Progression annuelle et enseignement de l’idée du vrai.

L’idée essentielle est d’établir une rupture d’avec la progression traditionnelle et fort prégnante en mathématiques qui consiste à enchaîner linéairement les chapitres, les uns après les autres, de manière à ce que cette construction d’une pensée sur le vrai puisse s’enraciner dans la manière même de présenter les savoirs mathématiques.

La progression n’est pas linéaire mais essaie de mettre en réseau un certain nombre de concepts par le biais d’activités et de situations problèmes élaborées en fonction des obstacles et questionnements qui apparaissent ponctuellement chez les élèves : c’est ainsi que ces thèmes s’articulent.

Ce type de progression penche du côté de la progression dite spiralée qui a pour caractéristique de ne pas boucler une notion en un temps t, mais de l’approfondir au fur et à mesure de l’année scolaire.

La référence aux fondamentaux (qui apparaît dans ces progressions) mérite d’être explicitée. Ils sont directement en lien avec le questionnement de l’enseignant : au-delà des contenus que convient-il de développer chez l’élève ?

Pur éclairer ce que nous entendons par fondamentaux, (dont nous avons fait précédemment allusion) nous stipulons que c’est « un réseau de notions basiques sur lesquelles se construisent les autres notions et sur lesquelles se construisent les savoirs mathématiques » . 268

Cette proposition s’inscrit directement dans le champ didactico-pédagogique. Elle est donc empreinte de pragmatisme, même si elle repose sur un postulat qui a du mal à s’ancrer dans les pratiques : l’acceptation de concevoir la relation d’enseignement apprentissage sous l’angle de l’inachevé et de l’incertitude.

L’introduction des fondamentaux dans l’enseignement sert de base pour construire des situations d’apprentissage de manière à ce qu’elles agissent sur les

représentations des élèves mais sans préjuger de leurs effets immédiats. Souvenons-nous des propos de M. Serres 269 quand il décrit « qu’aucun apprentissage n’évite le voyage » et « qu’apprendre lance l’errance ».

Les fondamentaux font donc un pari sur le long terme (le collège) et sur l’idée de l’évolution des représentations autrement qu’à travers l’enseignement strict des contenus, eux-mêmes orchestrés par les programmes officiels.

Ainsi donc, l’enseignant pourra t- il produire à ses élèves des activités qui les feront non plus travailler sur des micro-objectifs mais autour de niches conceptuelles de façon à favoriser la tension entre les concepts, de manière à tisser des réseaux conceptuels. Illustrons par un exemple : on favorisera un travail en réseau sur équation - fonction - formule pour faire émerger les différences de statut entre inconnue, variable et indéterminée. Cette perspective ne semble pas anodine puisque dans les commentaires des nouveaux programmes de troisième on peut lire que les équations de droites ont été supprimées précisément à cause des difficultés qu’ont les élèves à maîtriser ces différences de statut évoquées. Dans l’état actuel des programmes l’on peut donc faire le constat que la difficulté n’est pas traitée mais reléguée en classe de seconde. Aussi paraît-il intéressant et prioritaire d’outiller conceptuellement le collégien sur ce « sujet » pour qu’une approche ultérieure (des équations de droites dans l’exemple) puisse se construire sur un terrain favorable.

L’optique des fondamentaux peut alors avoir une incidence sur la progression et la gestion de la classe, mais une telle proposition se conduit dans la durée et à travers différentes activités visant les niches conceptuelles. Il serait illusoire de penser qu’une activité suffirait à atteindre les enjeux d’apprentissage. Mais, en revanche, la proposition s’intègre facilement dans le travail qu’entend mettre sur place l’enseignant, d’autant plus qu’elle ne relève d’aucune contrainte d’ordre chronologique : la liberté du professeur est alors sauvegardée.

Une mise en garde s’impose : cette proposition n’est ni un modèle théorique ni une méthode d’enseignement. Elle tend à permettre d’assurer et d’optimiser une vigilance notionnelle forte et s’inspire des travaux menés en didactique des mathématiques.

Elle favorise un autre regard sur les savoirs mathématiques à enseigner et incite l’enseignant à identifier des zones cruciales d’apprentissage : les fondamentaux sont une modélisation pour penser l’action. Ce n’est pas un mode d’emploi prêt à appliquer. La proposition laisse à l’enseignant toute la latitude pour imaginer, créer, et réfléchir tout en assurant des points de repère qui nourrissent et interpellent ces pratiques.

Les fondamentaux orientent certainement aussi vers un autre positionnement de l’enseignement des mathématiques en instaurant un cadre, qui prend en compte et dépasse les strictes exigences officielles. Ils sont là pour guider l’action au moment des préparations des séquences et sont autant de jalons pour élaborer une progression annuelle.

A l’heure où comme le prône le document d’accompagnement des nouveaux programmes de troisième «il est essentiel que les connaissances prennent du sens par rapport aux questions que l’élève se pose» et où « une bonne articulation entre le collège et la seconde constitue un enjeu capital » les fondamentaux ouvrent une voie qui peut participer à ce que les intentions qui précèdent puissent trouver un retentissement sur le terrain.

Nous renvoyons le lecteur en Annexe 6, s’il le désire pour prendre connaissance de la présentation des fondamentaux sous forme de schéma.

Le détour par les fondamentaux entretient une proximité avec l’enseignement de l’idée du vrai dans la mesure où ils définissent mieux notre contexte didactico-pédagogique dans lequel se conçoit notre proposition de l’entrée de l’enseignement du vrai, autrement qu’à travers un travail essentiellement axé sur la dextérité à prouver.

Notes
268.

Elaboration par le Groupe de recherche de mathématiques du CEPEC . (1993 - 1998) .

269.

SERRES M. - Le Tiers Instruit - Edition F. Bourin Gallimard. 1991 . p.28