Les réhabilitations : des opérations techniques aux effets sociaux.

Telles qu'elles sont instituées par le système de subventions, les réhabilitations sont essentiellement des opérations techniques, qui doivent mener à une mise à niveau des immeubles, correspondant à une mise aux normes de confort supérieures et actuelles. Mais bien que ces interventions ne soient menées que sur la matérialité des immeubles, les élus, les professionnels du logement comme les organismes HLM en attendent des effets qu'ils qualifient de «sociaux».

Si tous les acteurs qui interviennent à un stade ou à un autre dans la réalisation des réhabilitations s'accordent à en attendre un impact social, ils n'ont pas pour autant clairement défini conjointement la nature de ces effets qu'ils souhaitent produire. Néanmoins, même si cet objectif n'est pas nettement posé, les réhabilitations sont généralement associées dans les discours des hommes politiques à la lutte contre l'exclusion. L'idée que les réhabilitations peuvent permettre de recréer du lien social est parfois formulée, cet impact pouvant même être présenté comme l'objectif majeur implicite des opérations, comme leur véritable enjeu.

La dégradation matérielle des immeubles est alors interprétée comme le symbole de la dégradation du statut social des habitants. Cette interprétation est supposée partagée par les locataires, qui seraient ainsi conduits à perdre leur propre estime. La vétusté des logements, leur manque de confort, la dévalorisation des formes urbaines des grands immeubles sont souvent associés dans les esprits à l'isolement des habitants et à la perte d'une vie sociale commune. La réhabilitation devrait ainsi concourir à inverser le processus d'exclusion en passant d'un quartier délabré, qui mêle dégradation physique des immeubles, intériorisation de cette dégradation par les habitants et perte du lien social, à un quartier revalorisé, qui mêle esthétique et confort des immeubles, fierté des habitants et lien social fort.

Les notions de concertation ou de participation des habitants à la conception des projets dans le cadre des opérations de réhabilitation sont également très présentes dans les discours des acteurs qui interviennent dans ce domaine, qui en attendent des effets sociaux importants. Le partage d'intérêts communs sur l'évolution du cadre de vie et l'organisation de réunions qui incitent les habitants à se parler davantage sont des aspects de la concertation qui semblent favorables au développement de relations plus chaleureuses et solidaires au sein des immeubles. Les réhabilitations sont ainsi supposées, si ce n'est provoquer systématiquement, du moins contribuer dans certains cas au développement des relations sociales au sein des immeubles rénovés, moyen de lutter contre l'exclusion. Que ce soit donc par la transformation de l'image des immeubles ou par la nouvelle approche des locataires par les organismes HLM en tant que partenaires du projet, les réhabilitations doivent permettre, pour les différents acteurs qui contribuent à leur réalisation, de renforcer les liens sociaux entre les habitants : il s'agit d'intervenir sur la matérialité du bâti pour susciter des relations sociales plus soutenues.

Cette idée n'est pas nouvelle : la conception des grands ensembles relevait déjà du souci d'engendrer par la construction de nouveaux immeubles collectifs de nouveaux modes de vie et notamment une nouvelle sociabilité. On pensait alors que la multiplication des coursives, par exemple, offrirait aux habitants une multiplication des occasions de rencontre et permettrait de la sorte que se développent des relations et liens sociaux au sein des immeubles. La politique de réhabilitation semble ainsi reposer sur les mêmes principes que la politique initiale de construction des logements sociaux.

Pourtant, il est a priori étonnant de supposer que de simples travaux de remise à niveau des immeubles et d'embellissement des façades soient susceptibles d'engendrer des effets importants de re-dynamisation de la vie sociale, voire de cohésion sociale. S'il est aisé d'imaginer que la politique de la ville peut produire ces effets, grâce à des mesures complémentaires permettant d'intervenir directement dans les champs urbanistiques, sociaux et économiques, il est plus surprenant de trouver dans les discours l'idée qu'une seule intervention technique sur le bâti puisse concourir à engendrer les mêmes conséquences sur la vie sociale.

