II.1.1.1.La relation entre les hommes et l'espace au cœur de la problématique.

Une définition relativement large et communément admise de la géographie sociale est la suivante (FREMONT, CHEVALIER, HERIN et BERNARD, 1984, p.90) :

« Géographie des faits sociaux, et sociologie des faits géographique, la géographie sociale consiste fondamentalement en l'exploration des interrelations qui existent entre les rapports sociaux et les rapports spatiaux, plus largement entre sociétés et espaces. »

Une telle géographie ne prend pas pour principal objectif de décrire l'espace ou de localiser les activités humaines, d'étudier une répartition d'individus ou d'objets, que ce soit par une observation directe de l'environnement, ou par le biais d'une modélisation, d'une quantification de variables descriptives. Ce n'est pas seulement, ni même principalement, la spatialisation des phénomènes sociaux qui intéresse la géographie sociale, mais le rôle de l'espace dans les rapports sociaux par l'intermédiaire des processus de construction dont il fait l'objet. Il ne s'agit pas de lire dans l'espace le résultat d'une action humaine, sans interroger le lien entre l'espace et la société qui le façonne : l'objet de recherche est avant tout une interrelation entre des sociétés ou groupes qui construisent un territoire, territoire qui contribue en retour à la forme de leur existence.

Cette relation, définie de façon si large, ne peut être que riche et complexe, ce qui amène A. VANT à proposer une autre définition de la géographie sociale, qui est pour lui (WECKERMANN G., «Géographie sociale et politique», Encyclopedia Universalis, édition 1993, corpus 10, p.320) :

« soucieuse de hiérarchiser (…) l'ensemble des dimensions techniques, économiques, politiques, juridiques, psychologiques et physiques, dont les combinaisons multiples font la spécificité des espaces et des lieux » .

L'étude des relations qui se nouent entre espaces et sociétés paraît d'après cette définition difficile, puisqu'elle ne privilégie pas une approche par rapport à une autre et qu’elle n'isole pas un ensemble de caractéristiques a priori, mais elle a l'avantage de chercher à réaliser une présentation pertinente de ces relations dans leur globalité, sans restreindre son champ a priori.

Il semblerait regrettable de négliger notamment dans l’étude de ces relations la dimension politique, au sens large, en occultant le fait que l'espace est un enjeu pour les sociétés et les groupes qui le territorialisent. Il paraît impossible maintenant d'escamoter de l'analyse des faits les différentes formes de pouvoir, domination ou influences indirectes, qui se heurtent ou s'imposent, s'inscrivant dans l'espace et dont l'espace est la source. L'interprétation de ces forces permet de comprendre les stratégies et les idéologies qui s'opposent ou convergent, et qui se concrétisent sous la forme d'actions sur et dans l'espace, actions qui appartiennent à l'ensemble des relations objets de recherche. En ce sens, nous adoptons une des propositions de consensus sur les principes de la géographie sociale de R. ROCHEFORT, qu'elle présente dans un article destiné à susciter un débat de positions chez les géographes (ROCHEFORT, 1984, p.14) :

« consensus contre ceux qui disent que la géographie est la science de l'espace, en entendant par-là seulement l'espace contenant et les objets qui le remplissent, mais en escamotant l'espace champ de forces, l'espace enjeu, l'espace tissé de stratégies généralement conflictuelles des groupes et individus » .

Le champ de forces et le pouvoir évoqués sont pris dans un sens large et non dans un sens étroit de domination d'un acteur sur un autre. Des relations d'influence peuvent intervenir également, mais surtout, les individus comme les groupes peuvent agir indirectement sur l'espace et sur d'autres acteurs en propageant des idées et des opinions, ou en adoptant un comportement qui participe à susciter telle ou telle représentation. Ainsi, nous faisons nôtre un autre des consensus proposés par R. ROCHEFORT (ROCHEFORT, 1984, p.15) :

« consensus pour considérer ceux qu'on étudie non pas comme des objets spatiaux mais comme des sujets, même si leur pouvoir sur l'espace est nul, et pour s'intéresser à la manière dont ils vivent leur espace, voire le rêvent »

Adopter cette approche, qui place la relation entre l'espace et les sociétés au cœur de la problématique et qui considère les personnes et les groupes comme des acteurs développant tous types d'action, concrètes ou d'interprétation, permet d'étudier les relations entre les habitants des logements sociaux et leur cadre de vie dans toutes leurs dimensions, et de considérer ces habitants comme des acteurs agissant sur leur espace par leurs comportements, qu'il s'agisse de leurs pratiques, de l'adaptation de leurs opinions ou de la construction de représentations collectives. La géographie sociale ne cherche pas seulement à voir dans la matérialité de l'espace le résultat de processus de territorialisation dans une approche descriptive. En posant comme principe qu'elle étudie avant tout une interrelation entre les hommes et leurs territoires, elle s'interroge sur les raisons qui poussent les sociétés à agir de telle ou telle manière, et tente de déceler les enjeux que représente alors l'espace pour les différents groupes.

En dépassant également l'aspect strictement matériel de l'espace, pour accéder aux représentations, à la charge symbolique dont il est porteur, la géographie sociale étudie, au-delà d'une action des hommes sur leur espace, des processus de co-construction des groupes et des territoires, chacun de ces deux termes en relation participant à la constitution et à l'élaboration de l'autre. C'est pourquoi la géographie sociale s'intéresse, au-delà des seuls individus et par le biais du territoire aux sociétés et aux groupes, donc aux relations qui se nouent entre les hommes, et aux représentations collectives, aux normes et aux idéologies qu'ils produisent.