Illustration de la composante théorique (développer une pensée sur l’idée du vrai) par des situations didactiques.

Le lecteur aura remarqué que même dans l’illustration de situations didactiques qui se

réfèrent à la composante pratique de l’enseignement de l’idée du vrai, il y a des pôles qui ne réclament pas forcément l’entrée de la situation problème : ce sera également ce qui caractérise les situations didactiques se rapportant à la composante théorique de l’enseignement de l’idée du vrai.

Nous estimons que, si la situation problème s’avère un outil didactique très riche pour la mise en œuvre, la maîtrise et la remédiation conceptuelle au sein de l’enseignement des mathématiques et si son recours, favorise sans conteste, le développement d’attitudes et de postures de recherche chez l’élève, il n’en demeure pas moins qu’elle a ses limites face à des objectifs d’enseignement qui ne se réclament pas exclusivement de la didactique des mathématiques.

Et notre objet, l’idée du vrai est de ceux là.

Car, si une situation problème s’organise autour d’un problème fondamental, notre problème c’est que « loin de se réduire à un techniscisme sans égard pour les sujets une didactique qui prendrait au sérieux la question du sens dans la totalité de ses dimensions permettrait précisément de doter l’enseignant d’outils de compréhension et de régulation d’un processus de formation où la quête de savoir serait en même temps quête d’existence » 295 .

Le mot est lâché :existence. Rappel lancinant de la visée anthropologique de la modélisation de l’enseignement de l’idée du vrai selon notre thèse.

Certes ,cette dimension là n’a pas forcément une réalité tangible dans les milieux de la didactique des mathématiques dont la préoccupation s’axe foncièrement sur

le sujet épistémique. Cette perspective didactique porte néanmoins l’esquisse de la « dimension humaine » puisque le fait même d’adjoindre épistémé à élève implique que l’on ait des égards pour la raison de celui-ci, mais qu’en est-il de la prise en compte de ses états d’âme existentiels et de son questionnement ontologique ? En cela la didactique des mathématiques se trompe quand elle prétend pouvoir dissocier le sujet raison et le sujet empirique. 296

D’aucuns nous reprocheront notre ton polémique, mais il marque notre insistance à développer une pensée sur l’idée du vrai conjointement au développement de la dextérité à prouver .

Dans la nouvelle modélisation que nous avons livrée, nous nous sommes emparée de la notion de personne apprenante qui pointe bien les deux facettes de l’élève. Les situations didactiques faisant appel aux situations problèmes se tournent vers la dimension apprenante de l’élève. Les situations que nous proposons de mettre en place vont du côté de la personne pensante porteuse d’expériences : deuxième facette de l’élève. L’objectif de cet enseignement réside dans la volonté de faire comprendre que les mathématiques servent à autre chose qu’à entretenir une espèce de terrorisme intellectuel via le rôle de sélection quasi darwinienne qu’on lui fait jouer. A autre chose que de développer des attitudes de soumission.

Donc, ce que nous entendons défendre comme position, c’est que si l’enseignant souhaite développer une pensée sur l’idée du vrai, alors il peut avoir recours à des situations qui ne s’intègrent pas totalement dans le cadre conceptuel de la didactique des mathématiques bien qu’elles ne s’en éloignent pas non plus tant que cela. Car enfin, du point de vue de leur conception elles relèvent de la mise en œuvre des concepts de représentations et d’obstacle. Du point de vue de leur mise en place, elles s’emparent de la notion du débat mathématique. Elles représentent des situations cruciales. En somme, elles s’en écartent du point de vue de leur nature : ce ne sont pas des situations problèmes au sens strict. Cependant, elles appartiennent toujours au cadre théorique du constructivisme piagétien et bachelardien.

Si nous délaissons parfois la situation problème (dans cette composante), c’est parce que nous avons aussi intégré dans la modélisation de notre thèse la visée épistémologique qui ne semble pas avoir fait son entrée dans les pratiques, du moins, d’un point de vue formalisé. Or, développer une pensée sur l’idée du vrai ne peut se concevoir sans cette dimension, et c’est pourquoi les situations qui sont présentées ont pour objectif d’alimenter une réflexion sur l’évolution de l’idée du vrai au sein des mathématiques. De susciter et d’éclairer ce qui est relatif aux modes d’accès que se donnent les mathématiques pour traiter la question du vrai et d’approfondir la question des soubassements de cette idée du vrai. Ces situations seront sans cesse mises en réseau et ne résulteront pas d’une quelconque application linéaire. Pour que les élèves puissent franchir le pas de l’assertorique, où ils ont à observer une simple constatation de faits, à l’apodictique où ils auront à établir des relations nécessaires pour mettre en tension la dialectique être scientifique, et apprendre la science.

