II.1.3.2.Aménagement : la facette organisationnelle du territoire.

Les groupes sociaux ont besoin d'organiser leur cadre de vie en fonction de l'exercice de leurs activités. Ils décident d'un certain nombre d'interventions et d'actions dans et sur l'espace, en fonction de leur culture, et notamment de leur compétence technique, de leur organisation sociale et politique. M. LE BERRE définit l'aménagement comme (LE BERRE, 1992, p.623) :

« l'ensemble des actions entreprises par le groupe social dans le but précis d'assurer son maintien et sa reproduction. Le résultat en est la production d'un territoire doté dans le temps d'une certaine stabilité. »

Cet aménagement concerne bien sûr l'espace matériel, qui est transformé afin de répondre aux besoins de communication, de production, d'échanges, etc. La création d'équipements tels qu'usines, réseaux de transports, logements, bâtiments publics, barrages, et tout autre type d'infrastructures fait partie du processus d'aménagement. Mais les sociétés ne construisent pas un territoire à partir du seul espace naturel : elles héritent d'un espace spécifique, avec ses constructions passées, ses répartitions spatiales, avec lequel elles doivent compter. Outre une dimension de création, l'aménagement comporte donc une dimension de transformation et d'adaptation, qui consiste à entretenir, réparer, protéger, sauvegarder, moderniser, ou encore améliorer un territoire physique existant.

Au-delà de la création et de l'adaptation, l'aménagement comprend aussi des actions de gestion du territoire, qui génère des flux d'informations, de produits, d'argent, d'individus, d'énergie entre des lieux structurés, destinés à remplir certaines fonctions et reliés en réseau. L'organisation du passage des trains sur une ligne de chemin de fer par exemple, qui peut privilégier une desserte très fréquente ou au contraire très rare des stations, fait partie du processus d'aménagement de l'espace au même titre que la construction ou l'entretien de la voie. L'élaboration des configurations territoriales est donc à comprendre dans une logique organisationnelle et non pas seulement dans un processus de construction. L'organisation du territoire est une facette de l'aménagement, ce qui implique d'identifier les fonctions de chaque acteur, les échanges d'information et les mécanismes décisionnels, par rapport à l'espace, pour comprendre les processus de territorialisation.

Ces choix d'aménagements sont réalisés à des échelles différentes, des plus locales (édification de la salle polyvalente d’un village) au supranationales (ouverture de lignes aériennes internationales) à partir d'éléments que les sociétés se représentent comme autant de besoins, de finalités, d'atouts, d'avantages, d'obstacles. Il résulte de ces choix une hétérogénéisation du territoire car les lieux sont sélectionnés et aménagés dans leur diversité en fonction de leurs caractéristiques perçues. L'aménagement dépend donc étroitement à la fois du contexte dans lequel agissent les différents groupes sociaux sur les plans politiques, sociaux, techniques, économiques, et des propriétés du territoire, qu’elles soient naturelles (utilisation du relief, du climat, de la flore,…) ou héritées de l’action passée des hommes (transformation d’anciennes casernes ou voies ferrées, insertion de nouveaux bâtiments dans une trame existante,...).

Le processus d'aménagement s’accomplit par l’accumulation des actions de nombreux acteurs, dont la taille, les objectifs, les stratégies sont très variables, et qui interviennent sur des lieux différenciés. Mais tout groupe social engendre une homogénéisation globale de la transformation et de la gestion du territoire permettant un exercice cohérent des activités sur l'ensemble du territoire, cet exercice global constituant le fonctionnement territorial. Il s'ensuit une homogénéité due à un objectif général de maintien sur le territoire propre à l'ensemble du groupe. Le processus d'aménagement qu'un groupe social réalise sur son territoire peut ainsi être lu à la fois à une échelle globalisante, qui permet de comprendre un fonctionnement et des objectifs généraux, et à une échelle locale, où des actions contextuelles répondent à une logique sectorielle.

La cohésion sociale d'un groupe, qui permet un aménagement et un fonctionnement territorial à l'échelle de l'ensemble de l'espace territorialisé, est en relation avec l'espace. Les groupes sociaux construisent leur territoire en l'organisant, mais aussi en se l'appropriant, ce qui leur permet d'imposer, de renforcer, de défendre leur identité (donc leur cohésion) en même temps que celle de leur territoire, ces deux identités se nourrissant l'une de l'autre.

L'aménagement et l'appropriation, les deux processus fondamentaux de la territorialisation, sont étroitement liés, certains comportements relevant à la fois de l'un et de l'autre. Le respect d'une norme de courtoisie établie entre les membres du groupe par exemple, relève à la fois de l'aménagement et de l'appropriation du territoire, puisqu'il s'agit du même coup d'en permettre le fonctionnement social et de renforcer sa cohésion. De même, la transformation de l'espace matériel est souvent réalisée dans le double but d'améliorer le confort et la décoration, donc de jouer à la fois sur l'organisation et le champ symbolique des objets.