II. Chapitre 2.
Territorialisation et appropriation.

Si les réhabilitations sont des opérations de transformation de la matérialité réalisées par des professionnels, initiées par les propriétaires gestionnaires des immeubles dans le cadre d'une politique nationale, elles touchent la vie quotidienne non pas de ceux qui les organisent, mais des occupants des immeubles. Même si les habitants ne sont pas à l'origine des travaux et ne les dirigent pas, ils n'adoptent pas un comportement passif pour autant : ils peuvent tenter d'influencer le maître d'ouvrage ou les ouvriers, ils peuvent apporter eux-mêmes des modifications en réalisant d'autres travaux, et surtout, ils interprètent ces modifications, ils chargent leurs logements nouvellement refaits de sens, de valeurs, d'impressions, d'opinions, d'idées… De nouvelles fenêtres, la peinture refaite, des façades neuves deviennent pour eux et par eux leur nouveau cadre de vie, utilisé et appréhendé d'une façon qui leur est propre. La réhabilitation, même présentée comme l'œuvre des professionnels qui la regardent souvent avec fierté, est l'affaire des habitants : ce sont eux qui respectent ou dégradent les nouvelles installations, décident d'utiliser les nouveaux digicodes ou de laisser les portes ouvertes, qui échangent des opinions sur l'embellissement ou non des façades, ou même qui les ignorent totalement. Par leurs comportements d'usage, les locataires font leurs les immeubles réhabilités, dans un jeu complexe d'interrelations et de stratégies. Sous cet angle, la réhabilitation peut être lue comme une vaste action d'interprétation ou d'achèvement réalisée par les habitants, au sens le plus large.

Ces comportements des habitants relèvent d'un processus d'appropriation, tel que celui-ci apparaît dans les travaux de géographie sociale, qui s'intéresse essentiellement aux relations entre les sociétés et l'espace et aux micro-territoires. Les recherches développées sur de tels territoires tendent à mettre en évidence des comportements de même nature ou produisant les mêmes effets, auxquels pourront être confrontés les comportements des habitants des immeubles réhabilités. C'est pourquoi le présent chapitre s'attache à présenter, au travers des résultats des travaux menés en géographie et en sociologie, les finalités des comportements d'appropriation, considérée comme une dimension du processus de territorialisation, ainsi que les formes que ces comportements peuvent revêtir.

Lors des réhabilitations, l'appropriation des immeubles par les habitants est influencée par la relation qu'ils entretiennent avec l'organisme HLM, dont l'espace est l'enjeu, et c'est pourquoi, au-delà des concepts de territorialisation et d'appropriation qui sont au cœur de la construction théorique, des éléments concernant la notion de relation entre deux acteurs seront également rapidement présentés.