II.1.1.3.Micro-géographie et territoires du quotidien.

Lorsque la géographie sociale a adopté la notion d'espace représenté, au-delà de l'espace relatif et absolu, elle a pu s'intéresser à des pratiques individuelles tout en y recherchant des rapports sociaux, ce qui l'a amenée à travailler à des échelles spatiales beaucoup plus réduites que celles qui étaient décrites par des données quantifiables (BAILLY, BEGUIN, 1990, p.58) :

« A s'intéresser aux images des individus et des groupes, la géographie a dû compléter son domaine d'intervention ; certes elle s'intéresse toujours aux attitudes spatiales collectives, mais de plus, elle s'attache aux petits groupes et même aux individus pour mieux comprendre leurs pratiques spatiales. En complétant ainsi la « macro-géographie » (celle des aires régionales ou plus vastes, davantage fondée sur des données agrégées) par la « micro-géographie » (celle des aires plus petites, davantage fondée sur des comportements individuels), peuvent apparaître les variétés des attitudes et vécus spatiaux. »

Longtemps la géographie a privilégié l'étude de territoires définis comme des aires sur lesquelles s'exerce l'autorité et le contrôle d'une institution. Le découpage de l'espace retenu correspondait au découpage administratif, qui délimite des zones emboîtées, pour lesquelles on élit ou désigne des personnes chargées de leur gestion. En plaçant les individus ou les groupes au centre de ses préoccupations, la géographie sociale a pu ouvrir son champ d'investigation à une territorialisation réalisée non plus par les institutions et les organisations de toutes sortes, mais par les simples citoyens ou habitants. En partant non plus de descriptions quantitatives de l'espace mais de l'analyse des comportements et représentations des individus, la géographie sociale a placé les lieux de l'individu et l’espace familier au centre de ses recherches. Les pratiques observées sont celles de la vie quotidienne, dans leur banalité. Ainsi, pour G. DI MEO (DI MEO, 1998, p.5) :

‘«La géographie sociale s'efforce de retracer les itinéraires, les cheminements au fil desquels chacun de nous invente son quotidien, à la fois social et spatial, sous les effets conjoints de sa position dans la société, des modèles culturels que nourrit la mémoire collective, de l'imaginaire que sécrète notre conscience personnalisée.»’

Cette démarche semble délicate, car il s'agit d'analyser les faits ordinaires, les habitudes et les attitudes les plus fréquentes de simples individus, généralement inorganisés pour établir une relation spécifique à l'espace, et dont les objectifs et les stratégies ne sont ni explicites, ni exprimés, et peut-être même non partagés. Cependant, malgré cette difficulté d'observer la banalité et la quotidienneté des citoyens, plutôt que des faits sociaux extraordinaires ou l'action des institutions, cette démarche permet à la géographie sociale d'engager des recherches sur de nouveaux sujets.

La géographie sociale a donc des objectifs ambitieux. Elle cherche à comprendre essentiellement les relations entre les sociétés ou les groupes et leurs territoires, les hommes construisant leur espace à la fois matériellement et symboliquement, celui-ci étant dans une interaction permanente le support et l'enjeu de leurs pratiques. La géographie sociale tente de ne négliger aucune des dimensions (économiques, politiques, juridiques, sociologiques, psychologiques, physiques) du territoire, en interrogeant l'interférence entre le social et le spatial. Plus qu’elle ne décrit quantitativement un espace, elle étudie des espaces subjectifs à partir des comportements et des représentations des individus, sans les isoler des groupes sociaux auxquels ils appartiennent. Elle recherche dans la banalité de la vie quotidienne les indices de la territorialisation.

C'est pour cette démarche générale, sans entrer dans le détail de distinctions méthodologiques que peuvent établir les géographes selon leurs spécialisations et leurs thèmes de recherche, que cette approche semble pertinente pour aborder les réhabilitations au sein des processus d'appropriation de l'espace. Or les travaux des géographes développent une conception de l'appropriation très étroitement liée à celle de la territorialisation et du territoire, dont les caractéristiques sont aujourd'hui bien établies.