4. Précautions méthodologiques et déontologiques.

Lorsque nous avons conçu notre dispositif d’expérimentation, un certain nombre de « démons » nous hantaient et nous rendons compte de nos vigilances.

Nous avons déjà évoqué le biais lié au dispositif expérimental, mais il faudrait apporter quelques précisions à ce sujet pour informer le lecteur de notre attention par rapport aux trois autres types de biais classiques lors de l’analyse de notre corpus de données.

Le biais de confirmation caractérisé par une attitude qui tend à privilégier l’information permettant de confirmer une hypothèse au détriment de celle qui vise plutôt à l’infirmer.

Le biais d’appariement : tendance du sujet à choisir un exemple dont les éléments coïncident avec ceux qui sont mentionnés dans la règle.

Et pour finir, l’effet d’atmosphère et ses risques d’induction.

En outre afin de nous assurer de la validité interne de notre recherche qualitative nous avons recouru chaque fois à l’explicitation de nos modèles d’analyse et veiller à la pertinence des modèles proposés a priori en regard de notre cadre théorique et conceptuel.

Notre deuxième démon est lié au problème du réductionnisme. Quel crédit accordé aux futures interprétations liées à notre expérimentation et à la portée de nos conclusions ultérieures étant donné le caractère particulièrement contextualisé et du cadre restreint dans lequel elles s’appliquent ? Nous ferons alors appel à S. Joshua pour apporter quelque légitimation quant aux connaissances que nous pensons produire. « Les sophistes ont passé quelques siècles à montrer (avec quelle puissance) que la science était impossible. Vous voulez parler (expliquer, théoriser) à propos du bain que vous prenez dans ce fleuve ? Quelle vanité ! On se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Les sophistes ont-ils raison de proclamer qu’on ne peut « expliquer » mon bain dans ce fleuve ? Peut-on bâtir une théorie, ou même seulement des connaissances sur les fleuves en général ? Si oui, il est clair, comme l’on montré les sophistes, qu’on ne parlera d’aucun fleuve en particulier et donc en conséquence, d’aucun fleuve réel. Quelles sont alors la portée et la pertinence des connaissances ainsi construites ? Elles ne peuvent se juger que par la mise en correspondance, toujours approximative, des inférences ou des calculs (dans les sciences les plus formalisées) conduits dans le cadre du modèle, et des informations tirées du réel. Ou plus particulièrement de cette partie du réel qui peut être légitimement postulée en correspondance (encore le réductionnisme 322 ), et qu’on peut appeler la structure praxéologique , pas la complexité supposée de l’objet d’étude qui fait problème ». Donc, les résultats que nous obtiendrons seront contingents du cadrage que nous nous sommes efforcée de délimiter mais sont porteurs de possibles généralisations.

Ajouté à cela, un troisième démon (dans la même mouvance) qui pourrait s’exprimer à travers l’interrogation tout aussi persistante que lancinante concernant la garantie de scientificité qu’offrent nos choix méthodologiques. En l’occurrence, s’agissant de notre option expérimentale nous mettons en jeu un objet d’étude théorique (l’enseignement de l’idée du vrai en mathématiques qui ne fait pas partie des programmes officiels tel que nous le concevons dans sa totalité) qui s’applique à des acteurs humains, puisqu’il s’agit d’observer la répercussion de cet enseignement sur les élèves. Ainsi donc, décrivons-nous une situation singulière, alors comment pouvons-nous avoir l’ambition de produire de la connaissance qui, elle, aurait un caractère d’universalité alors même que se greffe en plus l’aspect téléologique de nos sujets qui confère à nos situations une dynamique quelque peu instable ? Aboutissons-nous à une aporie de laquelle nous ne pourrions nous échapper ? Nous choisirons alors de nous comporter de manière cohérente avec ce sur quoi porte notre recherche et nous sortirons de ce semblant de paradoxe en posant nos présupposés de départ : la visée de nos choix méthodologiques résidera dans l’obtention d’une « simple stabilité des résultats obtenus dans des contextes semblables » comme le souligne justement Artigue. Autrement dit, le gage de scientificité de notre recherche résultera au niveau de notre vigilance à respecter le cadre explicatif qui nous permettra d’exhiber des résultats fiables, c’est-à-dire de contextualiser lesdits résultats par rapport à notre cadre théorique et en lien avec les situations de classe dans lesquelles ils sont obtenus.

Nous ne saurions conclure cette partie réservée à la méthodologie sans rendre compte des précautions déontologiques que nous avons prises à l'égard des élèves concernés par l’expérimentation après avoir relevé les questionnaires ou effectué l’étude sur l’échantillon.

Elles consistent à signaler que nous avons informé nos classes de 4ième que nous menions une recherche (sans en expliciter en détails l’objet) et que nous avions besoin qu’ils nous donnent leur consentement quant à la possibilité que nous exploitions leurs éventuelles productions écrites. Nous les avons également assurés de notre totale discrétion en leur signalant qu’en aucun cas ce qu’ils proposeraient serait sujet à évaluation puisque notre

posture n’était dans ces moments là plus la même (allusion à notre métamorphose enseignant / chercheur). Nous avons renforcé nos propos en faisant allusion à la norme d’anonymat à laquelle nous souscrivions à leur égard au moment où nous prenions connaissance de leurs écrits.

En troisième, nous n’avons pas rappelé notre posture et nous avons travaillé ensemble sans autre allusion jusqu'à la fin de l’année scolaire.

Notes
322.

Clarifions le sens que lui donne Joshua : « construction théorique d’objets, par focalisation sur un nombre restreint de facteurs » pour qu’il soit « irrecevable sur le plan épistémologique de le critiquer au seul motif qu’il néglige par là même une infinité d’autres facteurs possibles voire tout simplement de relations possibles entre les seuls facteurs retenus ». L’année de la recherche en sciences de l’éducation. Peut-on vraiment expérimenter, à quelles conditions ? Edition PUF. 1998. p.116.