Mais s'il est difficile d'imaginer ou de mettre en évidence qu'une simple opération de réhabilitation améliore la sociabilité de l'immeuble en plus du confort, on devine en même temps que l'effet de la réhabilitation sera important sur la vie quotidienne des habitants, dans leurs pratiques, leurs comportements, ou encore leurs perceptions ou leurs jugements. Toute intervention sur la matérialité des immeubles de logements ne peut être appréciée par les locataires concernés sous son seul aspect technique. En effet, les bâtiments sont à la fois des objets physiques et des objets de sens (MICOUD, ROUX, 1996). En tant qu'objets physiques, ils sont soumis au passage du temps, qui entraîne un vieillissement naturel, une usure, une obsolescence, auxquels remédie la réhabilitation, en tant que réparation, rénovation, ou amélioration technique. Mais un bâtiment est aussi un objet de sens, en tant que résultat, lieu et objet de relations sociales, porteur d'une histoire et de culture. Sous cet aspect, toute intervention sur l'objet physique, qui vient modifier l'aspect de sa matérialité, est aussi une intervention sur l'objet de sens. La réhabilitation d'un immeuble de logements sociaux ne peut donc être réduite à une opération technique, mais représente également une intervention qui est le fruit et qui s'intègre dans un ensemble de relations sociales, de pratiques et de représentations qui lui donnent sens.

Cet aspect des réhabilitations est d'autant plus prégnant que ces interventions ont un caractère exceptionnel. Le parc immobilier est globalement entretenu en permanence : de menues réparations, des petits changements ou réfections sont réalisés régulièrement, sans attirer l'attention. A l'opposé, les réhabilitations sont des opérations de travaux conséquents et ponctuels. Le système de financement public implique que les organismes HLM déposent des dossiers de demandes de subventions pour une opération ciblée et complète. L'ensemble des travaux à effectuer est déterminé en une fois et comprend presque systématiquement une intervention en façade. Le chantier est réalisé sur un court laps de temps, les différents corps de métier se succédant pour intervenir en une seule fois sur tous les aspects à traiter. Le résultat est donc particulièrement visible et marque un changement important, pour les locataires de l'immeuble comme pour les autres habitants de la ville. Cette caractéristique des réhabilitations est d'ailleurs souvent particulièrement appuyée par les organismes HLM, qui souhaitent que cette transformation du bâti soit interprétée comme le symbole d'un renouveau.

Les opérations de réhabilitation s'apparentent ainsi à des interventions particulièrement visibles, qui portent exclusivement sur le bâti et dont on attend un impact social fort : il s'agit de transformations de l'aspect matériel des immeubles devant contribuer, du moins dans certaines situations, à une amélioration de la sociabilité au sein des immeubles. Cette attente des professionnels et des élus d'un tel impact, un peu surprenante, en même temps que l'intuition selon laquelle les réhabilitations doivent produire des effets importants sur la vie des habitants, a suscité la curiosité de comprendre comment les réhabilitations s'inscrivent dans une relation très riche avec l'espace bâti. Ce constat est ainsi à l'origine du questionnement de cette recherche : comment lire les opérations de réhabilitation comme des interventions sur des immeubles objets de sens ? Comment comprendre le bouleversement des relations entre l'espace bâti et les acteurs que constitue une opération de réhabilitation ?

En occupant quotidiennement leur lieu de vie, les individus et les groupes développent un ensemble de pratiques d'usage et de représentations de l'espace. Au fil du temps, les habitants adaptent leur logement et l'image qu'ils s'en font pour permettre ou faciliter l'accomplissement des gestes familiers et réciproquement, l'organisation de la vie quotidienne découle de l'organisation spatiale. Les habitants prennent possession de leur logement en y accomplissant les multiples gestes quotidiens, en le transformant matériellement, en élaborant et en exprimant des représentations et des images de cet espace. Le cadre de vie devient peu à peu le reflet et l'expression d'une personnalité, d'une façon de vivre au quotidien, d'un positionnement social. Il est le lieu des habitudes, à la fois lieu de l'intimité et de relations sociales de proximité.

La réhabilitation vient bouleverser l'ensemble de ces pratiques et de ces représentations dont l'espace habité est le support ou l'enjeu. L'opération apporte des modifications matérielles qui auront des conséquences sur ces pratiques socio-spatiales : comment définir et mesurer cet impact ? Quelles habitudes, quel usage, quelles représentations de l'espace la réhabilitation vient-elle modifier ?

A partir de ces premières questions intuitives, l'objet de recherche se construit par la réduction du champ d'étude en privilégiant un acteur particulier : les habitants de l'immeuble réhabilité, et par choix d'une hypothèse de travail, selon laquelle ces habitants sont engagés dans un processus d'appropriation socio-spatiale de leur cadre de vie. Ce processus d'appropriation est alors considéré comme le processus par lequel les habitants prennent possession de leur appartement, l'investissent et s'y investissent, l'adaptent et s'y adaptent, dans un ensemble de pratiques qui tendent toutes à construire leur identité socio-spatiale.