Principe d’action 2 (en lien avec le deuxième axe)

Il nous semble pertinent de travailler avec les élèves l’idée que la validité d’une démarche n’engage pas, a priori, l’accès à l’idée du vrai .

Recommandation 2 

Pour cela une piste serait de développer la notion de contexte chez les élèves pour démythifier le vrai en soi, au profit du vrai local, ce qui serait un levier d’action pour intervenir sur le rapport aux mathématiques en lien avec le rapport au monde. Dans cette alternative, il s’agirait de faire réfléchir sur le sens que revêt l’expression « une hypothèse est vraie ».

Plutôt que d’entraîner à raisonner sous l’angle de la dextérité systématique consistant à reproduire un discours conforme (aux représentations des enseignants), favoriser la prise de distance envers la puissance de la raison pour faire découvrir l’incidence du choix des prémisses dans l’exercice de la pensée mathématique. Que signifie partir d’une hypothèse validée ?

Il semble, d’après nos observations, que les élèves parviennent à mettre en place, assez spontanément, des critères pour vérifier la validité des démarches et qu’à partir de là, ils l’amalgament avec l’idée du vrai. Ils vérifient la validité de la démarche et concluent sur la vérité du résultat sans avoir interrogé « le vrai » des prémisses. La nécessité de dissocier les deux notions nous paraît fondamentale.

D’une part, pour prolonger le travail sur l’existence des prémisses assumées (on peut affirmer que le résultat est vrai en regard de quoi ?) et d’autre part, pour clarifier et mettre en évidence le rôle du contexte qui lui-même est constitué d’un ensemble de prémisses dont il faut faire le choix ou exhiber explicitement (réintroduction de l’humain par une ou des prise(s) de décision).

Nos propos établissent donc une nouvelle tonalité par rapport aux instructions officielles. Ces dernières préconisent essentiellement un travail autour de la preuve, dans l’esprit de développer chez les élèves, que l’accès au vrai en mathématiques introduit une rupture avec la simple conviction et qu’il faut, pour atteindre le vrai, un outil puissant (qui semble nier toute touche humaine pour les élèves). Nous ne minimisons pas cet aspect, mais le risque est qu’en « l’absence d’un traitement didactique « officiel », l’art de la démonstration [soit l’accès au vrai], tend à se présenter, surtout chez les jeunes élèves, comme une série de normes, de règles non négociables où les nécessités didactiques se confondent avec les nécessités logiques ». 258

Si ce travail sur la preuve est bien entendu incontournable, il n’est encore pas suffisant, quelque peu par trop idéalisé donc trompeur et de surcroît dangereux (trop lié au renforcement de la pensée magique). Il occulte totalement la dimension du sens du vrai en mathématiques, en faisant de la forme un primat car « l’élève ne peut pas considérer la

démonstration en partant de la conclusion parce que l’instrument dont il a besoin pour cela, son raisonnement (sa logique de constructeur), est lui même isomorphe à l’objet, et donc ne peut donc opérer que dans l’ordre standard ». 259

En effet, toujours développer l’entraînement au raisonnement (déductif qui plus est) en collant systématiquement aux lois et règles du système formel des mathématiques sans se poser de questions, éloigne précisément de l’idée du vrai, dans la mesure où l’on ne fait ni ressortir les limites dudit système, ni explicitement référence au rôle et à la nature des a priori de départ qui sont à l’origine de la mise en œuvre du raisonnement. De plus, ce travail systématique entretient aussi l’illusion qu’en mathématiques, l’on puisse toujours trancher dans la mesure où l’on dispose d’un outil suprême en la démonstration.

Il nous semble important dès lors, d’introduire un peu de modération dans ce domaine en mettant en évidence le « ce sur quoi s’ancre » toute démarche de preuve par l’intermédiaire d’un travail sur le contexte qui fait émerger la corrélation étroite entre les prémisses de départ et le pouvoir de décision.

Ce que nous cherchons à éveiller sur le plan didactique c’est la relégation de l’implicite au profit de l’explicite au sujet du rôle et de la nature des prémisses assumées, étant donné un référent donné et un contexte donné. Il s’agit d’éveiller à la nécessité de prendre conscience qu’une fois ces prémisses posées elles doivent être validées (au sens de admises pour vraies). Ainsi donc, pensons-nous ouvrir une voie pour faire comprendre qu’à un moment donné, il n’est pas possible (même) en mathématiques de prouver le vrai par le raisonnement : tremplin vers la notion du vrai ultime comme une chimère.

Arrivée à ce point, nous mettons l’accent sur la nécessité de faire émerger chez les élèves une réflexion qui oriente vers l’importance du choix des prémisses avant toute démarche d’accès au vrai (ou au faux). Si l’exercice systématique de l’entraînement à la recherche de preuve n’est pas à sous-estimer, il faut cependant lui associer un objectif qui serait en quelque sorte davantage méthodologique, pour faire ressortir, qu’avant de mettre en œuvre des critères aussi pertinents puissent-ils être pour prouver, il faut d’abord questionner leur cadre d’application.

Il s’agit alors d’entretenir un questionnement autour du choix des prémisses qui sont nécessaires pour construire un contexte dans lequel pourra s’entendre l’idée du vrai. Quelles prémisses permettent de mettre en oeuvre une heuristique ? Quelle est l’incidence du changement des prémisses en regard de la décision du vrai ou du faux ? Comment être sûr que la prémisse est admise pour vraie ? A quoi servent les principes de rationalité ? Quel rôle jouent ces principes de rationalité ?

C’est donc promouvoir une vision résolument contextualisée de l’idée du vrai, au lieu d’entretenir l’illusion que tout raisonnement vient à bout de toute question qui suscite le doute, sous prétexte qu’il se situe dans le champ mathématique.

Cela invite alors à travailler en amont de l’idée de raisonnement pour faire ressortir l’importance des objets par rapport auxquels il s’applique.

Il nous semble opportun dès lors d’engendrer une réflexion sur la différenciation de nature des prémisses. Les prémisses qui ne sont pas à remettre en cause car appartenant au système formel donc au référent mathématique (principes de rationalité ; postulats et axiomes). Et les prémisses dépendantes du contexte et qui en découlent (données ; propriétés ou théorèmes à mobiliser localement).

Notes
258.

BROUSSEAU G . ANTIBI A.- La dé-transposition de connaissances scolaires in Recherches en didactique des mathématiques - volume 20/1. 2000. p. 11

259.

Ibidem p. 28.