La notion de savoir et de rapport au savoir.

Notre ligne d’horizon se profile de plus en plus clairement: par l’intermédiaire de l’enseignement de l’idée du vrai dans le cadre des cours de mathématiques nous visons à établir une congruence entre « faire des mathématiques» et éviter toute prosternation devant l’idée du vrai. Il s’agit donc bien de réfléchir au sens que cela peut représenter de travailler l’idée du vrai comme objet de savoir (et non plus seulement en tant que savoir outil via l’exercice de rédaction de preuve).

En somme, éclaircir les enjeux liés au rapport à ces savoirs, de manière à faire émerger qu’une finalité de cette orientation didactico-pédagogique est, qu’à travers le rapport à l’idée du vrai le rapport aux mathématiques peut certainement évoluer, tant du côté de l’enseignant que de celui de l’élève, puisque « le choix d’une discipline scolaire et encore mieux le choix d’enseigner cette discipline reposent sur des mécanismes complexes qui engagent des équilibres entiers de personnalité. En effet, notre expérience commune nous a appris que lorsqu’un sujet arrive à prendre conscience de ce qui l’a motivé au cours de son trajet et à comprendre un peu mieux les mécanismes sous-jacents de son choix, cela l’amène à une modification de son rapport au savoir. Et nous avons pu constater que cette modification va dans le sens d’un assouplissement et que, en conséquence, cette fluidité retrouvé lui permet de donner plus de souplesse dans la transmission de ce savoir » 236 .

Ainsi donc, pour mieux cerner le sens et le rôle que nous attribuons à la notion de savoir en mathématiques (au sujet de l’idée du vrai) insistons nous à réduire son aspect particulièrement procédurier, technisciste et mécaniste encore souvent prépondérant en collège. D’autant plus, si nous sommes à l’écoute des propos de E. Bautier qui livre que, « en premier lieu, au lycée, plus qu’au collège, la construction des savoirs est indissociable de la nature des tâches scolaires, des formés dans lesquels les savoirs et les activités scolaires sont présentés et évalués ; la philosophie n’existe pas sans le débat et la dissertation [...] ni les mathématiques sans les problèmes...On ne peut ignorer que passe par ces formes le partage d’une culture au double sens des connaissances et de construction d’un mode de pensée, mais aussi que s’y construit en particulier dans le travail de commentaire, de lecture critique, d’analyse un processus de transformation de soi et de son regard sur le monde, processus que les élèves ressentent d’ailleurs comme un processus d’acculturation quand ils investissent les activités scolaires. Cette transformation, cette acculturation, ne se produisent qu’à certaines conditions que l’apprentissage de ces formes scolaires normées et de leurs productions s’accompagne d’un réel travail des savoirs disciplinaires et de leur mise en forme langagière et ne se réduise pas à une simple « mise en conformité » à des comportements ou à des rituels » 237 .

Autrement dit, pour ce qui nous concerne, nous postulons que l’enseignement de l’idée du vrai ne se réduit pas à axer un travail autour de la preuve uniquement dans le seul objectif d’enseigner à prouver, mais qu’il constitue un tremplin pour penser le dire vrai ou faux en mathématiques de telle manière qu’il fasse sens autrement chez l’élève.

Le statut que nous réservons à ce savoir tend à dépasser le simple enseignement du dire vrai pour développer une culture autour du vrai en mathématiques. De manière récurrente apparaît toute la dialectique à propos du « savoir-objet et du savoir-outil » afin que, dans l’enseignement, les savoirs subissent les deux traitements.

Mais, en ce qui concerne l’idée du vrai, ce savoir là n’existe pas en tant qu’objet, mais seulement en tant qu’outil. L’élève est mis en situation (au mieux) d’apprendre à prouver comme si implicitement sa représentation de l’idée du vrai coïncidait a priori, avec celle communément admise dans la noosphère. Au pire, l’élève est entraîné à reproduire un discours censé incarné l’idée du vrai. Dans les deux cas, c’est comme si l’idée du vrai se réduisait à la performance à prouver, c’est-à-dire à se conformer à un type d’argumentation qui aurait le statut de preuve. Nous le redisons, l’exercice de preuve est plutôt de l’ordre du rituel et cet acte là, est seulement au service d’une communication, mais n’est pas suffisant pour garantir la construction d’une pensée sur le vrai en résonance avec des questions que peuvent se poser les élèves.

