II.2.1.1.L'appropriation : une notion très employée, peu définie.

Le terme d'appropriation est très souvent employé par les géographes qui l'emploient généralement dans le sens de territorialisation (action et processus par lequel un groupe social construit son territoire), sans chercher à en décrire les caractéristiques, à l'image de C. RAFFESTIN (RAFFESTIN, 1980, p.129) :

« Le territoire est généré à partir de l'espace, il est le résultat d'une action conduite par un acteur syntagmatique (acteur réalisant un programme) à quelque niveau que ce soit. En s'appropriant concrètement ou abstraitement (par exemple, par la représentation) un espace, l'acteur « territorialise » l'espace. »

Les auteurs qui cherchent à décrire de nouveaux territoires, qui n'étaient pas traditionnellement considérés comme tels auparavant, ont également recours à la notion d'appropriation en tant que relation entre le groupe social et son espace. X. PIOLLE, par exemple, définit deux modèles de territorialité, la territorialité sédentaire qui se caractérise par un enracinement dans un espace continu majoritairement partagé comme référence commune et première (le village mythique pour faire court), et la territorialité nomade, qui tient compte de la mobilité croissante des sociétés actuelles, mobilité qui engendre une dispersion dans l'espace des repères spatiaux. Il prend garde alors de préciser que le «nomade» n'est pas en rupture par rapport à l'espace, ce qui l'amène à associer construction du territoire et appropriation (PIOLLE, 1994, p141) :

« Le nomade n'est pas en rupture par rapport à l'espace mais il le vit tout à fait autrement que le sédentaire, s'appropriant des « territoires circulatoires » faits d'étapes et de routes traversant des étendues étrangères et jalonnées de repères, outils fonctionnels et objets d'identification dans une mémoire collective » .

J. VIARD tente aussi de tenir compte de la mobilité récente pour décrire et comprendre de nouveaux territoires en «archipel», qui s'étendent sur l'ensemble de la planète grâce aux nouveaux moyens de communication et modes de déplacement. A la naissance de ces nouveaux territoires correspond inévitablement pour lui une nouvelle appropriation (VIARD, 1994, p.77) :

«Nous sommes engagés dans une aventure de la ré-appropriation spatiale qui passe par la conscience de la solidarité planétaire, par l'affirmation des voisinages continentaux et par la réorganisation de notre urbanité dans les villes invisibles »

Certains auteurs associent également étroitement les notions d'appropriation et d'appartenance, comme J-L. PIVETEAU et R. BRUNET, qui y voient les caractères fondamentaux du territoire :

« Le territoire implique toujours une appropriation de l'espace : il est autre chose que l'espace. Le territoire ne se réduit pas à une entité juridique (…) Il y faut quelque chose de plus, et d'abord les sentiments d'appartenance (je suis de là) et d'appropriation (c'est à moi, c'est ma terre, ou mon domaine) » (BRUNET, 1992, p.480).
« Sous l'angle des structures socio-spatiales auxquelles elle donne lieu, comment imaginer que la notion de territoire puisse jamais perdre ses deux caractères d'appartenance et d'appropriation liés comme dans un anneau de Moebius » (PIVETEAU, 1995, p.7).

Mais si tous ces auteurs s'accordent pour considérer l'appropriation comme un processus de territorialisation, ce processus en lui-même n'est pas décrit et son contenu reste des plus flous. La notion d'appropriation, quand elle fait l'objet d'un effort de définition, est d'abord présentée dans un sens relativement étroit. Dans le dictionnaire critique de géographie de R. BRUNET, par exemple, c'est une «prise de possession d'une étendue de terrain», dont les caractéristiques sont les suivantes (BRUNET, 1992, p.40) :

« L'acte peut être individuel, mais s'exprimant par rapport aux autres, il est bien un acte social. Il peut également être collectif, le fait d'un groupe, d'une communauté, d'un peuple. L'appropriation crée le maillage de l'espace, sous ses différentes formes (du parcellaire aux Etats), et dans toutes ses limites, du simple bornage aux frontières » .

Dans un souci d'élargissement du sens de cette notion, R. BRUNET ajoute ensuite que l'appropriation peut ne s'exprimer que par un usage, notamment dans des pays peu peuplés, et il cite l'exemple des fermiers ou locataires qui s'approprient, par l'usage, les terres ou le bâti appartenant à un propriétaire clairement identifié comme tel. R. BRUNET donne encore les exemples de l'appropriation d'un quartier résidentiel par ses habitants, qui entendent empêcher l'accès de leur secteur aux non-résidents la nuit, et de l'appropriation des quartiers ou du moins des rues de grandes villes par les jeunes, par le biais des graffiti, ce qui lui permet de conclure que l'appropriation tend toujours à s'exprimer par un marquage symbolique du territoire.

Pour nombre de géographes, l'appropriation est un acte de construction du territoire qui ne se distingue pas de la territorialisation. Cette notion est donc très utilisée, mais n'a pas encore de contenu reconnu par tous. Certains chercheurs cependant ont travaillé à son enrichissement, dans des disciplines différentes.