formation didactique des enseignants - Edition De Boeck . 1999. p. 23