A cet égard, l’exploitation dans l’enseignement des travaux de N. Balacheff est déjà un support porteur dans l’élaboration d’une pensée sur le vrai mais qu’il s’agit d’élargir, pour que l’élève entretienne un rapport avec l’idée du vrai qui puisse se décliner sous « deux registres non exclusifs l’un de l’autre : le registre identitaire et le registre épistémique, lesquels sont présents chez chaque élève sous des formes diverses, différenciées et différenciatrices. Le rapport identitaire correspond à la façon dont le savoir prend sens par référence à des modèles, à des attentes, à des repères identificatoires, à la vie que l’on veut mener, au métier que l’on veut faire. La relation de sens entre l’individu et le savoir s’enracine dans l’histoire en devenir du sujet, et ce pour une large part à l’insu

de celui-ci. Le rapport épistémique se définit, lui, en référence à la nature de l’activité que le sujet met sous les termes apprendre et savoir : apprendre, c’est faire quoi ? Quel type d’activité est ici impliqué ? Le rapport épistémique est cette relation à la nature de l’acte d’apprendre et au fait de savoir ». 238

Enseigner l’idée du vrai c’est avant tout penser ces deux rapports. C’est être conscient de l’incidence que peut avoir la dualisation des lieux du vrai sur la pensée de l’idée du vrai chez l’élève : la rationalité en mathématiques rejoint-elle la rationalité du quotidien ? Qu’en est-il aussi de la nature même de ce savoir mathématique ? L’idée du vrai n’aurait-elle pas une incidence sur le rapport aux mathématiques ?

Une allusion aux propos de D. Guedj nous permettra de faire une analogie avec le savoir concernant l’idée du vrai. En effet, « comme tous les élèves du monde, Jonathan avait croisé Thalès à plusieurs reprises. Chaque fois, le professeur leur avait parlé du théorème, jamais de l’homme. D’ailleurs en cours de maths, on ne parlait jamais de personne. De temps en temps, un nom tombait, Thalès, Pythagore, Pascal, Descartes, mais c’était seulement un nom. Comme celui d’un fromage ou d’une station de métro. On ne parlait pas non plus de où ni quand ça s’était fait. Les formules les démonstrations, les théorèmes atterrissaient sur le tableau. Comme si personne ne les avait crées, comme s’ils avaient été là tout le temps, comme les montagnes ou les fleuves. Encore que les montagnes, elles, n’avaient pas été là de tous temps. Et l’on arrivait à ceci que les théorèmes avaient l’air plus intemporels que les montagnes ou les fleuves ! Les maths, ce n’était ni l’histoire, ni la géographie, ni la géologie. C’était quoi au juste ? La question n’intéressait pas grand monde ». 239 Ce que pointe (entre autres) l’auteur de ces lignes n’échappe à personne : l’enseignement des mathématiques apparaît complètement désincarné, atemporel, et vide de toute préoccupation visant à introduire la genèse des savoirs par exemple. Pour ce qui concerne l’idée du vrai, nous ferions volontiers un parallèle. Nous avons précédemment déploré le fait que dans l’enseignement, l’idée du vrai n’était abordée que du point de vue du savoir outil par l’intermédiaire de l’exercice rituel de la preuve. Nous tenons à mettre l’accent sur le fait qui consiste à présenter l’idée du vrai en introduisant soit implicitement soit dogmatiquement les principes de rationalité comme un écho à «les formules les démonstrations, les théorèmes atterrissaient sur le tableau ».Ces principes à l’allure plus intemporels que les montagnes ou les fleuves qui se résument classiquement à la toute puissance du tiers exclu associé au principe de non contradiction en osmose avec la condamnation du raisonnement par induction, résonnent aux oreilles de tout collégien et très tôt.

Mais qu’en est-il de l’impact sur la raison et sur le « moi » du collégien ? Introduire un peu de géologie concernant ces principes de rationalité serait certainement bénéfique pour la qualité des savoirs mathématiques ainsi que sur l’évolution de la vision du monde que l’élève pourrait alors engager. Dans la mesure où l’élève aurait la possibilité de remettre en cause la vision de l’idée du vrai véhiculée ordinairement.

Notes
236.

BLANCHARD - LAVILLE C. et SCHEIR D. Sous la direction de J Beillerot - Pour une clinique du rapport au savoir - Edition l’Harmattan - 1996. p. 241

237.

BAUTIER E. et ROCHEX J.Y. - L’expérience scolaire des nouveaux lycéens - Démocratisation ou massification. Paris VIII . Edition Armand Colin. 1998. p. 53 et 54.

238.

BAUTIER E. et ROCHEX J.Y. opus cit. p. 34 et 35.

239.

GUEDJ D. - Le théorème du Perroquet - Edition du Seuil . 1998. p.27.