Ces situations qui ne se réfèrent plus spécifiquement à la notion de situation problème, trouvent également leur inspiration du point de vue de leur forme en référence à la pensée de Bruner au sujet de la construction de la science par les récits car il souligne que « ce que je propose en revanche, c’est que l’éducation que nous donnons dans ce domaine soit de bout à bout consciente du processus vivant de construction de la science, plutôt que de se contenter de rendre compte de la « science achevée » telle qu’elle est représentée dans les manuels, dans les livres, ainsi que dans les « expériences » canoniques, d’un ennui souvent mortel . L’art de poser des questions provocatrices est aussi au moins important que celui qui consiste à donner des réponses claires. Les bonnes questions sont celles qui nous mettent devant un dilemme, qui subvertissent les « vérités » évidentes et canoniques, qui jettent le doute dans notre esprit ». 297

Ces propos renforcent le renversement paradigmatique vers lequel les situations envisagées tendent (en se défendant d’accorder le primat à l’entraînement à la preuve) et accentuent quelque peu leur éloignement d’avec la situation problème (au sens strict) dans la mesure où « la situation - problème est généralement focalisée sur la résolution. Mais n’est - ce - pas l’activité de problématisation, dans toutes ses phases - et en particulier la construction même du problème - qui seule peut lui conférer son véritable sens ? ». 298

Ces situations concrétisent la jolie formule de M. Develay qui considère que l’enseignant « est le magister constructeur de situations, non pour le plaisir de l’action ou la croyance en la valeur du jeu, mais parce qu’il a compris que trouver du sens dans ce qu’ils vivent à l’école est la condition pour que les élèves apprennent ». 299 Elles prennent en compte le point de vue qui affirme « [...] on considère que la personne construit son identité (ses valeurs, ses connaissances, ses savoirs) via son autoréférence à partir des interactions qu’elle exerce avec son environnement et du sens qu’elle lui donne ». 300 Leur visée réside dans la volonté de faire appréhender l’idée du vrai de part sa caractéristique principale en mathématiques tel que l’illustre ces propos : « la somme des angles d’un triangle est égale à 180 degrés », cette phrase, qu’il se souvenait avoir toujours entendu proclamer comme une vérité absolue, indépendante de tout contexte, n’était qu’une vérité sous condition. Elle concernait certes tous les triangles du monde, mais tous les triangles PLANS du monde. L’adjectif changeait tout ! Comme dans la vie. Cette nécessité que les mathématiques ont, plus que toute autre connaissance, de préciser dans quel cadre, sous quelles conditions, avec quelles hypothèses une affirmation est vraie, les rendait exemplaires. Par ces quelques lignes écrites sur la fiche de Grosrouvre, M. Ruche toucha du doigt à quel point elles pouvaient être philosophiquement, et même politiquement, une école d’apprentissage contre l’absolutisme de la pensée ». 301

Notes
295.

FABRE M. opus cit. p. 7.

296.

Encore qu’il faille apporter quelques nuances à ces propos à en juger par B. Charlot qui relate que le concept de « rapport au savoir » après avoir pénétré les champs de la sociologie, et de la psychanalyse gagne celui de la didactique ne serait-ce que par la contribution de Y. Chevallard [rapport institutionnel au savoir] et de M. Legrand (rapport scientifique au savoir).

297.

BRUNER J. opus cit. p.158.

298.

FABRE M. opus cit. p117.

299.

DEVELAY M. KERLAN A. LEGRAND L. FAVEY E.- Quelle école voulons-nous ? Dialogue sur l’école avec la ligue de l’enseignement - Edition ESF. 2001. p.108.

300.

GERARD C. in opus cit. p.85.

301.

GUEDJ D. opus cit. p.248.