Au sujet de la finalisation des apprentissages en mathématiques (en l’occurrence : l’idée du vrai) et du passage à la personne apprenante.

Notre insistance à prôner que l’idée du vrai doive conjointement être considérée comme un savoir outil et un savoir objet situe l’enseignement au cœur de la problématique du sens, à double titre. D’une part pour préserver le sens du contenu mathématique et d’autre part pour privilégier le sens pour celui qui apprend.

Nous nous autorisons à défendre le point de vue que l’idée du vrai doit être « une matière à pensée » 243 agissant comme un principe organisateur de la pensée de l’élève. Enseigner l’idée du vrai devient dès lors, objet d’enseignement (pour l’enseignant), générateur de connaissances (chez l’élève). L’idée du vrai, comme objet d’enseignement, implique de ne plus réduire l’idée du vrai à l’exercice de la preuve mais à comprendre les fondements sur lesquels reposent cet exercice de preuve.

Nous revenons évidemment sur le rôle et le statut des prémisses et la nécessité de les interroger du point de vue épistémologique voire anthropologique.

La conséquence dans l’enseignement pourrait marquer le fait qu’il ne suffit plus de s’inscrire dans une perspective de construction de la preuve. L’orientation est du côté du dépassement du caractère dogmatique associé aux principes de rationalité, caractère qui subsiste même dans une perspective socio- constructiviste. Car il ne suffit pas d’avoir fait découvrir (au mieux) les principes de rationalité pour assurer une pensée sur le vrai. Si l’on vise une auto appropriation de l’idée du vrai il nous faut être conscient des systèmes de valeurs qui pilotent les choix des élèves car comme le souligne C. Gérard « pour beaucoup d’élèves et notamment pour ceux qui sont en quête de sens le caractère utilitaire des mathématiques et les démarches de formation contribuent à ce que la personne pilote ses apprentissages. En effet, c’est par de tels chemins qu’une personne finalise ses savoirs mathématiques, développe des stratégies de conceptualisation et élève l’objet mathématique au niveau de ses valeurs personnelles ». 244

L’idée du vrai comme « matière à pensée » favoriserait donc le passage de savoir élaboré a priori de l’extérieur vers la recherche de compréhension originelle des principes fondateurs du vrai en mathématiques. En cela elle établirait une résonance sur ce que Varéla appelle l’auto référence de la personne (son univers sensible, dit rapidement) creuset de l’émergence du sens et interroge « la constitution même du Je épistémique, donc les rapports avec le Moi empirique (avec un sujet porteur d’expériences que, inévitablement, il a déjà entrepris d’interpréter). 245

Dès lors, nous ne manquons pas de faire référence à la notion de situation problème qui « constitue le point de départ d’une réflexion profonde sur les expériences et l’apprentissage des procédures mises en œuvre » 246 pour introduire une nuance.

Cet outil didactique se révèle comme étant un facteur d’optimisation de sens et d’activité chez l’apprenant, certes, mais il n’en est pas moins vrai que la situation problème a ses limites, comme le fait ressortir M. Fabre en montrant « les ambiguïtés théoriques et pratiques de cette forme pédagogique tiraillée entre deux épistémologies concurrentes : celle de la résolution de problème et celle de la problématisation » 247 . En effet, même dans la situation problème accompagnée de son acte de dévolution, c’est l’enseignant qui pose le problème et l’acte de problématisation n’est plus à faire, ce qui pour le coup interroge directement l’enseignement de l’idée du vrai. Qu’advient-il du souci de faire problématiser les élèves quand ils ne sont qu’assujettis à résoudre des problèmes pré fabriqués et prêts à prouver ?

Questionner le rôle et le statut des prémisses, en regard des principes de rationalité et de l’exercice de la preuve marquent ce souci de s’emparer de la question du vrai pour faire problématiser les élèves afin de dépasser le seul aspect de résolution. Les connaissances qui émergeraient de ce questionnement serait l’oeuvre de l’élève en vue de l’élaboration d’une pensée réflexive sur le vrai en mathématiques qui ne manquerait pas dès lors, d’interpeller la vision des mathématiques elles-mêmes. En ce sens l’interpellation de l’auto référence de l’élève pourrait être effective puisque l’enseignant ouvrirait un espace dans lequel l’élève exercerait sa pensée, autrement que d’un point de vue purement opératoire d’application de principes ou de processus mécanisés. Ouverture d’un espace, pour faire place au statut de personne apprenante .

Le paradigme behavioriste associé au développement d’une pensée heuristico- algorithmique s’oppose, à notre sens, à une telle perspective. Il renforce même l’idée que les « mathématiques apparaissent achevées, présentées sous une forme définitive. Elles sont ainsi purement déductives et ne comportent que des preuves » 248 . L’idée du vrai véhiculée par un tel paradigme s’apparente étroitement au développement d’une pensée qui se préoccupe essentiellement du caractère outil du vrai via une centration sur la notion de preuve et n’accorde que peu d’égard à l’auto référence de l’élève .

Le paradigme socio-constructiviste dont nous nous réclamons ne saurait se suffire, non plus à lui-même si l’idée du vrai s’associe uniquement au souci de la construction de la preuve. Le développement d’une pensée sur le vrai en mathématiques réclame que l’on s’interroge sur le contenu des supports propres à l’apprentissage. Le pari que nous engageons est que, de l’association d’un paradigme d’apprentissage qui place l’élève au centre des apprentissages, et d’une étude pensée sur l’objet d’enseignement (l’idée du vrai) facilite la reconnaissance de la personne apprenante. Se pencher sur les objets d’enseignement c’est attirer son attention sur le fait que « la résolution fait primer « l’objet mathématique » et la problématisation « le sens pour la personne »  qui apprend » 249 .

Dit autrement, les principes de rationalité, la preuve, la notion d’hypothèse doivent se prêter à la problématisation en regard de l’idée du vrai et ne pas se comporter uniquement comme des arguments d’autorité si la problématique du sens est au cœur de la pratique enseignante.

Notes
243.

Allusion au titre de l’ouvrage de A. Connes et J. P. Changeux

244.

GERARD C. opus cit. p.21

245.

CHARLOT B. - Les Jeunes et le Savoir - Perspectives internationales. Edition Economica. Collection Anthropos. 2001. p.9

246.

BOUVIER A. - La mystification mathématique - Edition Hermann . 1981. p.137 et 138

247.

FABRE M. - De la résolution de problème à la problématisation - in Didactique IV . 1993. cité par GERARD C. opus cit . p.162

248.

POLYA G. Comment poser et résoudre un problème ? Edition Dunod .1957. cité par GERARD opus cit . p.162

249.

GERARD C. opus cit p 159